Alain Grandjean et Nicolas Dufresne avaient publié un livre qui prétendait bouleverser la théorie monétaire, avoir découvert une monnaie magique pour financer les dépenses publiques sans impôts et sans dettes, avoir trouvé un moyen magique pour annuler une grande partie de la dette publique sans léser ses détenteurs. J’ai eu la faiblesse de le lire, puis d’en publier une analyse critique.
Répétons deux points fondamentaux :
- D’importants investissements, publics ou privés, sont nécessaire pour la transition écologique ; ils peuvent être financés par l’impôt ou par le crédit (au sens large, y compris les émissions d’obligations). Le financement par le crédit génère obligatoirement de la dette.
- il n’est pas possible d’annuler une partie de la dette publique sans léser ses détenteurs (ce qui peut être justifié dans certains cas, mais c’est un autre débat).
Cela dit, on pourrait (on devrait) en rester là. Un ouvrage qui prétend qu’il peut exister une monnaie libre sans contrepartie en termes de dette, que l’on peut annuler la dette publique en la transférant à la Banque centrale, s’écarte de la science économique. Vaut-il la peine d’essayer d’y ramener ses auteurs ?
En tant qu’économiste responsable, engagé dans la lutte contre la pensée néo-libérale, il est de mon rôle de d’évaluer les travaux prétendant faire progresser l’économie hétérodoxe, d’autant plus qu’ils concernent ma spécialité, la macroéconomie, la théorie monétaire. J’ai donc lu ce livre avec soin et j’en ai écrit une analyse raisonnée, précise et approfondie[1]. Sauf omission de ma part, je pense être le seul économiste à l’avoir fait ; la plupart de mes collègues, avec raison, se contentent de hausser les épaules. Les auteurs auraient dû me remercier, utiliser mes remarques pour revoir leurs analyses, car nous ne sommes pas dans un combat de catch : l’objectif n’est pas de vaincre un adversaire, mais d’avancer dans des propositions utiles au combat contre le néo-libéralisme, utiles à l’avancée vers la transition écologique et sociale. Malheureusement, avec l’ajout de la signature de Gaël Giraud (que vient-il faire dans cette galère), les auteurs (GDG par la suite) refusent de se remettre en cause et publient en réponse un texte long et agressif avec des imputations ridicules à mon égard. Cette réponse fait de nombreux contresens, comme si les auteurs ne connaissaient ni la théorie macroéconomique, ni la théorie monétaire. Je participe au courant keynésien en France, j’ai écrit de nombreux articles sur les questions monétaires. Toute ma carrière, en particulier depuis 10 ans que j’ai co-écrit le Manifeste d’Économistes Atterrés, j’ai combattu les politiques néo-libérales des classes dirigeantes, de réduction des dépenses publiques et sociales, d’augmentation des inégalités, d’aveuglement devant les périls écologiques comme j’ai combattu les règles absurdes de politiques budgétaires imposées par les instances européennes, comme j’ai combattu la domination de la finance et prôné un contrôle social de la distribution du crédit[2]. Je peux donc écrire, en tant qu’économiste spécialiste de la macroéconomie keynésienne et tant qu’économiste hétérodoxe, que les thèses principales du livre en question sont fondamentalement erronées, le risque étant qu’elles entrainent certains jeunes économistes et pire, certains mouvements politiques dans des impasses.
Je vais donc vous proposer une lecture du texte de réponse de GDG. Je suis cependant conscient qu’il s’agit là en grande partie d’une perte de temps. Que le lecteur lise d’abord ma note : https://blogs.mediapart.fr/henri-sterdyniak/blog/071120/la-monnaie-magique-encore-une-lecture-de-l-ouvrage-une-monnaie-ecologique. Je n’ai pas grand-chose à ajouter. Prenons donc leur réponse page à page.
Page 1 ; Les Économistes atterrés n’ont pas attendu 2020 et l’ouvrage « La monnaie écologique » pour réclamer la définanciarisation des banques et un effort d’investissement pour la transition écologique. Me mettre dans le camp des partisans des politiques d’austérité est ridicule. Comme je l’ai écrit, la question centrale n’est pas l‘arme monétaire (qu’évoquent GDG, en confondant monnaie et crédit), la transition écologique ne peut être piloté de Frankfort par la BCE mais l’investissement public, la politique industrielle, la fiscalité, les normes et le contrôle du crédit, des décisions de politiques budgétaires, qui demandent aussi une mobilisation sociale.
Pages 2 à 4 : GDG jugent utile d’expliquer longuement que les crédits font les dépôts, ce que personne ne nie. Ils ne voient pas, qu’en fait, c’est l’ensemble du déficit public et du financement des entreprises et des ménages qui font l’ensemble des actifs financiers, dont une certaine part seulement est détenue sous forme de monnaie, de sorte que des concepts comme la création monétaire ou le financement monétaire du déficit public ne sont plus utilisés par les macroéconomistes. En 2020, le déficit public français sera de 9 % du PIB. Qui peut dire ce que sera le financement monétaire de ce déficit ? Lisez une note de conjoncture de l’INSEE : le concept de création monétaire n’est jamais évoqué. L’analyse précise, que je fais dans ma note, explique pourquoi : c’est la dépense, et donc le crédit (au sens large) qui importe, pas le fait que les actifs ainsi créés soient détenus sous forme monétaire ou non.
D’ailleurs, page 4, GDG reconnaissent que la monnaie est un continuum de M0 à M6 ; un pas de plus et ils auraient compris qu’il est vain de chercher à distinguer la monnaie dans l’ensemble des actifs financiers, à distinguer un financement monétaire parmi l’ensemble des moyens de financement. Le problème est que l’ouvrage « La monnaie écologique » confond constamment le crédit, la monnaie et l’ensemble des actifs financiers.
Page 4 : Bien qu’ils s’en défendent, GDG appartiennent à la lignée des économistes qui prétendent avoir découvert que la monnaie est créée ex nihilo et qui en déduisent que toutes les dépenses publiques pourraient être financées par la création monétaire à taux nul.
Page 5 : Pour la transition écologique, les banques et les institutions financières doivent modifier leurs critères de distribution du crédit (et plus généralement du financement) ; cela nécessite que l’État fasse par la fiscalité, les subventions, les normes que les investissements verts deviennent plus rentables que les investissements bruns. Pour GDG, il suffit que la Banque centrale modifie ses critères d’accès au refinancement pour favoriser les crédits aux investissements verts. Pourquoi pas, mais cela ne peut avoir qu’un effet marginal. Imaginons une banque qui fait 100 de crédit, qui a besoin d’en refinancer 10. Le critère de accès au refinancement ne jouera que pour 10% de ses crédits, ce qui est insuffisant. Cela aura peu de poids si la politique économique n’a pas modifié la rentabilité des investissements selon leurs dégâts écologiques.
Pages 5 à 10 : Ces pages sont consacrées à la grande découverte des auteurs : la création monétaire libre, c’est-à-dire libre de dette. Comme le savent tous les économistes, le système bancaire et financier a un actif et un passif, égaux en principe : du côté du passif, les avoirs des agents non-financiers (monnaie et titres, sachant que la frontière entre les deux est floue) ; du côté de l’actif, des avoirs sur les agents non-financiers (ménages, entreprises ou administrations), donc des dettes.
Imaginons qu’une banque fasse un crédit de 100 à un industriel qui veut investir dans la transition écologique. Supposons, à titre d’exemple, que la propension à dépenser des ménages est de 0,5 (en oubliant les impôts et les importations). Ex post, la production augmentera de 200, comme le revenu des ménages ; ceux-ci dépenseront 100 et épargneront 100. Ainsi, les 100 d’actifs financiers, détenus par les ménages, ont une contrepartie sous forme de dette de 100 de l’entreprise. Pour investir 100, il faut que des ménages qui ont produit 200, qui ont eu un revenu de 200, acceptent de ne consommer que 100. Soit, un impôt leur prélève 100. Soit, ils épargnent 100, ce qui leur donne un droit à consommer 100 à l’avenir. La contrepartie de ce droit est obligatoirement une dette qui est intermédiée par le système bancaire : l’entreprise doit 100 à la banque qui doit 100 aux ménages. La notion de monnaie libre de dette n’a aucun sens.
Page 7 : GDG nous disent : « la masse monétaire compte. La quantité et la destination de la masse monétaire doivent être pensées simultanément ». Mais par quels canaux, compte-t-elle ? Est-ce la monnaie qui compte ou le crédit ? Qu’est-ce que la destination de la masse monétaire : GDG veulent-ils dire : le type de dépenses financées ? Comme dans leur livre, ils confondent monnaie et crédit.
GDG le reconnaissent, page 7 : « le principe du crédit suppose que toute création monétaire a pour contrepartie une dette (ou un achat d’actif) ». Pourtant, ils écrivent : « L’idée est toute simple : créer de la monnaie pour stimuler la création de valeur, sans pour autant y attacher une dette qui pourrait réduire cet effet (car le remboursement de dettes est une destruction monétaire) ».
On retrouve deux idées en vogue chez les économistes Internet : la mise en cause du remboursement des dettes qui serait nocif (mais en réalité il y a toujours des ménages, des entreprises ou des administrations qui ont besoin de s’endetter de sorte que leurs nouveaux endettements compensent les remboursements) ; la séparation de la monnaie et du crédit (mais comment concrètement ?).
Imaginons que la Banque centrale fasse un versement de 100 aux ménages les plus pauvres pour créer de la monnaie. La propension à dépenser des ménages est de 1 sur ce versement, de 0,5 sur leur revenu (en oubliant les impôts et les importations). Ex post, la production augmentera de 200, comme le revenu des ménages ; ceux-ci dépenseront 200 et épargneront 100. Supposons que ces 100 restent sous forme de dépôts bancaire. Les banques pourront augmenter de 100 leurs réserves à la Banque centrale. On aura donc une dette de 100 des banques envers les ménages et de 100 de la Banque centrale envers les banques. Ces deux dettes sont immédiatement exigibles. Un ménage peut utiliser son dépôt pour acheter des biens comme la banque peut utiliser ses réserves pour faire du crédit. (Et, en réalité, cette dette de la Banque centrale remonte à son actionnaire l’État). Là encore, la notion de monnaie libre de dette n’a aucun sens.
Les auteurs préconisent cependant : « l’introduction d’une dose de monnaie libre, dans des volumes bien définis et décidés collectivement et à des fins bien ciblées d’investissements, notamment en faveur de la reconstruction écologique » ou « une création monétaire libre, au sens où cette dernière ne passe pas par un endettement supplémentaire des acteurs économiques qui en bénéficient ». J’avoue ne pas comprendre. Il s’agirait de faire du crédit ciblé, mais nous avons vu que celui-ci génère automatiquement une dette, public ou privé. Une banque fait des prêts qui génèrent un endettement de leurs bénéficiaire et une dette de la banque envers le détenteur ultime des actifs financiers ainsi créés. L’État peut accorder des prestations, distribuer du pouvoir d’achat, mais la contrepartie est une dette publique. Si l’État donne 100 à Jean, que Jean l’utilise pour acheter pour 100 de marchandises à Jacques, Jacques a un droit de 100 sur la production future, qui est donc une dette de l’État.
Page 9, les auteurs dérivent et prennent comme exemple de leur « création monétaire libre » le fait que l’État chinois contrôle la distribution du crédit. On peut souhaiter, comme moi, que la distribution du crédit soit socialement contrôlée, qu’elle finance des investissements contribuant à la transition écologique et à l’emploi, et non des investissements bruns ou spéculatifs. Mais cela n’a rien à voir avec une « création monétaire libre » ; des crédits utiles génèrent quand même une dette.
On lit, plus loin : « cette création monétaire libre est un des grands moyens de nous sortir de l’impasse déflationniste, de la crise économique et écologique, que nous subissons. ». Dommage que Bruno Le Maire n’est pas lu leur livre, lui qui n’a pu combattre la chute d’activité induite par la crise sanitaire qu’en augmentant la dette publique.
Puis : « Il s’agit ni plus ni moins que de savoir si nous voulons, oui ou non, que la monnaie, et par voie de conséquence la création monétaire et les institutions dont elle dépend, à commencer par la banque centrale, reviennent dans le giron de la décision collective pour que la monnaie soit réellement un bien commun, gérée comme un bien commun ». Le texte confond encore la monnaie et le crédit. Ce sont les choix d’allocation du crédit (plus généralement de financement) qui doivent être socialement gérés. Mais, ce crédit générera, quand même, de l’endettement.
Soyons clair. La monnaie est un actif financier qui donne des droits à une partie de la production futur. En contrepartie, des agents doivent être endettés (État, entreprises ou ménages). La monnaie libre, sans contrepartie en termes de dette, n’existe tout simplement pas.
Pages 10 à 12 : Il est assez surprenant que les auteurs ne connaissent pas les principes élémentaires de la macroéconomie qui amènent à distinguer les situations de sous-emploi (et les politiques qui peuvent amener au plein-emploi) et les situations de plein-emploi (qui amènent à faire des arbitrages entre les différentes dépenses possibles, entre dépenses publiques et privées). Pourtant, mon texte distingue avec soin les deux situations, l’une où la hausse des dépenses permet la hausse de la production, l’autre où une hausse spécifique de telle ou telle dépenses doit être compensée par une baisse d’une autre dépense ou la hausse d’un impôt. C’est précisément la distinction entre ces situations, qui permet aux économistes keynésiens de montrer qu’il ne faut pas faire de politique d’austérité en période de sous-emploi. Par contre, on ne peut discuter de la pertinence d’un programme important durable de dépenses publiques, sans discuter de son financement. Il faut des cotisations pour financer les retraites et des impôts pour financer l’école. Avoir écrit cela, me vaut le reproche de GDG de négliger «la dimension monétaire dans le financement de l’État », de prôner l’austérité budgétaire. GDG se placent bien dans la lignée des économistes Internet qui pensent que tout peut être financer sans limite par la création monétaire.
GDG se lancent dans des accusations délirantes. Par exemple, j’écris page 3 : Le crédit anticipe l’épargne. Ce ne peut pas être l’épargne qui détermine le crédit, et l’investissement, puisque l’épargne n’est pas constituée au début de la période. Il n’y a pas d’épargne préalable, mais l’épargne (générée par l’investissement) apparait finalement. Cette propriété des économies monétaires est résumée par la formule : « l’investissement crée l’épargne » ou, du point de vue monétaire, par la formule : « les crédits font les dépôts ». Eux écrivent page 10 : « HS croit, selon une idée fausse, même si elle est parfois encore enseignée, que tout investissement ne peut être financé que par une épargne constituée préalablement. Or l’investissement peut évidemment être financé par le crédit. En dépit de son keynésianisme affiché, HS adhère par conséquent à la conception néo-classique erronée qui veut que ce soit l’épargne qui crée la monnaie ». Le contraire même de ce que j’ai écrit. Ne savent-ils pas lire ?
GSG ne veulent pas comprendre un autre point évident. La Banque centrale a un passif constitué pour une part de billets, disons 10% du PIB, 250 milliards, qui ne lui coûte pas de charge d’intérêt ; pour une part de réserves nettes bancaires, disons 10% du PIB, 250 milliards. Elle peut détenir 500 milliards de titres publics. Actuellement, les taux d’’intérêt sont nuls ; le problème des charges d’intérêt ne se pose pas. Supposons que les taux d’intérêt montent à 3%. Les titres publics rapporteront 15 milliards à la Banque centrale, qui devra payer 7,5 milliards de charges d’intérêt aux banques (je suppose pour simplifier que les taux sont les mêmes sur les titres et sur les réserves). La Banque centrale fera un bénéfice de 7,5 milliards qu’elle reversera à l’État. C’est ce que l’on nomme le seigneuriage, le gain du fait de la non-rémunération des billets. Si la Banque centrale annulait les titres qu’elle détient, ou si les titres n’étaient pas rémunérés, elle aurait un déficit de 7,5 milliards. Aucune Banque centrale ne va pas se mettre dans cette situation. Imaginons que la Banque Centrale veuille détenir 100 milliards de titres publics supplémentaires ; elle ne peut augmenter la masse de billets en circulation ; ce sont les réserves bancaires rémunérées qui augmenteront. Il est erroné de penser qu’elle pourrait augmenter son financement à taux zéro de l’État. Pourtant GDG me contredisent, page 11 : « La rémunération des dépôts n’est pas un taux d’intérêt versé en remboursement d’une dette de la BC », phrase absurde, je n’ai jamais parlé de remboursement, mais de simple charge d’intérêt. Puis « s’endetter et créer des liquidités pour acheter des actifs sont deux actions bien différentes ». Pourtant le résultat est le même. Puis « les intérêts perçus par la Banque centrale et la rémunération des réserves bancaires suivent deux circuits distincts, et que l’une et l’autre dimensions n’ont aucune vocation à évoluer de manière similaire, de sorte que dire que ce sont les bénéfices de la Banque centrale sur les emprunts publics qui servent à rémunérer les réserves n’a aucun sens ». De toute évidence, ils n’ont jamais entendu parler de la gestion actif/passif que toute banque pratique, même la Banque centrale : les intérêt reçus sur l’actif financent les intérêts à payer sur le passif. Dans le cas de la Banque centrale, cette préoccupation n’est pas certes centrale (puisqu’il y a une marge grâce aux billets non rémunérés) ; elle existe cependant.
Page 12 à 14 : GDG croient devoir venir au secours de la MMT. Certes l’État peut financer ex ante toutes les dépenses qu’il souhaite ; cependant, ex post, il doit tenir compte des contraintes de l’équilibre macroéconomique et du désir des ménages quant à leurs placements financiers de sorte que la fameuse phrase de Wray : « Un gouvernement souverain dépense en émettant sa propre devise ...il n’a aucune contrainte quant à sa capacité à dépenser. Il n’a pas besoin d’impôts ou d’émissions d’obligations », si elle est vraie dans l’instant est fausse à plus long terme. Disons qu’elle est volontairement provocatrice et paradoxale. Tous les États modernes lèvent des impôts et émettent des titres publics. Pourquoi le feraient-ils s’ils n’en avaient pas besoin ? Tout vaste programme de dépenses publiques doit prévoir son financement, à la fois pour des raisons économiques (il doit être compatible avec les capacités de production) que pour des raisons démocratiques (le citoyen doit pouvoir évaluer les avantages du programme et son coût en termes d’impôt). La France ne pourrait pas décider de verser 300 milliards de prestations retraites, puis découvrir après qu’il faut lever des cotisations pour les financer.
Par contre, GDG en viennent à nier que la hausse de la demande interne induite par une politique budgétaire trop expansionniste puisse poser problème, qu’il y a un lien entre le niveau de la demande interne et le solde extérieur, ce qui est quand même navrant. L’ayant écrit, je me vois reprocher de « penser comme les économistes néo-classiques ». Ils reprennent les amusantes fabulations de la MMT : « L’État n’est plus limité par sa capacité à lever l’impôt, et l’impôt ne sert plus principalement à financer l’État, mais d’abord à orienter l’économie et à ralentir la progression de la masse monétaire ».
Page 14 à 16 : GDG reprennent leur fabuleuse proposition magique : il serait possible d’annuler une grande partie de la dette publique si la Banque centrale annulait les titres publics qu’elle détient. Mais pourquoi cette idée géniale sont-ils les premiers à l’avoir eu ? Pourquoi la Fed, la Banque d’Angleterres, la Banque du Japon n’annulent pas ainsi la dette de leur pays, elles qui n’ont pas les difficultés institutionnelles de la BCE ? GDG ne voient pas une contradiction de leur proposition : ils proclament que la Banque centrale est autonome (page 15 : « la BCE est indépendante et personne ne peut donc la forcer à s’engager sur son bilan »), mais pourquoi un organisme autonome accepterait d’annuler ses actifs et de se retrouver ainsi totalement démuni ? Si la Banque centrale n’est pas autonome et soumise à l’État, son déficit fait partie de la dette publique.
Un simple examen du bilan de la BCE montre qu’en contrepartie de la détention de titres publiques à son actif, le passif de la BCE se compose de billets et de réserves nettes des banques. Si la BCE annulait son actif, elle aurait un bilan déficitaire, bilan qui serait attribué à ses actionnaires, les États membres, de sorte que la dette publique de ceux-ci ne serait pas modifiée.
La France aura, fin 2021, une dette publique de 120% du PIB, tandis que la Banque de France aura un bilan à peu près équilibré. Si d’un clic, on décidait (mais qui on, la Banque de France ?) que la dette publique est de 100% du PIB, mais que la Banque de France a une dette nette de 20% du PIB, la détention de dette publique par aucun agents privés ne serait modifié. La mesure n’aurait donc aucun impact macroéconomique. Personne ne serait dupe de l’opération à Bruxelles ou sur les marchés financiers ou chez les économistes. On peut penser qu’un tel tour de passe-passe inquiéterait les épargnants plutôt que les rassurer.
Leur grand argument est que la BCE pourrait fonctionner avec un capital négatif. Certes, mais ce capital négatif serait attribué aux dettes publiques nationales. En fait, il existe une unité entre la Banque centrale et les États, tant que la Banque centrale garantit le placement de la dette. La convention est que la Banque centrale a un bilan équilibré et c’est l’État qui porte la dette. Changer de convention n’aurait aucun impact macroéconomique.
Certes, les finances publiques économiseraient environ 8 milliards de charges d’intérêt, mais la Banque de France aurait une perte du même montant, elle ne verserait pas de dividendes à l’État (7 milliards en 2019) et l’État devrait combler ses pertes. Finalement, le gain serait nul.
L’opération envisagée est donc impossible du point de vue institutionnel, inacceptable du point de vue comptable (c’est dissimuler son endettement dans les comptes d’une filiale) et parfaitement neutre du point de vue macroéconomique. C’est d’ailleurs ce qu’écrivent Christophe Blot et Paul Hubert dans leur Policy brief : https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2020/OFCEpbrief80.pdf [3]; mais aussi le député Laurent Saint-Martin, dans son rapport pour l’Assemblée nationale : « L’annulation de la dette publique conduit-elle vraiment à̀ faire disparaitre cette dette ? C’est bien le bilan de la banque centrale qui supporte le poids de cette annulation, qui peut alors plutôt entre vu comme un transfert de dette, des États vers l’institution qui n’a pas pour objet d’épurer leur dette, mais de faire fonctionner leur système monétaire et financier. Il faut rappeler que la monnaie est elle-même une dette. Un agent économique qui détient un billet de banque détient une créance sur la banque centrale, qui est la garante que la monnaie permet d’acquérir des biens et des services à sa valeur faciale, modulo l’inflation. Lorsque la banque centrale supprime des créances publiques qu’elle a financées par de la création monétaire, la monnaie émise, qui demeure en circulation, représente toujours une dette de la banque centrale. Il y a bien eu transfert de dette de l’État vers la banque centrale ». Que dire de plus ?
Pour rendre la mariée plus belle, GDG prétendent que les 480 milliards d’annulation de la dette publique pourraient être utilisé pour des investissements verts, mais cela n’a aucun sens puisque ces 480 milliards ne seraient pas libérés. Ils figureraient toujours au passif de la Banque centrale. Aucun agent privé ne réduirait sa consommation ou son investissement. Les marges de manœuvres disponibles entre les capacités de production et la demande ne serait pas modifiées.
Certes, les critères européens sur le montant du déficit et de la dette doivent être remis en cause[4] , mais cela doit être discuté clairement, sur la base d’arguments économiques sérieux (il ne faut réduire les déficits publics que s’ils provoquent des déséquilibres macroéconomiques, pas s’ils y remédient), et non par un tour de magie consistant à dissimuler les dettes publiques.
La BCE a acheté environ 480 milliards d’euros de la dette publique française durant ces dernières années. Le gouvernement français perdrait tout crédit auprès d’elle, de ses partenaires ou des marchés financiers s’il lui demandait, maintenant, d’annuler cette dette. Un économiste français se déconsidérerait s’il allait prôner cela à Bruxelles ou à Frankfort. Ce n’est heureusement pas nécessaire quand la France peut s’endetter, autant que besoin, à des taux nuls ou négatifs.
Pour conclure : Il y a peu à tirer de cette réponse. Visiblement, Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne n’ont pas été capables de tirer profit de la lecture attentive que j’ai fait de leur ouvrage. Eux et malheureusement Gaël Giraud (que vient-il faire dans cette galère ?) croient utiles de se défendre par des arguments agressifs, de mauvaise foi, hors de la connaissance commune des économistes. Ils ne maitrisent ni les principes élémentaires de la macroéconomie, ni ceux de la théorie monétaire. Je ne peux que répéter : « Annuler la dette publique suppose de spolier ses détenteurs ; la faire endosser par la Banque centrale est fictif et sans effet. Il n’y a pas de monnaie libre sans endettement. L’important programme d’investissement indispensable pour la transition écologique doit être financé par des impôts et du crédit ; il générera une dette ».
[1] https://blogs.mediapart.fr/henri-sterdyniak/blog/071120/la-monnaie-magique-encore-une-lecture-de-l-ouvrage-une-monnaie-ecologique
[2] Voir « Changer d’économie », « Nouveau Manifeste des économistes atterrés » ou « Macron, un mauvais tournant » aux Éditions Les Liens qui Libèrent.
[3] Malheureusement, ceux-ci préconisent que l’État se finance en émettant des obligations perpétuelles à coupon zéro, que la Banque centrale achèterait. Ils ne voient pas que ces obligations auraient une valeur nulle, de sorte que l'opération qu’ils proposent équivaut à l’annulation des dettes publiques détenues par la Banque centrale, opération qu’ils récusent.
[4] Voir, par exemple, Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak (2019): « Euro Area Macroeconomics, Where Do We stand 20 years Later? », Revue de l’OFCE, May.