Les manifestations du 12 novembre ont laissé à beaucoup un goût amer. Ont pesé sur elles de nombreux ambiguïtés que je voudrais rappeler ici, non que je pense exprimer un point de vue original, mais simplement pour bien fixer par écrit les causes de notre malaise.
- Les manifestations s’inscrivaient dans la lutte contre l’antisémitisme. Certes, les français juifs pouvaient souhaiter que la Nation leur exprime sa solidarité. Certes, l’antisémitisme est différent du racisme et mérite une manifestation spécifique à laquelle tous les partis et syndicats auraient dû participer. En même temps, est-ce le problème centrale aujourd’hui, quand la grande question est plutôt la situation des migrants, quand le Sénat vote une loi inique qui les priveraient de l’AME, qui priverait des enfants vivant des prestations familiales « avant cinq années de séjour stable et régulier » de leurs parents en France ? Ainsi, les partis qui militent contre l’immigration, qui pratiquent du racisme anti-musulmans pouvaient participer à cette manifestation et recevoir un baptême de bons républicains.
- En même temps, autant le racisme anti-arabes ou anti-noirs est odieux, autant il est sans doute légitime de s’inquiéter des risques d’une trop forte immigration de personnes qui ne souhaitent pas s’intégrer dans les valeurs de la société française, qui veulent rester fidèles aux valeurs de leurs sociétés d’origine. Bref, l’islamophobie est légitime, s’il s’accompagne d’une phobie de tous les préceptes archaïques et odieux des religions, de leur misogynie (du voile islamique, de l’interdiction de dire la messe, du minian), du « peuple élu », de la Terre promise », de la répudiation, de l’abattage rituel du judaïsme, du refus de la contraception, de l’avortement, du mourir dans la dignité, de l’homosexualité du catholicisme, etc. En ce sens, l’islamophobie ne peut être mis sur le même pied que l’antisémitisme. Et le développement de l’islamisme politique doit être fermement combattu en France comme au Proche-Orient, puisque c’est l’un des obstacles à la paix.
- Certes, c’est avant tout aux personnes de culture musulmane qu’il incombe de lutter contre les aspects sombres de leur religion d’origine, mais les musulmans étant des français comme les autres, tous les français ont un certain droit, un certain devoir de participer à ce combat idéologique, de refuser l’acclimatation du voile islamique avec tous ce qu’il comporte (l’interdiction des sports, de la piscine ; le contrôle des jeunes filles les mariages forcées). Sachant que le risque est que, devant les critiques extérieures, les personnes d’origine musulmane se sentent obligées de serrer les rangs, de voir toute critique interne comme une trahison.
- L’antisémitisme en France a trois composantes. Celle de l’extrême-droite qui reproche aux juifs d’être inassimilable dans les sociétés occidentales, de composer un noyau autonome de solidarités et de pouvoirs, n’existe plus guère, ne peut plus s’exprimer publiquement. Il existe une composante populaire souterraine, faite de préjugés. Il existe surtout une composante musulmane qui allie les préjugés traditionnels à la haine provenant du conflit palestinien. D’un côté, cette assimilation est inacceptable : les français juifs n’ont rien à voir avec Israël. De l’autre, beaucoup d’entre eux (et en particulier des organisations comme le CRIF) soutiennent aveuglément Israël, ce qui est compréhensible, mais inacceptable et justifie des attitudes hostiles envers ces organisations (celles de Corbyn ou de Mélenchon). Mais la critique de la politique d'Israël et de son gouvernement annexionniste et raciste, la critique des organisations qui la soutiennent, n'est pas de l'antisémitisme. L'ambiguïté est cependant que les manifestations contre l’antisémitisme puissent apparaître aujourd’hui comme des manifestations contre les musulmans. La participation du RN à la manifestation, la non-non participation de la CGT et de la LFI n'a pas permis de lever l'ambiguïté, qui l'eut été par une participation massive.
- L’horreur du 7 octobre autorise Israël à mettre le Hamas hors d’état de nuire. En même temps, le siège de Gaza, la privation des populations d’eau, d’électricité, de nourriture, les bombardements des civils sont inexcusables. Israël ne peut être ni totalement absous, ni totalement condamné. Israël comme le Hamas a commis des crimes de guerre.
- La constitution d’un État juif sur des terres palestiniennes, l’expulsion des arabes, la mise en place de Gaza et des camps de réfugiés ont été les crimes primitifs, dont l’Europe est co-responsable, en particulier l’Allemagne. Dans la période récente, s’y ajoute l’annexion progressive des territoires occupées, l’instauration de l’apartheid en Cisjordanie, les crimes des colons. Israël est donc le dernier territoire colonisé par l’Europe. En même temps, nouvel ambiguïté, le peuple israélien, tel qu’il s’est constitué, a droit à son État. Contrairement aux Français d’Algérie, les Israéliens n’ont pas de patrie ailleurs, prête à les recevoir.
- Bref, le 12 novembre, il fallait clairement soutenir les français juifs, sans jeter l’opprobre sur les musulmans, en réclamant un traitement honorable des migrants tout en reconnaissant le droit à la France de limiter le nombre de ceux qu’elle pouvait recevoir ; exiger la fin des bombardements israéliens sur les populations civiles et la fin du blocus, en réclamant la libération des otages, en reconnaissant le droit à Israël de combattre le Hamas, en reconnaissant le droit des palestiniens à la résistance. Surtout, en sachant que les solutions à deux États ou à un État laïque sont aujourd’hui des utopies ridicules, mais qu'il faudra bien un jour réaliser.