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Billet de blog 10 avril 2023

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La crise bancaire aura-t-elle lieu ?

La hausse des taux d'intérêt va-t-elle provoquer une crise bancaire en 2023 ? Les menaces sur la stabilité financière ne doivent pas empêcher les Banques centrales d'augmenter leurs taux si nécessaire. L'erreur a été de trop les baisser naguère.

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1) Il n’y a, jusqu’à présent, pas eu de crise bancaire à proprement parler, mais des faillites de certains banques fragiles. La Silicon Valley Bank était la banque des startups californiens. Elle jouait un rôle de conseiller financier de celles-ci, en les aidant à trouver du financement en capital-risque. Elle s’est développée aussi au Royaume-Uni et au Canada. Elle était devenue la 16ème banque des États-Unis. Cependant, elle était en dessous de la limite de 250 milliards de dollars de dépôts qui l’aurait soumise au contrôle de la Fed. On lui reproche maintenant sa gouvernance (pas de directeur des risques, embauches selon des critères de diversité et non de compétence). Elle avait investi massivement en titres publics à partir de liquidités de gros montants en attente d’utilisation des startups. Avec la hausse des taux, le financement des startups s’est réduit, beaucoup ont utilisé les liquidités en attente ; d’autres ont recherché des placements plus rémunérateurs. La SVB a dû vendre des titres, ce qui a occasionné des pertes, dont l’annonce a entrainé une fuite bancaire (42 milliards de demande de retrait sur 189 milliards de dépôts). Le président de la banque aurait vendu ses actions avant les annonces de pertes. La banque a été déclarée en faillite, le 10 mars 2023. Puis le 17 mars, c’est tout le groupe SVB Financial Group qui a été mis en faillite. SVB a d’abord été reprise par la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC). HSBC a repris la filiale britannique pour 1 livre sterling. Le 27 mars, SVB a été reprise par First Citizens BancShares, la FDIC épongeant 20 milliards de pertes.

Le 8 mars, la banque Silvergate, spécialisée dans les activités sur les crytomonnaies , avait annoncé se fermeture. Le 12 mars, suite à une panique bancaire, la Signature Bank, active sur le marché des cryptomonnaies mais mise en difficulté par la faillite de la plateforme d’échange FTX, 21ème banque des États-Unis, est fermée. Elle est reprise le 20 mars par la Flagstar bank (sauf ses activités en crytomonnaies) et ses prêts (gardés par la FDIC).

Aucune des banques en question étaient considérées comme banque systémique. Mais, face aux retraits de dépôts des petites banques vers les grandes, la Fed a décidé de garantir les dépôts, même ceux au-dessus de la limite de 250 000 dollars (ce qui crée un précédent). Elle a annoncé qu’elle ferait des prêts aux banques qui en auraient besoin et qu’elle accepterait en garantie les bons du trésor à leur valeur faciale et non à leur valeur de marchés (qui pouvait être plus basse de 20%).

C’est ensuite la First Republic Bank qui a été menacée, ses ressources issues de dépôts de clients fortunés, étant jugées fragiles. Pour l’aider, le 16 mars, 11 banques américains y déposent 30 milliards de dollars. Son cours boursier a chuté de 144 dollars début février à 14,5, le 6 avril. La spéculation s’est ensuite tournée vers le Crédit Suisse, une banque systémique. Elle avait été compromise dans de nombreux scandales (aides à la fraude fiscale, pertes sur Archegos management) qui lui ont coûté une dizaine de milliards de francs suisse. Elle avait annoncé des pertes importantes au 4ème trimestre 2022, des pertes à venir pour 2023, des retraits de fonds de client importants. Elle avait tenté une augmentation de capital fin 2022, mais son actionnaire principal (la Saudi National Bank) a annoncé, le 16 mars, qu’il n’y souscrirait pas. Son cours de bourse avait chuté de 80 euros en juillet 2017 à 12 euros en février 2021, puis à 2,8 euros début mars 2023, 0,85 euros maintenant. Le BNS a annoncé son soutien par un prêt de 50 milliards de francs suisses. Le 19 mars, UBS a acheté le Crédit Suisse pour 3 milliards de francs suisses. Dans l’opération, les obligations AT1 ont été annulés pour 16 milliards de francs suisses, soit une perte plus grande que celle des actionnaires, ce qui n’est pas légitime, comme l’a dit la BCE. L’opération crée une banque de très grande taille, menace l’emploi en Suisse ; beaucoup de suisses réclament que l’UBS soit coupé en plusieurs entités.

La spéculation s'est alors portée sur la Deutsche Bank, autre banque systémique, pourtant solide, mais qui avait connu elle aussi des déboires (aide à l’évasion fiscale, sanction américaine pour avoir réalisé des opérations avec l’Iran). Ce mouvement de défiance aurait été favorisé par de fortes hausses des CDS (instrument de garantie contre les faillites), qui n’ont qu’un nombre restreint d’intervenants, de sorte qu’ils sont volatils et augmentent facilement. Mais la Deutsche Bank a tenu, aidée par des déclarations de soutien de la BCE et des autorités allemandes.

Ces événements ont entrainé un mouvement de défiance généralisée sur toutes les banques., soupçonnées d’avoir fait des pertes du fait de la hausse des taux et dont la fragilité aux retraits de dépôts, puis à la panique bancaire avait été mise de nouveau en lumière. Ainsi, le cours de BNP-Paribas est passé de 66 euros début mars à 50,5 (-23,5%) le 24 mars, avant de se reprendre à 56,35 (-14,6%). Le cours de la Société Général est passé de 27,5 euros début mars à 19,57 (-28,8%) le 27 mars, avant de se reprendre à 21,4 (-22,2%). Le cours de HSBC est passé de 631 début mars à 534 (-15,4%) le 24 mars, avant de se reprendre à 558,5. (-11,5%). Le cours de la Deutsch Bank est passé de 11,6 début mars à 8,54 (-26,4%) le 24 mars, avant de se reprendre à 9,5. (-18,1%). Le cours de UBS est passé de 20,66 début mars à 17,67 (-14,4%) le 24 mars, avant de se reprendre à 18,68. (-9,5%). Les difficultés des banques ont induit les marchés à croire à la fin des hausses de taux de la BCE. Ainsi le taux à 10 ans allemands (français) qui était monté à 2,7% (3,2%) début mars est retombé à 2,1% (2,65%) le 24 mars. Il est à 2,17 % (2,70%) le 6 avril. Le 6 avril, il semble que la contagion ne soit plus à craindre. Il n’y aura pas de crise bancaire généralisée. La crise se sera limitée à des banques particulières intervenant dans des secteurs spécifiques (startups, cryptomonnaie), à deux banques en difficulté.

2) Une fois de plus, la spéculation actuelle contre les banques montre qu’il faut interdire les ventes à découvert (spéculer sur la chute d’une action). La crise actuelle montre qu’il faut garantir les banques pour éviter des spirales du genre : vente de titres publics > affichage de pertes > fuite de clients > vente de titres publics >. Les clients d’une banque n’ont pas à supporter le risque de défauts, les dépôts doivent donc être garantis. Cela pose la question : la banque peut-elle être à la fois une activité socialement garantie et une entreprise privée ?

3) De façon générale, et indépendamment de la situation actuelle, pour que la politique monétaire puisse jouer son rôle de contrôle de l’inflation et du niveau de production, la Banque centrale doit pouvoir faire varier son taux directeur de -1% à 5 %. Les entreprises, les ménages, les institutions financières (IF) doivent pouvoir supporter des variations dans ce champ. Selon la règle de Taylor, le taux directeur devrait être aujourd’hui de 8 %, le BCE n’a pas osé aller jusqu’à ce niveau. Aujourd’hui, les dépôts des banques à la Banque centrale sont bien supérieurs à leurs refinancements. Le taux directeur est donc le taux des dépôts des banques à la Banque centrale. Il est donc passé depuis 2021 de -0,5% à 3% (de 0 à 4,75% pour la Fed). Comme ces dépôts nets sont de l’ordre de 4000 milliards d’euros, le coût pour la BCE (et donc le gain pour les banques) est de 140 milliards d’euros. En ce qui concerne la France, la perte subie par la Banque de France se répercutera sur les finances publiques puisque la banque de France paiera moins d’IS et versera moins de dividendes. Par ailleurs, cela rend difficile pour le Banque centrale de discriminer le refinancement des banques selon leurs emplois. Quand le taux des dépôts à la BCE était à -0,5 %, le taux à 10 ans français était de -0,165% (situation en février 2021). En utilisant le courbe de structure des taux, le taux à 1 an était anticipé rester à - 0,5% pendant 4 ans ; dans 10 ans, il était anticipé n’être que de 0,7 % alors que son niveau normal est plutôt de l’ordre de 3-3,5% (le taux de croissance nominal de l’économie de la zone euro). Soit, les marchés financiers sont très pessimistes, soit, ils sont aveugles. En fait, les interventions de la BCE maintenaient les taux longs à des niveaux inférieurs à ceux qui découleraient des taux courts futurs anticipés. Les agents qui achètent des titres longs s’exposaient à un risque quasi-certain de pertes en capital puisqu’il était probable que les taux remonteraient dans les 10 ans. Qui pouvait accepter de prendre ce risque ? Réponse 1 : des ménages ou des IF aveugles. Réponse 2 : aucun agent privé ; les titres sont rachetés par la Banque de France, de sorte que l’ensemble « Etat+Banque de France » s’endette en fait à taux variable (le taux des dépôts des banques à la BCE). Dans cette situation, les banques peuvent-elles faire du crédit à long terme en ajoutant au taux long une prime de risque lié à l’emprunteur ? Réponse 1 : Elles le font aveuglément Réponse 2 : Elles intègrent une prime de risque de remontée des taux. Réponse 3 : Elles ne font que du crédit à taux variable. Réponse 4 : Elles se couvrent (mais auprès de qui, d’IF aveugles) En fait, les banques qui détiennent des titres publics de long terme ou qui ont fait du crédit à long terme subissent de fortes pertes quand les taux directeurs passent de -0,5% à 3%. Ces banques existent-elles ou toutes les banques ont-elles bien géré leur bilan selon les règles de la gestion actif-passif ? En tout état de cause, les taux longs fixes doivent incorporer une forte prime de risque de remontée des taux quand les taux courts sont très faibles (ce qui n’a sans doute pas été le cas en 2019-20). En tout état de cause, la Banque centrale doit pouvoir faire varier son taux directeur sans tenir compte de la stabilité financière. C’est aux institutions financières de gérer leurs activités. De ce point de vue, il me semble que les Banques centrales ont raison de monter qu’aujourd’hui leurs taux directeur, compte-tenu de la poussée d’inflation, quitte à accepter la faillite de banques mal gérées.

3) Une banque commerciale normale a comme ressources des dépôts à vue non rémunérés, des dépôts rémunérés à peu près au taux directeur, des ressources rémunérées au taux longs. En contrepartie, elle détient des dépôts à la Banque Centrale, des titres longs, des crédits à taux variables, des crédits à taux longs fixes. Jadis, les banques devaient faire de la transformation, c’est-à-dire prêter à long terme, des ressources de court terme. Aujourd’hui, cela est dangereux puisque les titres et crédits de long terme perdent de leur valeur quand les taux d’intérêt augmentent tandis que le coût des dépôts rémunérés augmente et les dépôts non rémunérés se transforment pour certains en dépôts rémunérés. Les banques ne peuvent pas couvrir leurs engagements à long terme. Quel agent aurait la capacité de faire la contrepartie ? Les banques peuvent être gagnantes ou perdantes à la hausse des taux selon leur expositions nets aux emplois à long terme. Conclusion : Selon les principes de la gestion actif/passif, les banques ne doivent pas détenir de titres longs. Elles doivent n’accorder de crédit à long terme à taux fixe que pour le montant des ressources stables à taux longs fixes et de dépôts à vue stables, qu'elles collectent; Pour le reste, elles ne doivent faire que du crédit à court terme ou à taux long variables. Elles doivent tenir compte du fait que, lorsque les taux d’intérêt augmentent, une partie des dépôts à vue non rémunérés se transforment en dépôts à terme ou en OPCVM monétaires ou obligataires. En principe, cela est vérifié par un indicateur de risque de taux (IRRBB) et, dans la zone euro, par des stress test sous l’égide de la BCE. Jusqu’à présent aucune banque de la zone euro n’a été mise en difficulté du fait de la hausse des taux d’intérêt et de la volatilité des dépôts. La baisse des cours de bourse des grandes banques semble plus due à un phénomène de contagion qu’à un risque réel.

4) La question se pose surtout pour l’assurance -vie. Comment gérer les fluctuations des taux d’intérêt quand elles sont pratiquement contraintes de placer leurs flux de ressources ? Quand les taux baissent, les sociétés d’assurances peuvent fournir des rentabilités plus élevées en utilisant des titres déjà détenus au détriment des anciens clients. Quand les taux remontent, les sociétés d’assurances ne peuvent suivre le mouvement qu’avec retard car elles détiennent des titres faiblement rémunérés, de sorte que les ménages ont intérêt à détenir des OPCVM monétaires plutôt que de l’assurance-vie (où même des OPVCM obligataires dont les règles de gestion sont opaques).

5) Quand la Banque centrale augmente son taux directeur, l’impact dépressif est immédiat pour les crédits à la consommation et les crédits de trésorerie. L’impact sur les crédits immobiliers et les crédits d’investissement devrait être réduits si ces crédits sont à taux variables ou si les taux longs incorporent correctement les risques de remontée des taux. Cela n’a pas été le cas naguère puisque les taux longs ont trop suivi les taux courts. En tout état de cause, la banque prend un risque de taux quand elle accorde des crédits immobiliers à 20 ans à taux fixe, quand elle n’a pas une ressource équivalente.

6) Jusqu’à présent la hausse des taux d’intérêt n’a pas encore été suffisant pour faire chuter les cours de Bourse : le CAC 40 valait 6500 en juillet 2000, 6000 en mai 2007, 3000 en mars 2009, 7325, ce 6 avril. Il n’y a pas eu de krach boursier, malgré la hausse des taux d’intérêt. Les marchés financiers semblent tenir compte du taux d’intérêt corrigé du taux de croissance de l’économie plutôt que du taux nominal.

7) Faut-il réclamer le durcissement des ratios bancaires ? L’idée est que les actionnaires (et les détenteurs d’obligations convertibles ou annulables) doivent supporter les risques ; le ratio crédit/ fonds propres et assimilés doit être élevé. Cette position pose plusieurs problèmes. Ces risques justifient une rentabilité élevée des actions et obligations bancaires comme ils justifient une sélection des crédits sur les critères financiers. Le crédit serait, théoriquement, limité par les fonds propres et assimilés des banques et n’obéirait pas à des considérations macroéconomiques. En période de dépression économique, les crédits deviennent plus risqués ; la banque devrait distribuer moins de crédits selon un ratio prudentiel qui tient compte de la qualité des crédits ; ce serait catastrophique sur le plan macroéconomique. Ce n’est que peu intégré dans le ratio de fonds propres contra-cycliques de Bâle 3, qui est censé tenir compte de la position dans le cycle du crédit-cycle financier Faut-il que les risques de l’activité de financement bancaire soient portés par des investisseurs financiers qu’il faut rémunérer pour cela ? ou doivent-ils être socialement assumés ? Imaginons qu’à la suite d’un ralentissement économique ou d’une hausse du prix de l’énergie, de nombreuses entreprises ne peuvent plus honorer leurs crédits, qui doit subir le choc ? les actionnaires des banques, leurs clients ou l’ensemble des contribuables ? A la vision financière (les banques doivent être gérée de façon à maximiser leurs fonds propres qui garantissent les crédits), ne peut-on opposer une vision de service public ? Les banques de dépôts qui bénéficient de la garantie publique des dépôts et de l’accès au refinancement de la Banque centrale sont des services quasi-publics qui doivent limiter leurs crédits aux investisseurs physiques (entreprises non financières, ménages, collectivités locales). Dans ce cadre, elles doivent être socialement contrôlées et garanties ; les ratios de bilan n’ont pas de sens pour elles (exemple, aujourd’hui pour la Banque postale, la CDC, et..). Ce n’est pas aux déposants de vérifier la solidité de telles banques ; leurs dépôts doivent être garantis. Ces banques doivent pouvoir offrir une gamme important de produits aux déposants, rémunérés à des taux proches de celui du marché monétaire ou obligataire. Par ailleurs, les institutions financières qui existent en dehors de ces banques doivent être transparentes, mais elles ne doivent pas être socialement garanties.

8) Croire que la politique monétaire est l’arme la plus indiquée pour lutter contre l’inflation n’est guère justifiée. L’avantage comparatif de la politique monétaire est qu’elle peut faire monter le taux de change, ce qui réduit immédiatement l’inflation, mais cette hausse induit un déficit extérieur et transmet un choc inflationniste aux pays partenaires. En sens inverse, la montée des taux d’intérêt augmente le revenu des détenteurs de titres, et les charges financières des entreprises, ce qui est un choc inflationniste. De même, abaisser les taux d’intérêt pour soutenir l’activité fait courir le risque de surendettement, de bulles boursières ou immobilières. Comme le montre la situation actuelle, une fois les taux très bas, la remontée est difficile. La politique budgétaire est plus appropriée pour gérer l’activité et l’inflation...

9) La Banque centrale n’échappe pas à la question : à quel niveau fixer les taux d’intérêt ? Un taux trop élevé nuit à l’investissement et aux finances publiques. Un taux trop bas encourage la spéculation et la montée des cours de bourse. Stabiliser le taux nominal serait déstabilisant, car le taux réel baisserait en cas de poussée d’inflation. Stabiliser le taux réel induirait des fluctuations du taux nominal, nuisibles à la stabilité financière. Ce serait pire avec la règle de Taylor selon laquelle la politique monétaire doit surréagir à l’inflation. Malgré la difficulté de la tâche, les Banques centrales doivent gérer le taux d’intérêt selon des considérations macroéconomiques pour accompagner la politique budgétaire. Elles ne doivent pas être la victime de la préoccupation de stabilité financière. C’est aux banques et aux institutions financières de s’en préoccuper.

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