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Billet de blog 11 septembre 2023

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Quand le CEPII s’égare…

Le CEPII reprend dans son « Économie Mondiale, 2024 » la thèse erronée et maintes fois déconstruite selon la quelle la Banque centrale pourrait subventionner la transition écologique. Nous montrons que ces subventions n'auraient pas d'impact différent de celui du financement par la dette publique.

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Une poignée d’économistes pensent avoir découvert le Graal. Pour réduire la dette publique, il suffirait que la Banque centrale prenne en charge certains dépenses publiques (comme des subventions aux ménages et aux entreprises), annule les titres publics qu’elle détient ou fasse des dons à l’État.

Ce point de vue est erroné : la Banque de France (BdF) est une filiale financière de l’État ; tout transfert entre ces deux organismes est macroéconomiquement neutre puisqu’aucun agent privé n’est affecté ; une dépense financée par la BdF aurait le même impact macroéconomique et financier qu’une dépense financée par le déficit public ; si la BdF avait un déficit net (une dette nette), celui-ci serait incorporé dans le déficit public (dans la dette publique) ; par définition, une banque fait des prêts, pas des dons ; si la BdF se mettait à verser des subventions, ce ne serait plus une banque, mais une administrations publique, ce d’autant qu’elle n’aurait pas le pouvoir de lever des impôts pour rembourser sa dette.  Cela a maintes fois été démontré. Pourquoi y revenir ?

Le point amusant (ou atterrant selon l’humeur) est cependant que certains organismes, pourtant réputé pour leur sérieux, continuent à publier les textes manifestement faux de ces illusionnistes. C’est le cas du CEPII, qui dans son ouvrage grand public, « L’économie mondiale 2024 » publie un article de Jézabel Couppey-Soubeyran et Wojtek Kalinowsli : « Financement de la transition écologique : où est le problème ? ».

Certes, il faut financer la transition écologique et, en particulier, certaines dépenses publiques non financièrement rentables. Est-ce un problème différent du financement par l’Etat ou les collectivités locales des crèches, écoles, bâtiments publics, routes, etc .? Selon la conjoncture économique, cela doit se faire par l’impôt ou par le déficit public. En situation de capacités de production inemployées, une dépense publique a un effet d’entrainement ; le PIB augmente, ce qui apporte des recettes fiscales, mais ex post, il demeure un certain déficit public (mettons 100 à titre illustratif). Celui-ci a une contrepartie dans l’épargne des ménages (en se plaçant pour simplifier en économie fermée) ; cette épargne est placée, par exemple, pour 50 dans les assurances-vie (et autres OPCVM), pour 50 dans les banques. L’État émet 100 de titres que les banques achètent (ayant la garantie de pouvoir les replacer à la BdF). Les banques en revendent 50 aux assurances-vie et, si elles ne veulent pas en détenir, elles en replacent 50 à la BdF de sorte que finalement les banques détiennent 50 de dépôts auprès de la BdF. Le circuit est bouclé ; le taux auquel l’État émet ses titres de court terme est déterminé par le taux directeur de la Banque centrale, soit maintenant le taux de rémunération de dépôts bancaire (3,75% aujourd’hui). Pour que les assurances-vie (et les OPCVM) acceptent d’acheter des titres de long terme, le taux de rémunération de ces titres doit être la moyenne des taux de court terme anticipés plus éventuellement une prime de risque de faillite. Il n’y a pas de problème de financement du déficit public, comme on l’a vu en 2020 où les marchés financiers ont absorbé plus de 200 milliards d’euros de titres nouveaux.

En contrepartie, obligatoirement, la dette publique augmente de 100. En dernière instance, elle est détenue par les ménages soit par l’intermédiaire d’assurances-vie (ou d’autres OPCVM), soit par l’intermédiaire des banques, soit par le double intermédiaire des banques et de la BdF.

Dans le chapitre sous-revue, JCS et WS préconisent que la BCE « rachète des emprunts publics verts pour faciliter leur financement » (page 114) mais racheter des titres publics, c’est déjà ce qu’elle fait, si nécessaire, pour l’ensemble des titres publics. Ils prétendent que ce financement serait « peu onéreux », mais le coût de la détention de ces titres pour la BdF (et donc pour les finances publiques) serait le taux de rémunération des dépôts bancaires, donc 3,75% actuellement.

Ils reprennent alors timidement le thème de l’annulation de ces titres (page 115), sans voir que cette annulation serait factice puisque la contrepartie en termes de dépôts des banques commerciales à la BdF et de dépôts des clients dans les banques commerciales ne serait pas annulé. Le déficit public serait simplement caché dans les comptes de la BdF.

JCS et WK préconisent des « prêts directs au Trésor pour soustraire le financement des États à la pression des marchés.  Ceux-ci mettraient directement à leur service le pouvoir monétaire de la banque centrale, comme les théoriciens de la monnaie moderne estiment que cela devrait être » (page 115). Ils ne voient pas que ces prêts seraient équivalent au système actuel où la BdF rachète immédiatement si nécessaire les titres publics que les banques ne veulent pas détenir ; ils n’ont pas compris la MMT qui ne dit pas que la Banque central devrait mettre son pouvoir au service dans l’État, mais qu’elle le fait effectivement dans le système tel qu’il est ; là aussi ces prêts devraient être rémunérés à 3,75%.

Les auteurs regrettent que la BdF ne fasse pas de dons à l’État (page 115). Mais ce n’est pas le rôle d’une Banque de faire des dons ; ces dons n’auraient aucun impact financier ou macroéconomique, la Banque étant une filiale financière de l’Etat.

 Page 116, les auteurs imaginent que la BdF pourrait faire des dons à une caisse de développement durable (CDD) qui subventionnerait des projets d’investissement non   rentables. C’est un projet chimérique, cela non en raison des particularités institutionnelle de la zone euro, mais, de façon générale, en raison de la distinction des rôles entre la Banque centrale et l’État. La Banque centrale gère le crédit, assure le financement de l’État, garantit la dette publique, mais ne fait pas de politique budgétaire et ne prend pas à sa charge les dépenses, le déficit et la dette publiques. Seul l’État peut, en dernier ressort, prendre en charge des projets non rentables.

Certes, on peut souhaiter dégager le financement des États de la pression des marchés financiers. La BCE devrait dire clairement qu’elle garantit les dettes publiques pour éviter les primes de risques qui pèsent sur certains pays. Reste que la dette publique doit être détenue. Comment convaincre les épargnants de détenir des titres publics, directement ou indirectement ? La seule stratégie crédible est, comme au Japon, celle des caisses d’épargne :   développer des institutions financières publiques qui détiendraient la dette publique, du moins celle liée à la transition écologique, sachant qu’il faudra assurer aux épargnants un taux satisfaisant, sans prime de risque certes, mais avec une rémunération de l’ordre du taux directeur de la Banque Centrale.

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