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Billet de blog 10 juillet 2025

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Quelques remarques sur une note de l'I-MIP ou misère de la modélisation

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Quelques remarques sur une note récente                    

La note récente de l’I-MIP : Réduire la dette de la France : enjeux macroéconomiques et distributifs se propose d’utiliser un modèle « à la pointe de la théorie macroéconomique « pour évaluer la crédibilité de la stratégie de finances publiques 2025-2029 annoncée par le gouvernement dans les derniers PSMT et RAA et pour évaluer des stratégies alternatives. En fait, les propriétés anti-keynésiennes du modèle amènent les auteurs à préconiser une stratégie étrange : réduire les gains à l’emploi pour inciter les salariées à travailler plus.

Sur le modèle

La note utilise un modèle CepreHank[1], décrit de manière sommaire, pages 5 et 6[2]. Il existe trois types de ménages, tous salariés, mais de qualification différente. Par contre, il n’y a ni chômeurs, ni retraités. Les ménages reçoivent des salaires, des revenus financiers et deux types de transferts : des transferts dits béveridgiens, en fait des transferts d’assistance, inversement proportionnels aux revenus ; des transferts bismarkiens, en fait des transferts d’assurances sociales, proportionnels aux revenus du travail. Les ménages consomment et travaillent en tenant compte de leurs revenus futurs anticipés, mais le texte n’explicite pas comment ils forment leurs anticipations. Certains ménages subissent une contrainte de liquidité.

Les prix sont fixés par les entreprises, mais n’évoluent que lentement. Les salaires sont fixés par les travailleurs, mais n’évoluent que lentement.  Il n’y a pas de chômage involontaire, mais un choix des salariés sur leur durée de travail.  

L’investissement des entreprises est omis. Par ailleurs, « L’équilibre de la balance commerciale est atteint en supposant que les recettes des exportations françaises compensent exactement les importations d’énergie », ce qui revient à raisonner en économie fermée.

Les dépenses de l’État consistent en consommation publique, transferts d’assistance et transferts d’assurances sociales.

Conformément aux pratiques à la pointe de la théorie macroéconomique, les fluctuations économiques sont « expliquées » par des chocs exogènes.

Le cœur de l’analyse

Le cœur de l’analyse réside dans le fait que la baisse de la consommation publique a normalement un impact restrictif tandis que l’impact restrictif de la baisse des transferts est limité puisque les ménages la compensent en travaillant plus. Dans le cas d’une baisse des transferts d’assurance sociale, la hausse de l’emploi est même telle que la production augmente. Le modèle a donc des propriétés anti-keynésienne. De sorte que les auteurs préconisent une baisse des prestations d’assurance sociale en période dépressive, quitte à la compenser par une hausse des transferts d’assistance pour éviter la hausse des inégalités de revenu. C’est le point central de toutes leurs analyses de politique budgétaire.

Cela amène à sept remarques.

1) En cas de dépression où les entreprises cherchent à réduire leurs effectifs, ce n’est pas parce que les salariés voudraient travailler plus que l’emploi augmente.

2) La baisse des transferts d’assurance sociale est une baisse du gain à l’emploi ; les ménages subissent une baisse des revenus (qui doit théoriquement les inciter à travailler plus) et une baisse du gain à l’emploi (qui doit théoriquement les inciter à travailler moins). La résultante est ambigüe et dépend de la spécification précise du comportement des ménages.

3) La hausse des transferts d’assistance est une baisse du gain à l’emploi ; les ménages bénéficient d’une hausse des revenus (qui doit théoriquement les inciter à travailler mois) et supportent une baisse du gain à l’emploi (qui doit théoriquement les inciter à travailler moins).  Au total, ils sont incités à travailler moins

4) La politique préconisée par les auteurs (augmenter les transferts d’assistance, réduire les prestations d’assurances sociales) aboutit donc à réduire le gain à l’emploi. C’est l’inverse de la politique suivie par les gouvernements successif, qui ont au contraire augmenter le gain à l’emploi (en évitant les hausses du RSA et en créant la prime à l’emploi, par exemple). On voit mal comment la politique préconisée augmenterait l’emploi. Selon les auteurs, ce serait par des effets différenciés entre les types de salariés, mais leur modèle ne permet pas de distinguer les salariés des retraités (qui ne peuvent augmenter leur offre de travail) et des chômeurs involontaires (qui n’existent pas dans leur modélisation).

5) Les auteurs prétendent que la stratégie qu’ils préconisent (réduire les prestations retraites et chômage) n’augmentera pas les inégalités, mais comment en discuter dans un modèle où il n’y a ni retraités, ni chômeurs ? Le modèle n’intègre pas le bien-être des salariés, or tout montre que ceux-ci désirent des prestations retraites et chômage satisfaisantes.

6) Par ailleurs, les prestations d’assurances sociales ne sont pas des variables d’ajustement des finances publiques. Elles sont cogérées par les partenaires sociaux (chômage, retraites complémentaires). Elles ont des financements spécifiques. Elles représentent des droits sociaux (retraites) que l’on ne peut pas mettre en cause à la légère (comme le propose l’annexe H). On ne peut compenser une baisse des droits attachés au salariat par une hausse des prestations d’assistance.

 7) Certes, si une politique budgétaire restrictives est nécessaire, il est légitime qu’elle porte aussi sur les chômeurs et les retraités, mais ni plus, ni moins que sur les autres catégories de la population, pas en totalité comme le propose l’annexe H.

Au fil des pages.

Le RAA prévoit pour les années 2025-2029 une croissance annuelle de 1,2% (soit à peu près la croissance potentielle) malgré un effort budgétaire de 0,8 % par an, obtenu par baisse des dépenses publiques. Est-ce crédible ? La méthode des auteurs consiste bizarrement à chercher les chocs macroéconomiques qui rendrait crédible cette trajectoire. Ils peuvent alors répondre oui, à condition que le taux d’épargne des ménages chute en même temps que le déficit public baisse. On aurait préféré que les auteurs montrent l’éventail des trajectoires, sans la centrer sur celle qui est favorable à la trajectoire gouvernementale.

Page 17, 20, 21 : Une politique budgétaire restrictive de 0,8 point de PIB par an ne réduirait la croissance que de 0,16 % par an, soit un multiplicateur de 0,2. En fait, le multiplicateur de la consommation publique serait de 0,5, mais le multiplicateur des transferts serait négatif de -0,4. Comme les transferts d’assistance réduirait les inégalités plus que les transferts d’assurances, on arrive à la politique préférée des auteurs : réduire les prestations d’assurances sociales. Ceci est illustré par une annexe H, où l’âge de départ à la retraite augmente de 4,5 années en 5 ans, le pouvoir d’achat des retraites baisse de 18%, celui des chômeurs de 45%.

 Notons que dans leur modèle, il n’y a ni retraités, ni chômeurs, de sorte que prétendre évaluer l’impact redistributif de la baisse des retraites et prestations chômage est problématique. Il est peu probable que réduire les retraites inciterait les actuels retraités à travailler davantage. De même, nous laissons aux auteurs l’argument implicite : les chômeurs travailleraient si les prestations chômage étaient réduites.

Page 18-19. Les auteurs préconisent une règle budgétaire contracyclique : baisser les dépenses publiques quand la dette est trop forte. Toujours avec l’argument, les ménages travailleront plus s’ils sont certains que les transferts dont ils bénéficient seront réduits. Les fluctuations économiques seront plus faibles puisque la baisse du PIB sera compensée par une baisse des transferts donc une hausse de l’emploi des ménages. Ce sont des préconisations anti-keynésiennes, l’inverse de la politique suivie, par exemple en 2020-21. Les fortes cures d’austérité imposées aux pays du Sud en 2020-12 n’ont pas pourtant conduits à une forte hausse de l’emploi dans ces pays, mais plutôt à une forte hausse du chômage.

Conclusion.

Nous sommes en présence d’un modèle foncièrement anti-keynésien qui préconise la baisse des transferts aux ménages en cas de dépression économique. Foncièrement antisocial car il préconise une forte baisse des assurances sociales, le cœur du modèle social français. Il repose sur un fondement fragile : la baisse du gain à l’emploi (en augmentant les prestations d’assistance, en baissant les prestations d’assurances sociales) se traduirait par une hausse de l’offre de travail des salariés.  Des niveaux satisfaisants de prestations chômage et retraite sont désirés par les salariés. Des économistes ont-ils le droit de préconiser des politiques qui iraient contre ce désir ?

L’Annexe H

Cette annexe décrit quelques exemples d’économies budgétaires à réaliser d’ici 2029 portant sur les prestations d’assurances sociales. Elle se caractérise par sa brutalité et son ignorance totale des situations économiques, politiques, sociales. Il faut espérer qu’elle a été rédigée à la va-vite par un étudiant.

 Ainsi, en 2029 par rapport à 2024, il serait possible de réaliser 47 milliards d’économies en reportant l’âge de départ à la retraite, 64 milliards d’économie sur les retraites actuelles, 18 milliards d’économies sur les prestations chômage, soit 130 milliards[3]. Ce seraient les retraités et les chômeurs qui supporteraient tous le poids de la restriction budgétaire. Selon les auteurs, cela inciterait les travailleurs à travailler plus ; les effets sociaux seraient faibles puisque, dans leur modèle, ce sont les travailleurs qui reçoivent les prestations chômage et retraite et que la baisse des prestations les inciterait à travailler plus.

H2 propose de reculer à 67 ans d’ici 2030 l’âge de départ à la retraite, soit 3 années de plus que prévu actuellement, soit compte-tenu du recul déjà en place décidée, un recul de 9 mois par an, une vitesse jamais atteinte. En même temps, les possibilités de départ anticipé seraient réduites. Les auteurs font l’hypothèse qu’un retraité de moins, c’est automatiquement un emploi de plus et donc une hausse du PIB.

H1 propose de réduire les retraites de 28 milliards en les désindexant pendant 5 ans, soit une baisse de 8%. H4 propose d’augmenter de 3,7 points leur taux d’imposition en alignant leur imposition sur celle des actifs et en supprimant tous les régimes fiscaux dont ils bénéficient (sans toucher à ceux des actifs et des revenus financiers). H6 propose de supprimer immédiatement les pensions de réversion, même celles déjà liquidées, au-delà d’un niveau de revenu très faible (1500 € par mois). C’est oublier que les pensions de reversions sont socialement souhaitées, que celles des régimes complémentaires sont décidés par les partenaires sociaux, qu’elles permettent de réduire l’écart entre les retraites des femmes et celles des hommes. Ce serait déloyal et juridiquement risqué que de revenir sur des pensions déjà liquidées.  H11 propose de supprimer immédiatement les avantages familiaux, là aussi même celles sur des pensions déjà liquidées au-delà d’un revenu de 1500 € par mois ; ce serait, là aussi, déloyal et juridiquement risqué.  Au total, les retraites subiraient une baisse de 18,8 %. Certes, les retraités ne peuvent pas faire grève. Mais, c’est quand même beaucoup.  Et on ne voit pas comment cette baisse augmenterait l’offre de travail des retraités.

Les prestations chômage seraient limités à 1000 € par mois pendant 10 mois : les ruptures volontaires ne donneraient plus droit à indemnisation. Le lecteur attentif remarquera que H8 et H9 font double emploi.  Là aussi, les auteurs oublient que les règles de l’indemnisation chômage sont négociés par les partenaires sociaux, qui n’accepteraient jamais une telle baisse qui plongerait tous les chômeurs dans la précarité. De plus, celle-ci devrait s’accompagner d’une forte baisse des cotisations puisque l’Unedic serait largement excédentaire.

H10 propose de plafonner le montant des allocations reçues par un ménage, en s’inspirant de l’IFRAP ou de Les Républicains. Originalité déplaisante, les auteurs ajoutent les allocation chômage dans le panier des prestations à plafonner. D’une part, il serait injuste que ce plafond ne tienne pas compte du nombre d’enfants ; ainsi, les familles avec 3 enfants et plus, sans ressources ou avec uniquement des prestations chômage, verraient leur revenu diminuer alors qu’elles sont déjà en dessous du seuil de pauvreté à 50%.  D’autre part, leur calcul oublie que les allocations chômage ont été réduites dans H7, de sorte que leur calcul du gain est surestimé.

[1] NK pour New-Keynesian. Une fois de plus, ce terme masque un modèle foncièrement néo-classique.

[2] NK pour New-Keynesian. Une fois de plus, ce terme masque un modèle foncièrement néo-classique.

[3] La somme est fausse puisque leur calcul ne prend pas en compte les répercussions des mesures proposées sur les recettes fiscales, ni leurs effets croisés.

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