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Billet de blog 3 décembre 2024

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Quelques points de théorie monétaire

A l'occasion de la.critique de l'ouvrage "Introduction aux sciences économiques", je développe quelques points de théorie monétaire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cherchant des lectures à conseiller à mes étudiants, j’ai consulté l’ouvrage : Introduction aux sciences économiques de Olivier Gossner, Jean-Baptiste Michau et Vincent Rollet, Economica, 2024. Cet ouvrage est, sans doute, pertinent pour les questions de théorie des jeux, peut-être aussi pour les questions de microéconomie. Par contre, spécialiste de macroéconomie monétaire, j’ai été étonné par ses erreurs en la matière (chapitre 12 et 13).

Page 331, les auteurs écrivent « Ainsi, l’offre de crédit correspond à l’épargne des ménages », comme si les banques attendaient l’épargne des ménages pour distribuer du crédit.

Page 334, est décrit un marché du crédit qui s’équilibrerait par le taux d’intérêt réel. Mais ce marché n’existe pas ; c’est une vision pré-keynésienne. L’offre de crédit des banques ne dépend pas d’une épargne des ménages préexistante ; ce sont les crédits qui font les dépôts. De même, que c’est l’investissement qui détermine l’épargne. Plus loin, page 373, les auteurs écrivent, avec justesse, que le taux d’intérêt nominal est déterminé par la Banque centrale, que le taux d’inflation est rigide à court terme, sans voir que cette détermination du taux d’intérêt réel est contradictoire avec leur schéma de la page 334.

Page 377, les auteurs titrent un paragraphe : « Le rôle de la monnaie à long terme », sans définir ni le rôle, ni la monnaie, ni le long terme.  En fait, ils reprennent l’équation quantitative de la monnaie : MV=PY, en supposant que M est exogène, sans expliquer pourquoi les autorités monétaires feraient varier M et provoqueraient de l’inflation ; en supposant que la vitesse de circulation est fixe et lié aux habitudes de règlement des dépenses. Ils ne se posent pas la question : quelle définition de la masse monétaire ? A-t-on une définition de la masse monétaire, M, telle que M soit contrôlé par la Banque centrale et soit uniquement un instrument de transaction ? 

Les Banques centrales n’ont jamais contrôlé directement l’évolution de la masse monétaire et ont même renoncé à prétendre la contrôler. Elles savent aujourd’hui qu’il n’y a aucun lien fixe entre l’inflation et la masse monétaire (quelle que soit sa définition). Par exemple, la masse monétaire peut augmenter parce que les ménages épargnent plus ou parce qu’ils veulent conserver leur épargne dans des placements sans risque dits monétaire sans risque. Dans ces deux cas, la hausse de la masse monétaire induit une baisse de la consommation, donc de l’activité et de l’inflation.

Peut-on en 2024 reprendre sans esprit critique la phrase de Milton Friedman : L’inflation est partout et toujours un phénomène monétaire, phrase qui n’explique en rien les chocs inflationnistes.

La relation de long terme qu’ils exhibent page 379 entre masse monétaire et prix est une pure corrélation, pas une relation de causalité.   A long terme, le prix du ticket de métro augmente comme le niveau général des prix, ce n’est pas pour autant que le prix du ticket de métro détermine l’inflation. On ne peut en macroéconomie exhiber une relation de long terme sans montrer qu’elle est effectivement le résultat de comportements, de relations et d’équilibres de court terme.

Page 381, la monnaie est assimilée aux actifs ne rapportant pas de taux d’intérêt, soit M1, ce qui est arbitraire car des actifs rapportant des intérêts comme les comptes sur livret sont immédiatement utilisables. Par ailleurs, cette masse monétaire, M1, n’est pas contrôlable par les autorités monétaires, car elle n’a pas de contrepartie précise puisqu’elle traverse le bilan des banques commerciales : certains dépôts seraient de la monnaie (les comptes à vue), d’autres ne la seraient pas (les comptes sur livrets).

Les auteurs expliquent, page 382 : « Pour augmenter la masse monétaire, la Banque centrale achète des obligations avec de la monnaie nouvellement imprimée ». C’est saugrenu et périmé. La masse monétaire augmente surtout parce que les banques (grandes absentes de l’explication) accordent du crédit aux entreprises ou aux ménages ; la contrepartie de ces crédits ce sont ex post des dépôts bancaires, mais aussi des titres détenus par les ménages, généralement par l’intermédiaires d’OPCMV ou d’assurance-vie. Elle augmente aussi en raison du déficit public, financé ex post pareillement par des dépôts et de titres. Certes, la banque centrale peut acheter des obligations aux banques, mais la contrepartie est la hausse des dépôts des banques à la Banque centrale, la masse monétaire n’augmente pas et la banque centrale n’imprime pas de billets à cette occasion.

Page 384, les auteurs proposent un schéma selon lequel le taux d’intérêt serait fixé par l’équilibre entre une offre de monnaie rigide et une demande de monnaie, fonction négative du taux d’intérêt. Cet équilibre, noté LM jadis, n’a aucun sens[1]. Le taux d’intérêt de court terme est fixé par la Banque centrale, le taux long par les marchés financiers. Les ménages choisissent de détenir des billets, des dépôts à vue ou à terme, des comptes sur livrets, des placements en OPCVM, des actions selon la rentabilité anticipée et les risques de ces placements, la frontière entre actifs monétaires et actifs non-monétaires est arbitraire.    

Page 385, les auteurs reconnaissent que « les banques centrales conduisent leur politique monétaire en fixant le taux d’intérêt nominal plutôt que la masse monétaire ». La masse monétaire ne serait donc plus exogène. Mais ils ajoutent : « elles ajustent pour cela la masse monétaire en fonction des fluctuations de la demande de monnaie ». Ce n’est pas ainsi que les choses se passent. Quand la BCE décide de baisser les taux d’intérêt, elle diminue son taux directeur, actuellement le taux auquel elle rémunère les dépôts des banques auprès d’elles, et les banques répercutent cette baisse sur le taux de leurs crédits. Cela ne passe pas par un imaginaire équilibre entre la demande et l’offre de monnaie, ni par « une augmentation du nombre de billets imprimés par la banque centrale » comme les auteurs l’imaginent page 385.

Cependant, plus loin, dans un encadré page 392, les auteurs découvrent que « Depuis 2016 (sic), les banques centrales ne conduisent plus leur politique monétaire en modifiant la masse monétaire par des opérations d’open-market, mais en modifiant directement les taux d’intérêt sur les réserves détenues par les banques auprès de la banque centrale ». Il leur faudrait faut tout repenser puisqu’alors la masse monétaire n’est plus exogène.

Page 387, on apprend que : « Le taux d’intérêt réel qui est compatible avec le niveau naturel de la production est celui qui égalise l’offre et la demande de crédit. Il s’agit du taux d’intérêt naturel…. Si la banque centrale contrôle le taux d’intérêt nominal, elle ne peut s’éloigner du taux d’intérêt naturel sans déstabiliser l’activité économique. ».  Mais, nous l’avons vu, il n’existe pas de détermination du taux d’intérêt par le marché du crédit. Les auteurs sont incohérents en écrivant à la fois que le taux d’intérêt est déterminé par l’équilibre du marché du crédit et qu’il est contrôlé par la banque centrale.  Il aurait fallu écrire que la banque centrale fixe le niveau du taux d’intérêt, d’où le taux d’intérêt du crédit fixé par les banques, d’où le niveau des crédits accordés, d’où le niveau de production. Certes, comme le disent les auteurs, la politique monétaire souhaitable est celle qui maintient la demande au niveau de la production potentielle (que les auteurs nomment niveau naturel de production). Ils auraient pu ajouter que la politique économique (monétaire et budgétaire) est optimale si elle aboutit à un taux d’intérêt proche de celui de la règle d’or de la croissance économique, c’est-à-dire au taux de croissance nominale. 

Le plus choquant pour moi, ce qui m’a conduit à écrire cette longue critique, est l’encadré de la page 383. Les auteurs écrivent : « Si la Banque centrale effectue de mauvais placements, par exemple en achetant des obligations qui perdent de leur valeur, la quantité de monnaie dans l’économie devient supérieur à la taille de son portefeuille. La Banque centrale perd donc sa capacité à diminuer la masse monétaire en vendant ses obligations...Le Ministre des Finances doit lever des impôts afin de financer l’achat d’obligations, qui sont transférés à la banque centrale, qui peut alors les vendre afin de réduire la masse monétaire. Cette opération revient à lever des impôts et à brûler la monnaie ainsi récupérée ! ». Quelle imagination…En réalité, une perte d’exploitation de la banque centrale n’a aucun impact sur l’équilibre monétaire, ni sur ses capacités d’action. Remarquons que « la quantité de monnaie dans l’économie » ne figure pas dans le bilan de la Banque centrale ; n’y figurent que les billets.  Fin 2023, le bilan de la BCE comportait au passif les billets, de l’ordre de 10% du PIB de la zone euro et les dépôts des banques commerciales, de l’ordre de 23% du PIB. Il comportait à l’actif le refinancement des banques (3% du PIB environ) et des obligations (32% du PIB environ). Imaginer que la Banque centrale n’a plus la capacité de vendre des obligations n’a aucun sens.  Par ailleurs, quand la Banque centrale vend des obligations, ce ne sont pas les billets en circulation qui se réduisent (les ménages n’arbitrent pas entre billets et titres), mais les réserves bancaires ; la banque centrale ne brûle jamais les billets pour réduire la masse monétaire. Une politique monétaire restrictive est toujours possible en augmentant le taux directeur (ou mieux en réduisant le déficit public).

 Pour conclure

Il existe des sciences économiques. Être un spécialiste de la microéconomie, de la théorie des jeux, de la finance, ne permet pas d’être pertinent en matière de macroéconomie monétaire.

Un chapitre consacré à la macroéconomie monétaire aurait dû montrer l’importance de l’offre de crédit, montrer que les crédits anticipent l’épargne, que les crédits font les dépôts comme l’investissement crée l’épargne. La politique monétaire fixe le taux directeur en fonction de l’inflation et de l’écart de production. Les taux longs sont fixés par les marchés en fonction de leurs anticipations sur les taux courts et d’éventuelles primes de risque. La banque centrale garantit le financement de l’État et le refinancement des banques. L’inflation dépend, période après période, des déséquilibres entre demande et offre de biens, des tensions sur le marché du travail, des tensions sur le partage de la valeur ajoutée. Il n’y a pas de spécificité de la monnaie. 

[1] Voir, par exemple, Jérôme Creel et Henri Sterdyniak :  « Pour en finir avec la masse monétaire », Revue Économique, mai 1999. Ou « La macroéconomie sans monnaie », Revue de l’OFCE, Juillet 1999.

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