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Billet de blog 12 septembre 2016

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Un appel à l’épuration dans les sciences économiques.

Deux économistes, Pierre Cahuc et André Zylberberg viennent de publier un pamphlet aussi violent dans le ton qu’il est médiocre sur le fond, dont l’objet assumé est de jeter le discrédit sur le rôle des débats en économie. Au-delà, il s’agit de redonner corps à l’idée qu’une pensée unique doit prévaloir en économie, à laquelle tous, économistes et citoyens, doivent se soumettre.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Deux économistes, Pierre Cahuc et  André Zylberberg viennent de commettre un pamphlet ignoble,  contre tous les économistes critiques, contre ceux qui proposent  aux citoyens  des pistes de réflexion pour sortir de l’impasse du néo-libéralisme. Pour eux,  une pensée unique doit prévaloir en économie, à laquelle tous, économistes et citoyens, doivent se soumettre.

Le titre, Le négationnisme économique,  est abject, qui oublie que le négationnisme est un délit, la négation du génocide nazi, qui revient à absoudre  Faurisson, Dieudonné, et autres le Pen en les  mettant sur le même pied que ceux qui ont montré  que les 35 heures ont créé des emplois.  Le sous-titre, Comment s’en débarrasser, est un appel direct  à l’épuration.  Il ne s’agit donc pas d’engager un débat intellectuel, mais de demander l’élimination de toute pensée critique.

Ces deux pamphlétaires ont une conception tout à fait particulière de la science économique. L’économie serait devenue scientifique depuis 30 ans ; enfin, seule  l’économie expérimentale basée, comme en médecine, sur des protocoles expérimentaux (comparer la situation de deux groupes, l’un soumis à la réforme que l’on veut tester, l’autre pas). Certes, parfois, cette méthode peut être pertinente, mais on ne peut oublier ses limites, surtout pour les sciences sociales : elle est descriptive et pas explicative ; rien ne prouve que tous les facteurs ont été pris en compte ;  elle oublie les interdépendances entre agents ; elle ne s’applique pas à l’analyse macroéconomique.

Mais, cela ne gêne pas Cahuc et Zylberberg. Seule cette méthode serait scientifique à leurs yeux. Elle a  réponse à tout et permet  de clore tout débat ou  scientifique. Ainsi, au nom de ce scientisme borné, ils épurent la science économique de toute la macroéconomie, de toute réflexion sur l’organisation économique de nos sociétés.

Puisqu’elle n’entre pas dans leur méthode,  les deux scientifiques autoproclamés oublient tout examen sérieux de la situation actuelle : la contre-révolution néolibérale et la globalisation financière ont provoqué, dans tous les pays développés, une forte hausse des inégalités, la précarisation d’une partie de la population, une grande instabilité financière, l’accumulation des richesses financières d’un côté, des dettes de l’autre, déséquilibres qui ont explosé avec la crise financière de 2008. Faut-il refuser d’analyser ces faits ?  Les Economistes atterrés se sont réunis après la crise  pour mettre en évidence les déséquilibres induits par la domination de la finance, engendrant des bulles et krachs, ce que reconnaît l’économie comportementale la plus récente (celle pratiquée par Akerlof et Shiller, deux récents titulaires du prix  de sciences économiques, « en l’honneur d’Alfred Nobel »), et les politiques d’austérité, dont même le FMI a fini par reconnaître le caractère néfaste après les avoir encensées. Ont-ils eu à ce point tort qu’il faille les exclure de la science économique ?

Cela amène miraculeusement Cahuc et Zylberberg à préconiser les remèdes les plus libéraux qui soient : baisser les coûts des bas salaires, donner toutes les libertés aux chefs d’entreprises. Pourtant, malgré ce qu’ont pu écrire les économistes libéraux, de nombreux pays introduisent maintenant des salaires minima relativement élevés (Allemagne, Etats-Unis, Royaume-Uni). Les pays où le niveau de vie des salariés est très bas voient se développer la précarisation d’une partie importante de la population. La France doit-elle se donner comme seule stratégie, celle de développer les emplois précaires sous-payés (le SMIC étant un ennemi de l’emploi selon les auteurs), emplois qui ne correspondent pas à la formation des jeunes ?

En 1997, des économistes de la pensée dominante avaient démontré, de façon « scientifique », que le chômage en France était soit volontaire (causé par le choix des personnes de ne pas travailler en raison du niveau trop élevé du RMI), soit causé par un niveau trop fort du SMIC. Pourtant, de 1998 à 2002, la France a créé 2 millions d’emplois supplémentaires, grâce au passage aux 35 heures (qui grâce aux exonérations de cotisations sociales n’a pas augmenté le coût du travail) et à la relance de la demande. Depuis cette expérience naturelle, les deux pamphlétaires n’ont de cesse que de refuser de voir l’évidence, de traiter d’obscurantisted tous ceux qui, sur la base d’analyses précises, concluent qu’environ 350 000 emplois ont été créés par le passage aux 35 heures.  Ces deux  pseudo-scientifiques refusent de tirer les leçons de l’évolution de l’emploi. Celui-ci dépend essentiellement de la demande de consommation ou d’investissement. Le chômage a  fortement diminué en 1998-2002 puis 2006-2007,  a fortement augmenté avec la crise financière puis les politiques d’austérité. Les réformes du marché du travail n’ont guère eu d’influence sur le volume de l’emploi, mais elles ont augmenté la précarité.  Il n’a pas eu en 2002 ou en 1997 de choc contre une barrière de taux de chômage structurel, liée à un niveau trop élevé du RSA ou du SMIC. 

Selon nous, il existe des choix sociaux à faire en matière d’orientation de la production et de la consommation. Ces choix sociaux doivent être démocratiquement débattus. Le rôle de l’économiste n’est pas de clore le débat au nom d’une prétendue science

Faut-il faire confiance aux dirigeants des entreprises soumis aux exigences des marchés financiers, pour orienter la production de façon satisfaisante, compte tenu des contraintes écologiques ? Faut-il faire confiance, par exemple, aux banques qui ont choisi de développer leurs activités spéculatives ou, pire, le trading à haute fréquence ? à l’industrie automobile, quand elle contourne les tests de pollution ? à l’industrie agro-alimentaire quand elle développe des produits nocifs pour  la santé publique ?

Contrairement à ce que prétend ce pamphlet, les économistes critiques ne préconisent pas, toujours et toujours, la hausse des dépenses publiques. Ils réfléchissent au contraire sur les réformes nécessaires : que faire face à la domination de la finance ? comment assurer un emploi pour tous ?  que faire pour la transition écologique ? Par contre, une politique de soutien de la demande est, lors d’une récession, nécessaire pour compenser la chute des dépenses privées et  maintenir l’emploi.

Cahuc et Zylberberg n’hésitent pas à assimiler les économistes critiques à des scientifiques dévoyés soumis à des lobbies. Ils oublient complétement qu’une partie importante des économistes mainstream sont effectivement financés par des industriels ou par la finance.  Ils oublient que certains des travaux appelant à réduire toujours plus les cotisations sur le  salaire minimum ont été  financés par la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution  ou par la Fédération professionnelle des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre opérationnelle. Ils oublient que des économistes sont financés par des assurances pour soutenir la retraite par capitalisation contre la répartition. Ils oublient le développement des chaires universitaires financées par des entreprises, des banques, des assurances.

Cahuc et Zylberberg croient pertinent de dénoncer les quelques  interventions des économistes critiques dans les médias. Les  grands medias sont aujourd’hui entre les mains de sept groupes financiers ou industriels. Ils font intervenir massivement des économistes non universitaires, qui n’ont jamais rien publié dans des revues scientifiques,  à la solde des banques ou des industriels ou des journalistes travaillant dans des journaux économiques destinés aux milieux d’affaires. Cela ne gêne nos deux inquisiteurs. Non, ils dénoncent des interventions d’économistes universitaires, qu’ils veulent déconsidérer car ils ne partagent pas leur aveuglement scientiste. N’est-il pas triste de voir ainsi deux universitaires  combattre le pluralisme des idées, et réclamer l’épuration des médias ?

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