L'agression dont a été victime la comédienne Rayhana choque par sa violence et l'effarante capacité humaine à produire du mal. Quand l'homme fait du mal à l'homme, il nous reste bien peu de chose pour nous consoler. Pour notre avant-propos évitons au moins deux écueils. Le premier consiste à démontrer par des causes sociales un enchaînement propre à provoquer une telle tragédie, le second de tenter de comprendre un acte en remontant par la filiation psychique. Ceci a son importance mais peut être pas autant que les interrogations qui succèdent à la stupeur. Quand l'homme fait du mal à l'homme, c'est en effet le vertige de l'être que nous sommes qui nous secoue au plus profond. Et dans cela, il y a toujours quelque chose qui proteste contre la catastrophe et ne peut l'accepter comme destin.
C'est ce que nous appelons volontiers la dignité qui aujourd'hui s'est substituée à la nature puis à la condition humaine. Plus précisément, la valeur qui, dépassant la valeur n'en devient plus une puisqu'on ne peut plus lui accorder un prix, restitue la personne humaine comme fin et non plus comme moyen. Lorsque l'être humain devient la proie de la mauvaise intention en vue de la destruction de cette dignité s'élève alors l'indignation. La protestation permanente contre le mal ne l'abolit pas pour autant. Cependant le cri, qu'il nous est toujours possible d'étouffer par un sophisme de la raison, réveille une présence à soi même qui touche la fine pointe de l'âme. Ce sentiment intérieur, quand celui-ci n'est pas trop amolli par de vulgaires plaisirs ou aveuglé par l'intérêt, dans son auto-affection, déclenche une alerte jouant son rôle de sentinelle de l'esprit. C'est bien là que repose la folie et la grandeur humaine ; libre à nous de s'accorder ou non à la tragédie.
Le mal peut ainsi être considéré comme un agent corrupteur et non, aux yeux de l'humeur souvent imbécile, comme ce qui peut sembler une origine. De notre désir à faire le mal pour le mal et de sombrer dans la cruauté, il s'agit de la construction de notre propension à faire le mal et non de notre disposition ou un supposé penchant qu'on qualifie un peu vite de "naturel" sans demander si ce mal peut ne pas être. L'être maléfique perdu dans un labyrinthe maléfique est rare. Nos hésitations par contre sont quotidiennes et nous répugnons plus à souffrir qu'à réellement faire le bien. De ce constat négatif, il faudrait distinguer le malheur qui peut conduire malgré tout au bonheur ou tout du moins à une leçon du bonheur et le malheur qui ne s'arrachant jamais de lui-même ôte aux individus toute autonomie.
Il est aussi important de souligner que tout acte de violence n'est pas seulement un drame personnel. Il est aussi un drame de la communauté et donc un acte politique. Le contrôle de la violence par l'Etat est une garantie que l'exercice du pouvoir dans une démocratie est un exercice commun de l'ensemble des membres de cette communauté. Lorsqu'on réduit à une affaire privée un fait-divers on exclut de la communauté politique l'auteur de l'acte mais plus encore, on se soustrait à notre responsabilité de vouloir vivre en commun. Le lien n'est pas aussi invisible que cela entre notre perception du mal et comment à un moment donné nous décidons de vivre ensemble. Le dégager pourrait nous aider à renforcer le regard sur ce qui est bon contre la fascination que nous portons trop plaisamment vers ce qui est mauvais. Il apparaît que le mal radical s'alimente aussi avec une idée perverse qu'un homme pourrait ne plus rien représenter et qu'il paraît même superflu donc "éliminable". Dans le crime il y a une absence de volonté de vivre du bourreau qui se moque de la mort et de la sienne en particulier. Voir les hommes ainsi comme des cadavres en sursis conditionne l'idée du fanatisme. Imaginer un homme, plutôt que le comprendre tel qu'il est, arme la main du crime et, de cette idée confuse, le monde a tôt fait de se changer en cachot.
Billet de blog 17 janvier 2010
Mal lui en a pris
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