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Billet de blog 7 juillet 2025

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Financer la protection sociale

La protection sociale représente 31,5% du PIB. C'est un élément crucial du modèle social français, Elle doit être financée par la CSG et l'IR pour la famille et la maladie, par des cotisations pour les retraites et le chômage. La hausse de la CSG et des cotisations retraites doit être accepté ; la retraite est un droit social qui doit être garanti. La TVA social est un mythe trompeur.

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Jusqu’à présent, le modèle social français résiste bien. Les dépenses de protection sociale représentent environ 31,5% du PIB[1]. Ce ratio est grosso modo stable depuis 2015. Les dépenses sociales ne sont pas responsables de la dégradation récente des finances publiques.

Pourtant, les essayistes et les hommes politiques libéraux, remettent en cause la protection sociale en essayant de provoquer la récolte des jeunes générations et des actifs contre les cotisations sociales, tandis que les milieux financiers grignotent le système public par les complémentaires santé, la retraite par capitalisation la financiarisation de la santé, des crèches, des EHPAD…

Certes, la protection sociale française n’est pas parfaite, elle pourrait être améliorée, mais elle doit être défendue, c’est un instrument primordial du bien-être de la population, de la cohésion sociale, de la réduction des inégalités de revenus. Ses dépenses s’écartent de la logique marchande et capitaliste. Elle participe d’un compromis nécessaire entre le marché et le socialisme.

La question du financement de la protection sociale peut être posée aujourd’hui pour cinq objectifs différents : augmenter ses ressources pour financer une hausse des dépenses sociales ou pour réduire le déficit public, modifier la structure du financement pour augmenter les salaires nets, pour favoriser l’emploi ou pour améliorer la compétitivité des entreprises. Il faudra choisir.  

Compte tenu de l’évolution démographique, la part dans le PIB des dépenses de retraite et de dépendance devrait augmenter. S’y ajoutent les progrès technologiques pour les dépenses de santé. Par ailleurs, il serait souhaitable d’améliorer les prestations famille et les prestations d’assistance. Cela demande de dégager des moyens financiers ; ceux-ci doivent être perçus comme juste par la population. Cela suppose un combat idéologique contre les libéraux et le patronat pour défendre l’impôt, les cotisations, les dépenses sociales.

Des comptes sociaux autonomes ?  

En 2024, le déficit public était de 5,8% du PIB, mais, en Comptabilité Nationale, le compte des Administrations publiques de sécurité sociale (ASSO) était excédentaire de 2,3 milliards d’euros (voir annexe 1) était équilibré. Le discours catastrophique récurrent sur la situation financière de la Sécurité sociale s’appuie sur le refus des gouvernements d’augmenter légèrement, année après année, les taux de cotisation pour suivre la hausse normale des dépenses de santé et de retraites et sur l’exigence imposée à la Sécurité sociale de rembourser la dette sociale, année après année, alors que l’État fait rouler la sienne. 

Les évolutions récentes ont fait que la séparation des comptes des ASSO et de l’État est devenue arbitraire. Ainsi, en 2024, les exonérations de cotisations sociales représentent 95,4 milliards et les impôts affectés aux ASSO (hors CSG-CRDS, prélèvements sociaux et autres impôts à vocation sociale) 100,3 milliards. Les ASSO prennent en charge 9,7 milliards de dépenses que l’on peut estimer indues (minimum vieillesse, France-Travail, prélèvement sur l‘Unedic). L’État ne paie pas de cotisations maladie et famille sur les primes des fonctionnaires, ce qui coûte environ 5 milliards à la Sécurité sociale. Par ailleurs, on peut estimer à 28 milliards le montant des subventions d’équilibre au régime de la FPE et aux régimes spéciaux, qui compensent essentiellement le déséquilibre démographique de ces régimes et la prise en charge par l’État de retraites d’entreprises sorties du champ public (Orange, La Poste) Au bilan, les exonérations de cotisations sociales pèsent pour 95 milliards dans le déficit public (3,2% du PIB) et les transferts implicites nettes de l’État aux ASSO pour 13 milliards (28-10-5, 0,5 % du PIB).

Enfin, certaines dépenses sociales sont prises en charge par l’État (AAH, allocations logement, bourses scolaires et universitaires) pour 40 Mds€, d’autres par les départements (RSA, PCH, ASE, APA) pour 48 Ms€ théoriquement compensés par l’État. Mais l’État récupère la CSB (contribution sociale pour les bénéfices, 1,2 Mds€, et les prélèvements sociaux sur les revenus du capital pour 8,3 Mds€. Le partage État/collectivités locales/Sécurité sociale est donc délicat, pour ne pas dire impossible à faire.

Des ressources de la protection sociale

La Sécurité sociale a été conquise par les luttes des travailleurs. Elle était jadis réservée, développée et financée par les salariés. Elle couvrait essentiellement les salariés et leur famille. Depuis, la protection sociale s’est étendue à tous les actifs pour la retraite, à tous les résidents pour la famille, la maladie et les prestations d’assistance comme le RSA. En même temps, logiquement, depuis 1991, son financement ne s’est plus seulement effectué par des cotisations, mais aussi par la CSG portant sur l’ensemble des revenus[2] et par des impôts divers, essentiellement la TVA, pour compenser les exonérations de cotisations sociales.

On peut regretter l’affaiblissement du lien entre le salariat et la protection sociale, qui a permis de remettre en cause le droit des syndicats à cogérer la protection sociale. La CSG a permis aux gouvernements successifs d’augmenter le financement par les ménages, sans augmenter le financement par les entreprises, que les exonérations de cotisations sociales réduisaient en parallèle ; il leur a permis de faire cotiser les retraités et les chômeurs, mais aussi les revenus du capital reçus par les ménages. Ainsi, en y ajoutant les prélèvements sociaux, les revenus du capital contribuent maintenant à la protection sociale au taux de 17,2%, ce qu’il serait peu avisé de remettre en cause.  Mais, cette contribution des revenus du capital ne doit pas remettre en cause la légitimité des syndicats (en tant que représentant des salariés, des retraites et des chômeurs) d’intervenir sur les questions de politiques de santé ou de politique familiale. 

Le financement de la Sécurité sociale est fragilisé par les exonérations de cotisations sociales employeurs (88,5 milliards de cotisations compensés prévus en 2025), de cotisations salariées sur les heures supplémentaires (2,5 milliards non compensés), les exonérations sur les revenus extra-salariaux, participation, intéressement, prévoyance complémentaire, prime de partage de la valeur ajoutée (12 milliards non compensés). La compensation des exonérations de cotisations employeurs a le défaut de permettre des transferts arbitraires de recettes fiscales entre les différentes branches, en particulier au détriment de la branche famille.  Il eut été préférable de maintenir les cotisations sociales employeurs et de subventionner directement l’emploi.  

Le principe : « Tous les revenus d’activité doivent payer les cotisations sociales » devrait être réaffirmé ; il faut revenir sur développement des rémunérations extra-salariales au détriment de la Protection sociale devrait être évitée à l’avenir. Par contre, compte-tenu des arbitrages que peuvent effectuer les entreprises entre emplois et machines et des problèmes de compétitivité/rentabilités des PME, la réduction des exonérations de CSE ne peut être que progressive.

LA CSG a le mérite de faire contribuer tous les revenus à la protection sociale. C’est la ressource à privilégier pour augmenter, si nécessaire, des ressources des banches maladie ou famille. Elle devait être proportionnelle et donc simple, mais pour des raisons historiques, elle est compliquée (avec des exonérations et des taux réduits pour les retraités et les chômeurs, mais pas pour les salariés qui bénéficient, eux, de la prime d’activité ; des parts de la CSG imposables, d’autres non). Il est difficile de le faire évoluer sans nuire à telle ou telle catégorie de retraités, chômeurs ou salariés.

Le taux de CSG-CRDS-CSA est de 9,7% pour les salaires (9,53 après déduction des frais professionnels), de 9,1 % sur les retraites, de 6,7 % sur les allocations chômage. L’écart entre 9,7% et 9,1% ne peut pas être considéré comme une niche sociale, dans la mesure où jadis les retraites ne subissaient pas de cotisations et que la hausse de la CSG s’est faite à leur détriment ; dans la mesure aussi que 1,5 point de la CSG sur les salaires financent les prestations chômage : abstraction de ces 1,5 point, les retraités paient plus de CSG que les actifs.  

Certains proposent de rendre la CSG progressive, mais avoir deux prélèvements progressifs (obligatoirement familialisés, selon la jurisprudence du Conseil Constitutionnel) serait compliqué ; fusionner la CSG et l’impôt sur le revenu (IR) ferait disparaître l’autonomie du financement social. Rendre toute la CSG déductible favoriserait les plus riches (sauf si les taux de l’IR étaient revus en parallèle à la hausse). La rendre entièrement non déductible serait peu justifié puisque les ménages comprennent mal pourquoi payer de l’IR sur des sommes qu’ils ne reçoivent pas.

 Des dépenses sociales.

Les prestations d’assistance, et notamment le RSA, sont trop faibles actuellement, ce qui contribue à maintenir 21,4% des enfants sous le seuil de pauvreté.  Elles sont et doivent logiquement être financées par l’impôt sur le revenu.

Les prestations famille et santé, prestations universelles, devraient logiquement être financées par l’IR ou la CSG.  La CSG est moins redistributive que l’IR ; par contre, c’est une ressource directement affectée à la protection sociale.  Leur caractère universel doit être maintenu. Réduire les prestations santé des plus riches, comme parfois suggéré, ouvrirait un nouveau boulevard aux assurances complémentaires, puis à un système de santé à deux vitesses.

Le taux de fécondité baisse dangereusement en France, passant de 2 jusqu’en 2014 à 1,6 actuellement. Le taux de pauvreté des enfants est, nous l’avons vu, de 21,4%, en fait des familles avec enfants, et surtout des familles monoparentales et des familles nombreuses. Les allocations familiales devraient être nettement augmentées, versées dès le premier enfant, redevenir universelles, quitte à être rendues imposables. L’ASF et les pensions alimentaires devraient être revalorisées. Les « économies » réalisées à court terme par la baisse de la natalité doivent être utilisées pour améliorer la situation des familles (allocation au premier enfant, hausse de l’ASF, financement des crèches), ni pour financer les retraites, ni réduire le déficit public.

Cela pose la question d’augmenter les recettes de l’IR. Les dépenses fiscales et la taxation des revenus financiers devraient être repensées avec le principe : « Tous les revenus des ménages doivent payer l’IR progressif et la CSG. Tous les revenus du capital doivent payer les prélèvements sociaux ». Les privilèges fiscaux de l’assurance-vie, des PEA, de l’intéressement-participation, devraient être remis en cause.

Les plus-values non distribuées qui permettent aux plus riches d’échapper à l’IR devraient être taxées, sinon en temps réel, du moins au moment de leur réalisation, en particulier en cas de donation ou décès ou de passage dans un holding financier ad hoc.  Faut-il taxer aussi les loyers imputés ? Le sujet est trop brulant pour être discuté ici.

La hausse de la TVA n’est pas utilisable pour augmenter les ressources de la Protection sociale. Elle se traduirait par une hausse des prix, donc des salaires (et des prestations sociales). Elle enclencherait donc une spirale prix-profit-salaires, qui induirait des pertes de compétitivité. Ex post, la charge serait répartie entre salaires- profit -prestations sociales en fonction des règles d’indexation et des rapports de force, au prix d’une perte de compétitivité et donc d’activité. Il est préférable d’utiliser la CSG ou l’IR, qui désignent clairement les agents qui devront payer pour plus de dépenses de santé ou de prestations familiales.

Les successions sont actuellement peu imposés (20 milliards sur environ 450 milliards par an). Elles vont augmenter de façon importante dans les années à venir, avec le décès des générations nombreuses d’après-guerre.  Elles profitent essentiellement à des personnes de plus de 55 ans.  Une forte taxation des donations et héritages demanderait une forte campagne pour faire évoluer l’opinion publique actuellement réticente à cet impôt.  

Une grande réforme devrait faire passer le produit à 45 milliards au minimum. Elle pourrait comporter une baisse des taux pour les successions autres qu’en ligne directe, le cumul des héritages reçus tout au long de la vie, la baisse des avantages du pacte Dutreil, une hausse des taux au-delà de 500 000 euros et peut être même au-delà de 54 ans (âge de la retraite moins 10 ans).  Les héritiers d’entreprises dites familiales pourraient payer en actions de leur entreprise.

Logiquement, le produit de cet impôt ne devrait pas être consommé mais être investi, par exemple dans des investissements publics, dans la construction de logement sociaux ou dans la socialisation partielle d’entreprises. Il pourrait aussi être utilisé pour verser une allocation de départ aux jeunes entre 18 à 25 ans, disons de 120 000 euros, qui serait délivré sur projet (études, logement, projet entrepreneurial) comme le font les familles riches avec leurs enfants.

A propos des assurances sociales

Les prestations chômage et retraites sont des prestations d’assurances sociales qui doivent être financées par des cotisations employeurs et salariales assisses sur les revenus couverts. Elles ne peuvent être financées par les revenus du capital, qui n’ont pas droit à des prestations chômage ou retraite. Le financement des retraites par les revenus du capital réduirait la légitimité des syndicats de les cogérer ; elle irait dans le sens d’une prestation forfaitaire.  Faire davantage payer le capital pour les retraites doit se faire par la hausse des cotisations sociales patronales. Les syndicats français ont heureusement choisi de maintenir les retraites comme salaires différé (« retraité, tu restes un travailleur ») plutôt que comme une rente découlant du profit des entreprises en France ou à l’étranger (le retraité ne devient pas un rentier).

La hausse des cotisations retraites serait nécessaire pour éviter une forte baisse relative des retraites et maintenir des conditions satisfaisantes de départ à la retraite. Les projections du COR prévoient la stabilité de la part des retraites dans le PIB autour  de 13,5 % jusqu’à 2050 et la baisse du ratio entre retraites nettes et salaires nets de 67% en 2024 à 60% en 2050 (-10,5 %).  Cette dégradation n’est pas inéluctable : elle provient d’un choix politique, stabiliser les taux de cotisation retraite, sur lequel les générations futures pourront revenir. Par exemple, une hausse de 3,5 points (0,15 point par an) des cotisations d’ici 2050 permettrait d’éviter la baisse annoncée du niveau relatif des retraites. Par ailleurs, les 20 milliards que verse l'Etat pour compenser la dégradation démographique du régime de la Fonction publique devraient être traité comme subvention plutôt que comme surcotisation des fonctionnaires.

En 2024, sur 165 Mds de profit net des sociétés, 21 finançaient la FNCF, 107 étaient distribués, 37 servaient au désendettement des entreprises ; le surprofit, la part du profit non utilisé pour l’investissement, représentait donc 144 milliards pour 960 milliards de masse salariale, 752 milliards de salaires bruts. Le taux effectif de cotisations employeurs a baissé de 41% de 1980-1994 à 32% en 2024. Il y a donc des marges disponibles pour augmenter les CSE en parallèle d’une hausse des cotisations salariales.

La pénibilité des emplois doit être mieux prise en compte ; les entreprises doivent revoir les conditions de travail et les carrières pour que tous les salariés puise aller jusqu’à l’âge du taux plein dans des conditions satisfaisantes ; des solutions doivent être ouvertes aux seniors que les entreprises refusent d’embaucher (une personne de plus de 60 ans, chômeuse de longue durée depuis plus de 2 ans, devrait se voir offrir un emploi dans une collectivités locales, une association ou une entreprise d’insertion ou avoir le droit à sa retraite au taux plein). Par contre, il faut renoncer au retour à la retraite à 60 ans pour tous, au départ à taux plein à 40 annuités. On ne peut augmenter de façon excessive les dépenses de retraites alors qu’il existe d’autres besoins sociaux que les retraites : famille, éducation, santé, dépendance et surtout transition écologique.

Moins taxer le travail ?

On entend souvent : "Le financement de notre modèle social repose trop sur le travail ». Cela n’a de sens que si on désigne explicitement les revenus qui pourraient être taxés au lieu des revenus du travail. Or, il est légitime que les prestations retraites et chômage ne soient financés que par les revenus couverts. Les revenus du capital contribuent déjà par la CSG et les prélèvements sociaux. Historiquement, les revenus de remplacement ne subissaient pas de cotisations :  la règle était : « pas de cotisations sur les prestations » : elle est maintenue pour les prestations familiales et pour l’AAH. Les prestations chômage contribuent maintenant au taux de 6,7% ; les retraités au taux de 9,1 % contre 9,7 % pour les salariés. Toutefois, 1,47 point de la CSG sur les salaires finance des prestations chômage dont les retraités ne bénéficient pas ; ces 1,47 point déduit, les retraités contribuent plus que les salariés.

Sous l’impulsion d’Antoine Foucher, l’U2P, l’union des entreprises de proximité, a proposé de supprimer la CRDS-CSG sur les revenus d’activité (pour un coût de 116 milliards). En fait, aucun argument ne pourrait justifier que la CSG frappe tous les revenus, sauf les revenus d’activité. Il faudrait supprimer totalement le CRDS-CSG pour 160 Milliards. Plaisante proposition compte-tenu du déficit public actuel.  L’U2P propose en contrepartie une hausse du PFU de 30 à 33% (pour 6 Milliards), la fin de l’abattement de 10% sur les retraites (pour 5 milliards) et la désindexation des retraites supérieures à 2500 euros (pour 12 milliards), une hausse des droits de successions (pour 10 milliards) et une illusoire hausse de la TVA (voir plus bas). Avec 33 milliards, on est loin du compte, surtout que Bercy lorgne sur ces recettes potentielles pour réduire le déficit public.

Les cotisations employeurs maladie et famille représentent, en 2025, 120 milliards d’euros, soit en moyenne 10% des salaires bruts, soit 0% au niveau du SMIC, 10,45 % pour les salaires de 1,6 à 2,5 SMIC, 16,45 % pour les salaires de 2,5 à 3,5 SMIC, 18,25 % au-delà de 3,5 SMIC. Dans la mesure où les prestations maladie et famille sont devenus universelles, ces prestations devraient être financées par l’ensemble des revenus. Les prélèvements sociaux font que les revenus du capital y contribuent déjà. Aussi, certains proposent de faire contribuer aussi les retraités, ce qui permettrait soit d’augmenter les salaires nets, soit de réduire le coût du travail.  Compte-tenu de leurs masses respectives, ces 120 milliards devraient porter pour 90 milliards sur les salaires, pour 30 milliards sur les retraites. Deux modalités sont possibles.

La première consisterait à supprimer ces cotisations employeurs tout en imposant aux entreprises d’augmenter les salaires de 10% ; ensuite, le taux de CSG sur les salaires et sur les retraites serait augmenté de 7 points. Ainsi, une baisse de 7% des retraites financerait une hausse de 2,3% des salaires, le ratio moyen retraites nettes/salaires net passerait de 66% à 59 %. Se pose une question juridique : peut-on contraindre les entreprises à augmenter leurs salaires de 10% (d’autant que l’opération ne serait pas neutre pour les entreprises à bas salaires) ?  Cette réforme augmenterait le coût du travail pour les bas salaires. Elle supprimerait la légitimité du patronat à intervenir dans les questions de politique familiales ou de politiques de santé. Par contre, elle accélérerait la paupérisation des retraités prévue dans les projections officielles (celles du COR ou celles que la France transmet à Bruxelles).  C’est un choix politique et social.

Emmanuel Macron a repris à son compte le projet de « TVA sociale ». En tout état de cause, elle ne peut pas s’appliquer aux cotisations chômage et retraite. Les prestations chômage et retraite ont un statut de salaire différé ; elles dépendent des salaires reçus ; elles doivent être financées par des cotisations proportionnelles aux salaires. La TVA sociale ne pourrait s’appliquer qu’aux cotisations maladie et famille ; elle aurait le défaut de priver la Sécurité sociale d’une ressource autonome.

 Contrairement à son nom, la TVA n’est pas une vraie TVA. Déductible sur l’investissement, elle ne pèse pas sur le capital ; donc, comme les CSE, elle ne pèse que sur le travail. Une entreprise qui n’utiliserait que du capital, ne paierait pas de CSE, mais son produit ne supporterait pas non plus de TVA. En sens inverse, une entreprise qui n’utiliserait que du travail, paierait à plein les CSE et ne bénéficierait pas du remboursement de la TVA sur l’investissement. Du point de vue économique, il n’y a guère de différence à terme entre la TVA et les CSE.

Toutefois, le passage CSE/TVA augmenterait le coût du travail pour les emplois qui bénéficient actuellement des exonérations de CSE puisque les prix de leurs productions incorporeraient à plein la TVA sociale sans exonérations spécifiques. Par ailleurs, la CSE frappant la valeur ajoutée moins l’EBE, le TVA la valeur ajoutée moins l’investissement, le ripage CSE/TVA peut favoriser les entreprises qui investissent (ou s’endettent) au détriment de celles qui distribuent des dividendes (ou se désendettent).

Comme les CSE, la TVA pèse plus sur les entreprises de main d’œuvre que sur les entreprises capitalistiques et incite les entreprises à utiliser plus de capital et moins de travail.  Une vraie TVA pèserait aussi sur le capital (ou sur l’EBE), c’est le cas de la CVAE, la Contribution à la Valeur Ajoutée que malheureusement le gouvernement est en train de supprimer.

Certes, à court terme, comme la TVA ne pèse pas sur les importations et est remboursés à l’exportation, le passage CSE/TVA fournirait des gains de compétitivité. Ce serait une dévaluation interne. Les prix des produits importés augmenteraient, ceux des produits français venus en France resteraient stable en principe (car la hausse de la TVA compenserait la baisse des CSE, mais il n’est pas dit que les entreprises françaises baisseraient effectivement leurs prix hors taxe), ceux des produits exportés diminueraient. Mais, comme lors d’une dévaluation, le pouvoir d’achat des salariés (et des retraités) baisserait (car ils devraient payer plus cher les produits importés). Donc, soit les salaires nominaux resteraient fixes, la mesure augmenterait la compétitivité française au détriment des salariés, soit les salariés obtiendraient une hausse de leurs salaires, pour maintenir leur pouvoir d’achat, ceci enclencherait une boucle prix-salaires de sorte que l’inflation augmenterait[3] et qu’à terme les gains de compétitivité disparaitraient. La TVA sociale ne permet de gagner en compétitivité que si le pouvoir d’achat des salariés diminue. Elle n’améliore les finances sociales que si les retraites ne sont pas indexées.  Contrairement à ce que certains proclament, ce n’est pas un impôt miracle qui permettrait de faire financer notre protection sociale par les producteurs étrangers.

Ainsi, faire riper les cotisations employeurs, maladie et famille, en points de TVA n’aurait  aucun impact favorable si l’indexation des retraites était maintenu et que les salariés ne subissent pas de pertes de pouvoir d’achat  Le grand avantage de la TVA est purement psychologique : les producteurs ne la ressentent pas comme une charge. Le ripage CSE/TVA réduirait fictivement le coût salarial et la charge que la protection sociale fait supporter aux salariés.

D’autres ressources ?  

Réduire les prélèvements portant sur le travail pourrait se faire en élargissant l’assiette des cotisations famille et maladie à l’ensemble de la valeur ajoutée, ce qui revient à taxer l’EBE au même taux que les salaires, à « faire payer les machines » comme disent certains. Cela permettrait de faire contribuer le capital à la protection sociale, inciterait les entreprises à utiliser plus de travail et moins de capital, favoriserait des secteurs de main d’œuvre au détriment des secteurs capitalistiques. Cet élargissement de l’assiette a été très débattue à la fin des années 1990 : il s’était heurté à l’objectif qu’il nuirait à l’industrie et à sa nécessaire robotisation. 

Comme c’est déjà le cas pour le tabac ou l’alcool, lutter contre les productions polluantes pourrait se faire par l’instauration de nouvelles taxes, sur les pesticides, les additifs alimentaires, le sucre et le sel. Ne pourrait-on pas utiliser le produit de ces taxes pour financer la Sécurité sociale ? Cela ne me semble pas une bonne piste. L’objectif de ces taxes doit être de supprimer les productions polluantes, pas de rapporter des ressources aux finances sociales. L’idéal serait qu’elles soient à ce point désincitatives que leur produit soit nul.

 De même, beaucoup d’économistes ont proposé que le produit de la taxe carbone serve à réduire les CSE. Il est peu probable que la taxe carbone permette de réduire à ce point les émissions de carbone que le produit de la taxe ne soit pas important, du moins à court-moyen terme ; cette affectation limiterait le caractère inflationniste de la taxe carbone ; elle induirait un double dividende : « moins d’émission de carbone, plus d’emplois ». Cependant, l’évolution du produit de la taxe carbone reste difficilement prévisible. Surtout les citoyens auraient l’impression que la hausse des prix de l’énergie, qui pèserait plus fortement sur les plus pauvres, servirait à « faire des cadeaux aux entreprises ». Il est sans doute socialement préférable d’utiliser aussi des mesures de sobriété, de rationnement et d’interdiction et d’utiliser le produit des taxes écologiques à des fins écologiques, comme financer la rénovation des logements, subventionner ou compenser les ménages les plus pauvres, les plus touchés. 

Lutter contre le changement climatique, promouvoir la biodiversité est la grande tâche de notre temps. Cela passe par une société plus sobre, qui n’est acceptable que si les inégalités sociales sont fortement réduites, que le niveau de vie des plus pauvres s’améliore, que l’effort porte sur les classes moyennes et surtout sur les plus riches. De nombreuses mesures envisagées pour réduire les dégâts écologiques risquent de peser plus lourdement sur les plus pauvres qui ont moins les moyen s de s’adapter, c’est le cas de la taxe carbone. Aussi, faut-il veiller à ce que toutes les mesures écologiques réduisent, ou du moins n’augmentent pas, les inégalités de niveau de vie.  Ne nous leurrons pas cependant, la rupture écologique demandera une remise en cause du mode de vie d’une grande partie de la population ; la réduction des inégalités de niveau de vie ne se fera pas par l’accession des plus pauvres au niveau de vie actuel des clases supérieurs, mais par la baisse du niveau de vie des classes supérieurs et surtout par une modification profonde des modes de vie, moins de consommations en biens matériels, partage des biens d’équipement, plus d’activités non marchandes, ... Dans ce cadre, le partage de la production entre salaires et prestations sociales peut rester le même, à l’exception des prestations santé, dont le poids devra augmenter.

Obligatoirement, les actifs ont à leur charge les jeunes, les retraités et les dépenses de santé pour tous. En croissance équilibrée, ce système est équitable puisque chacun passe par les trois stades de l’existence. Mais, la population vieillit, le progrès technique en matière de santé est coûteux, une certaine hausse des cotisations sera nécessaire ; elle devra pesée de façon similaire sur les revenus d’activité, sur les retraites et sur les revenus du capital ; elle devra être acceptée par les actifs. Ne faudrait-il pas inscrire dans la Constitution que le droit à une retraite et à des soins de santé convenables sont garantis aux générations qui ont assuré ce droit aux générations précédentes ?

Annexe A. Le compte des administrations de sécurité sociale en 2024

En comptabilité nationale, le compte des administrations de Sécurité sociale est excédentaire de 2,3 milliards d’euros en 2024. Cependant, les exonérations de cotisations représentent 95,4 milliards et les impôts affectés (hors CSG, en ne retenant que les impôts n’ayant pas une vocation sociale) 100,6 milliards. Les ASSO prennent en charge 9,7 milliards indus (minimum vieillesse, France Travail). Par ailleurs, On peut estimer à 28 milliards le montant des subventions d’équilibre au régime de la FPE et aux régimes spéciaux, qui compensent essentiellement le déséquilibre démographique de ces régimes, mais aussi la prise en charge de retraites de la Poste ou d’Orange.

  • Régime général et FSV. : Solde : -15,2 Mds€

Exonérations de cotisations sociales : -78,0 Mds€                  

TVA :                                                            57,5 Mds€

Taxe sur les salaires :                                17,4 Mds€

Taxes sur les tabacs, alcools :                  18,0 Mds€

C3S                                                                5,2 Mds€

Taxes sur assurances automobile :         1,2 Mds€

Taxe sur les véhicules de sociétés :          1,0 Mds€

Minimum vieillesse :                                  -4,9 Mds€

Cotisation sur primes :                              - 10 Mds€

  • Régimes complémentaires ; Solde : 1,6 Mds€

Exonérations CSE compensées :                9,0 Mds€

  • Unedic : Solde : ,9 Md€

Exonérations CSE compensées :                8,4 Mds€

Prélèvement État :                                       -2,6 Mds€

Financement de France-Travail :               -4,8 Mds€

  • CADES et FRR : Solde =.      14,5 Md€
  • Régimes publics : Solde =.       0 Mds€

Subventions d’équilibre :                             7,8 Mds€

Subvention d’équilibre FPE :                        20 Md€

Total :  2,3 M€

[1]  DREES : Les dépenses de protection sociales accélèrent en France en 2023, 7 mai 2025. Le lecteur attentif remarquera que le titre de l’article est trompeur : en 2023, ces dépenses baissent en termes réels comme en part du PIB.

[2] En fait, pour 60% sur les salaires, 10% sur les autres revenus d’activité, 18% sur les revenus de remplacement (retraites, chômage), 12% sur les revenus du capital.

[3] Un effet de second ordre serait alors que la hausse du niveau des prix diminuerait la ratio dette publique/PIB.

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