Compte-tenu des risques d’agression de la Russie et du dégagement des États-Unis, une hausse de 1,5 point de PIB des dépenses militaires semble nécessaire.
Le problème est d’abord réel avant d’être financier. Il s’agit de recruter des militaires et de les former. Il s’agit ensuite de passer des commandes aux entreprises d’armement européennes (plutôt que d’acheter les armes américaines), que celles-ci développent leurs productions, renoncent éventuellement à exporter ; il s’agit aussi de transformer certaines entreprises travaillant pour la production civile (aéronautique, transports terrestres et maritimes) en entreprises produisant des armements. Ceci demande donc de la planification industrielle, des commandes publiques et du crédit aux entreprises de défense, crédit éventuellement apporté par BPI France ou garanti par l’État.
Il existe deux façons de financer un tel effort. La première consiste à avoir recours à l’endettement public ou privé. La hausse des dépenses militaires aurait alors un effet de relance qui pourrait atteindre progressivement de l’ordre de 2 points de PIB s’il était généralisé dans l’UE, le Royaume-Uni, la Norvège et la Suisse. Augmenter la production, en réduisant le chômage et le sous-emploi, est la meilleure façon d’augmenter les dépenses militaires.
Il n’est pas dit a priori que cet effort se traduirait par de fortes pressions inflationnistes dans la mesure où la production de la France comme de la zone euro est inférieure de 4% au niveau qu’elle aurait eu sans la crise Covid. Reste cependant à augmenter spécifiquement la production du secteur d’armement.
Cette hausse des dépenses demanderait du déficit public et des crédits bancaires supplémentaires. Ces dépenses publiques supplémentaires ne devraient pas être pris en compte dans les règles budgétaires (dans la limite de 1,5% du PIB, selon la Commission).
La BCE pratique actuellement un taux à court terme relativement bas (2,5%), alors que les taux à long terme s’étagent à 2,85 % pour l’Allemagne, à 3,55% pour la France, 3,9% pour l’Italie. Cela milite pour que les emprunts pour la défense soient collectivement garantis, en étant souscrit par la Commission. Ursula Van Der Leyen a évoqué un montant de 150 milliards (soit à peine 0,85% du PIB de l’UE).
Certains ont évoqué un Grand Emprunt européen ou national ; il n’aurait qu’une portée symbolique dans la mesure où il est peu probable qu’il influence le taux d’épargne des ménages ; il serait plus onéreux pour les finances publiques que les émissions de titres sur les marchés as usual. Un emprunt obligataire (sur 5 ans, par exemple) n’aurait d’impact que s’il n’était pas admis comme garantie pour obtenir un prêt et s’il frappait des ménages ayant des contraintes de liquidité, donc pas seulement les plus riches.
Seraient vains aussi les livrets Défense, qui concurrenceraient les livrets A au risque de nuire aux équipements collectifs que ceux-ci financent.
Certains ressortent leur projet de retraite par capitalisation. Mais les dépenses militaires, si elles peuvent être nécessaires, ne sont pas financièrement rentables. Elles ne peuvent servir de base à des placements retraites qui demandent une certaine rentabilité financière.
Faut-il compenser immédiatement ces dépenses militaires envisagées par des baisses de dépenses publiques ? Le risque serait grand d’avoir un effet dépressif dans la mesure où le calendrier de dépenses militaires effectives n’est pas connu, dans la mesure où la baisse des dépenses publiques n’aurait pas lieu dans les secteurs concernés par la hausse des dépenses militaires. Certaines dépenses publiques doivent restés prioritaires (transition écologique, santé, éducation, justice). De même, ce ne sont pas les 63-65 ans qui seraient frappés par un report de l’âge de départ à la retraite qui sont mobilisables pour l’armée.
Par ailleurs, Emmanuel Macron a fait erreur en annonçant qu’il n’est pas question d’augmenter les impôts. S’il faut réduire les dépenses des ménages pour augmenter les dépenses militaires, l’effort doit mobiliser tous les ménages. La hausse des dépenses militaires ne doit pas être un prétexte pour mettre en cause notre modèle social. Il serait odieux qu’elle ne porte que sur les prestations sociales. Tous les revenus des ménages doivent être touchés : les salaires, les revenus non-salariaux, les revenus du capital, les retraites. Ce peut être l'occasion de remettre en cause les dépenses fiscales injustifiées ainsi que tous les instruments d’optimisation fiscale.
Pour conclure, le financement de la hausse des dépenses militaires doit en priorité se faire par hausse de l’emploi et de la production. Ensuite, il faut chercher à développer spécifiquement la production dans les secteurs où des tensions se manifestent. Ce n’est qu’en dernier recours qu’il faut envisager de réduire les dépenses des ménages et cela de manière équilibrée.