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Billet de blog 21 février 2025

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La Cour des comptes et la retraite : un rapport peu utile

Le rapport de la Cour de Comptes ne fait que reprendre les analyses du COR. La part des retraites dans le PIB serait stabilisée grâce au report du départ à la retraite et à la baisse du niveau relatif des pensions. Le déficit projeté ne provient que la politique restrictive en matière de masse salariale du public. Il n'y a pas de "déficit caché".

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Le rapport que la Cour des Comptes vient de réaliser à la demande de François Bayrou ne présente guère d’utilité[1]. Le COR (Conseil d’Orientation des Retraites) se consacre déjà à longueur d’année à analyser la situation financière et les perspectives du système des retraites. Il publie déjà un rapport chaque année. Aussi, la seule justification du rapport de la Cour est de mettre fin aux accusations de partialité du COR émises par le gouvernement en 2023 et de dissimulation du vrai niveau du déficit émises par François Bayrou.

En fait, la Cour des Comptes s’est limitée à reprendre les analyses du rapport du COR de juin 2024, en prenant comme projection centrale une projection plus pessimiste que la projection centrale du COR : taux de chômage à moyen terme de 7% (au lieu de 5%) ; gains de productivité du travail de 0,7% l’an au lieu de 1%. Mais cette projection un peu plus noire figurait déjà dans le rapport du COR[2].

Le système des retraites pris globalement a versé des pensions représentant 13,4% du PIB en 2023. Son solde global était en excédent chaque année de 2017 à 2024 (sauf en 2020). Il serait légèrement déficitaire (6,6 Md€ en 2025[3]).

En projection, le ratio des dépenses de retraites dans le PIB serait pratiquement stable. Cette stabilité serait obtenue grâce à un report de l’âge effectif de départ à la retraite de 62,9 ans à 64,6 ans (+1,7 ans) et une baisse de l’ordre de 12 % du ratio entre pension nette et salaire net, qui passerait de 65 % aujourd’hui à 58% en 2045.

Le recul brutal des bornes d’âge (le passage de l’âge ouvrant le droit à la retraite à 64 ans et la hausse à 43 ans de la durée de cotisation requise pour le taux plein) fera qu’en dépit d’une espérance de vie plus élevée, ceux nés entre 1965 et 1970 auront une durée de retraite inférieure de 2 ans à ceux nés en 1950.

Le ratio retraites/cotisants passerait de 0,565 en 2025 à 0,650 en 2045 (soit +15%).  Il serait logique que la part des dépenses de retraites augmentent d’autant. Le choix implicite fait par le COR et la Cour des Comptes est que cette hausse sera compensée en quasi-totalité par une baisse du niveau relatif des retraites grâce à l’indexation des salaires pris en compte et des retraites liquidées sur les prix et non sur les salaires, grâce à la baisse du taux de rendement à l’Agirc-Arrco et grâce à la stagnation de l’indice des traitements de la fonction publique.

Par contre, le ratio des ressources du système des retraites diminuerait de 13,9 à 13,2 %. C’est cette baisse qui serait responsable du creusement du déficit affiché du système des retraites de 0,2 % en 2025 à 0,9 % du PIB en 2045 (soit de 21 milliards), creusement utilisé par les propagandistes libéraux pour clamer que le système des retraites est insoutenable.  

Cette baisse proviendrait uniquement de la baisse des cotisations publiques, donc des hypothèses sur l’évolution des effectifs des fonctions publiques (-2,1% de 2023 à 2045) et surtout de l’évolution du point d’indice qui, selon la projection de la Cour des Comptes, baisserait jusqu’en 2036 par rapport au salaire moyen dans l’économie, soit au total de 15%.  C’est donc la politique d’austérité en matière de masse salariale publique qui réduirait les ressources du système de retraite.  Globalement, les dépenses sont contrôlées et le creusement annoncé du déficit n’est que la contrepartie des économies projetées en matière de masse salariale publique.

Le rapport de la Cour des Comptes écarte, à juste titre, la notion de « déficit caché » mise en avant par François Bayrou. Rien n’a jamais été dissimulé ; tous les chiffres ont toujours été disponibles dans les rapports du COR. Les retraites des fonctionnaires leur assurent un taux de remplacement équivalent à celui du salarié du secteur privé. Par contre, le taux de cotisation retraite des fonctionnaires est de 85,4 %[4] contre 27,8 % pour le privé. Rapporté au traitement total (et non au seul traitement indiciaire), le taux de cotisations des fonctionnaires passe à 66 % ; la CNAV reçoit des transferts de la banche famille, du FSV, de l’Unédic (32 milliards au total en 2023) qui correspondent à 6 points de cotisations. Enfin, le ratio cotisants/retraités est de 1 dans la fonction publique contre 1,7 dans le privé. L’écart est donc ramené à 39 % dans le public contre 34 % dans le privé, ce qui peut s’expliquer par des  différences dans l'évolution des carrières (moins de carrières hachées dans le public, plus de hausse des rémunérations avec l'ancienneté).  Nul coût caché donc, même s’il serait préférable que le surcoût du régime public soit isolé, et pas attribué aux fonctionnaires en poste actuellement. .

L’État prend en charge le déficit des régimes spéciaux (dont 6 milliards sont dus au déséquilibre démographique des entreprises publiques) et le déséquilibre démographique de la fonction publique (pour 20 milliards).  Ces 26 milliards devraient être pris en charge par les régimes du privé au titre de la compensation démographique. On peut considérer qu’ils constituent actuellement une subvention aux régimes de retraites du secteur privé.  Cette subvention va se réduire au fil du temps. Sa suppression brutale n’est pas à l’ordre du jour pour le conclave que doivent tenir les partenaires sociaux.

Le gouvernement a déjà prévenu : les propositions du conclave ne devront pas augmenter les dépenses de retraite.  Pourtant, compte-tenu de la hausse de la part de la population âgée, augmenter le ratio dépenses de retraites/PIB devrait être envisagé, d’une part pour permettre un départ précoce à la retraite des actifs ayant eu des conditions de travail pénibles, d’autre part pour éviter la baisse du taux de remplacement. Cela pourrait être financé par un transfert des excédents de l’Unedic (10 milliards si l’Unedic n’est plus contrainte de financer France emploi et si l’État y arrête ses prélèvements injustifiés), par la soumission des revenus extra-salariaux à des cotisations (pour un gain de l’ordre de 10 milliards[5]). Pourraient s’y ajouter des cotisations retraites supplémentaires (1 point déplafonné, à partager entre cotisations salariés et patronales rapporte 10 milliards) ; c’est un choix social qui doit être ouvert. Enfin, les négociations sociales dans les banches et les entreprises devraient viser à l’amélioration des conditions de travail, à la refonte des carrières, à une plus grande participation des salariés aux décisions de l’entreprise, ce qui permettraient d’allonger la durée des carrières dans des conditions satisfaisantes.  

[1] Voir aussi l’analyse du rapport par Mickaël  Zemmour 

[2] En retenant cette projection pessimiste, la Cour avalise l’idée que le décrochage de la productivité de la France et plus largement de l’Europe par rapport aux États-Unis, observé depuis 2000, se prolongera à l’avenir.

[3] Ce léger déficit entre les dépenses et les recettes propres est comblé par les intérêts reçus par les régimes complémentaires 

[4]  Soit un taux de cotisations salariales de 11,10% et un taux de cotisations employeur fictif de 74,28%, calculé de façon à équilibré le régime de la fonction publique.

[5] Par contre, il ne serait pas pertinent de soumettre à cotisation retraite les revenus financiers : ces revenus n’ouvrent pas des droits à retraite et il importe de préserver le principe du système :  les retraites sont des salaires socialisés et différés.

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