Dans Le Monde daté du 11 décembre, Philippe Aghion, Antoine Bozio, Philippe Martin et Jean Pisani-Ferry viennent au secours de la grande réforme structurelle des retraites, en prétendant que son refus par le corps social ne proviendrait que de la maladresse du gouvernement. Le Monde nous précise que ces éminents économistes ont inspiré la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, comme si, derrière eux, ce n’était pas la technocratie financière et le patronat qui tiraient les ficelles.
Les quatre inspirateurs multiplient les naïvetés. Selon eux, « le principe « à cotisations égales, retraite égale » serait pleinement compatible avec le renforcement de la solidarité du système et la prise en compte de la pénibilité ». Quels sont les dispositifs dans le système à points contributif préconisé par Jean-Paul Delevoye, qui assurent un taux de remplacement plus élevé pour les bas salaires que pour les salaires plus élevés ou une retraite précoce pour les emplois pénibles ?
Selon les quatre inspirateurs, « des considérations budgétaires détournent de l’essentiel ». Ils n’ont semble-t-il toujours pas compris que le but de la réforme est de réduire la part des retraites dans le PIB et de permettre au gouvernement de contrôler son évolution.
Ils prétendent que « l’allongement des carrières en raison de la démographie est compatible avec le maintien d’un âge d’ouverture des droits à 62 ans et ne nécessite pas l’instauration d’un âge pivot ». C’est pourtant la logique même du système à points que le niveau de la pension dépende fortement de l’âge de départ, comme ils le précisent d’ailleurs plus loin. C’est le cas, par exemple, en Suède.
Les quatre inspirateurs ne voient pas la contradiction entre préconiser de « renoncer aux mesures d’âge » et prétendre « cela n’empêchera pas l’âge effectif de départ à la retraite d’augmenter avec les progrès de l’espérance de vie ». Eussent-ils été honnêtes qu’ils auraient ajouté « grâce à une décote de plus en plus pénalisante ? ».
Ils reconnaissent que « les Français craignent que d’obscures décisions technocratiques permettent de manipuler à l’envi le niveau de leur retraite ». Faut-il préciser que des décisions comme la hausse de la CSG sur les retraites ou la désindexation des retraites ne viennent pas d’obscurs technocrates, mais du candidat qu’ils ont inspiré et qui a porté le projet des technocrates à l'Élysée ?
Ils reconnaissent que « pour recréer la confiance, il faut énoncer des règles d’indexation stables et précises. La loi devra ainsi fixer les principes d’évolution de la valeur du point, du taux de rendement et du supplément de pension par année travaillée supplémentaire ». Ils feignent de ne pas savoir que, comme le proclamait Français Fillon, l’objectif d’un système par points est précisément de pouvoir baisser de façon discrétionnaire la valeur du point.
Selon les quatre inspirateurs, « il est également souhaitable que les partenaires sociaux participent à la gouvernance du système ». Belle découverte ! Ils oublient qu’Emmanuel Macron se donne comme objectif d’étatiser la protection sociale, de priver de tous pouvoirs les partenaires sociaux. Son projet d’un système unique de retraite géré par l’État vient après sa prise de contrôle de l’assurance-chômage.
Enfin, les quatre inspirateurs ont trouvé une solution miracle pour les enseignants et autres fonctionnaires, victimes de la réforme, baisser leur taux de cotisation pour augmenter leur salaire, comme si la logique du système n’était pas le même taux de cotisation pour tous.
Les inspirateurs concluent : « Si la réforme est injuste ou anxiogène, les délais ne résoudront rien. Si, elle est socialement juste et économiquement efficace, pourquoi la retarder ? ». Nous dirons, quant à nous : une réforme qui fragilise le système des retraites se heurte au refus de la masse des actifs, pourquoi l’imposer ?
Comme on dit en Afrique : « Quand le diable t’invite, il faut y aller avec une très longue cuillère ». Quand un candidat se donne comme objectif de remettre en cause le modèle social français et caler la France sur le modèle libéral anglo-saxon, que ses inspirateurs ne prétendent pas qu’ils ne savaient pas.