Il y a le scénario collapsologique, a priori totalement farfelu mais dont le succès relatif nous oblige à en interroger le sens. Il désigne les humains comme seuls responsables du drame auquel nous sommes confrontés planétairement. Ils auraient trop longtemps défié Gaïa, la terre-mère, pour qu'ils ne récoltent pas ce qu'il ont semé. Pour les prédicateurs de l'apocalypse, « Le jour d'après », c'est la fin du monde, du moins la disparition des humains sur terre. La prédiction est d'autant plus fascinante pour des esprits crédules que ce sont précisément les humains qui sont responsables du dérèglement climatique, de la pollution des sols et de l'atmosphère, du recul drastique de la diversité des espèces végétales et animales. Mais des humains imaginaires, présents dans un monde dont seraient absents à la fois les contraintes sociales, les pouvoirs qui les imposent, les antagonismes de classes qui en résultent.
Le deuxième scénario
On rejoint par là le deuxième scénario du « Jour d'après », lu et entendu à foison dans les médias bien pensants. Cette fois, les humains ne sont pas punis pour avoir transgressé les lois de la nature mais accusés de nous avoir, à cause de leur convoitise, leur égoïsme, leur rapacité, conduits là où nous sommes. Et si, dans le cas présent, les humains ne sont pas à l'origine du coronavirus, ce sont eux qui en auraient accentué tous les effets mortels. A première vue, l'affirmation n'est pas totalement absurde. Prenons la question de l'origine de l'infection. Elle aurait pris naissance en Chine par contact des animaux domestiques et des humains avec des chauves-souris, réservoirs naturels du virus. Ces contacts auraient été favorisés du fait de la destruction de l'habitat des chauves-souris suite une urbanisation et une déforestation intensives. Les humains porteraient effectivement une lourde responsabilité. C'est un raisonnement analogue qui impute aux humains la responsabilité du réchauffement climatique dont il est bien établi qu'il est anthropique. De sorte que la seule façon de le combattre serait de changer radicalement de modes de vie, et qu'ainsi, des millions de nouvelles pratiques sobres et économes mises bout à bout, auraient un effet global bénéfique.
Responsabilité collective versus responsabilité individuelle ?
Le raisonnement n'est pas à récuser, en ce sens, qu'on ne peut pas ignorer les comportements consuméristes générateur de gâchis, l'entichement pour des gadgets inutiles et la propension à acquérir l'objet dernier cri. Et, on ne peut leur chercher d'excuses par le fait que la publicité exercerait sur le consommateur une sorte de fascination à laquelle il ne pourrait pas échapper. Pour autant, ce raisonnement présente un biais fondamental. Celui de faire comme si les humains n'existaient pas à travers des sociétés structurées politiquement, socialement, culturellement, économiquement, judiciairement. Cela n’exonère pas la responsabilité individuelle, mais à condition de concevoir les humain inclus dans un réseau structurel puissant, dans lequel leur marge de manœuvre, si elle n'est pas inexistante, est toutefois limitée.
Le troisième scénario
C'est à ce point de la réflexion qu'il faut faire référence au troisième scénario du « jour d'après ». Les humains, une partie du moins, auront-t-ils fondamentalement changé lorsque la crise sanitaire sera surmontée ? Il faut espérer qu'elle aura induit des comportements individuels plus respectueux de la nature et plus attentifs aux autres. Il faut souhaiter qu'elle aura dessillé nombre d'entre nous sur les failles béantes creusées par le rouleau compresseur néolibéral et sur l'incapacité du système capitaliste à gérer humainement et démocratiquement des situations où la survie de l'humanité est en cause. Mais ces avancées ne conduiront à rien si elles ne convergent pas vers la construction d'un projet politique collectif. C'est le sens de l'appel lancé par les 18 responsables de syndicats, associations et mouvements environnementaux. Ils en appellent « à toutes les forces progressistes et humanistes, et plus largement à toute la société, pour reconstruire un futur écologique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral ». Dans le même ordre d'idée, le PCF, dans un document : « Relever les défis de la crise », daté du 31 mars, s'adresse « À tou·te·s les citoyen·ne·s et toutes les forces associatives, syndicales, de gauche et écologistes mobilisés par la gravité de la situation sanitaire et économique et par le besoin d’un nouveau mode de développement qui place l’humain et la planète avant les profits... » Guillaume Balas de Génération.s vient de proposer de « mettre en place, très rapidement, une rencontre permanente des organisations écologistes et de gauche, des syndicats et des grandes associations sur l’évaluation de la crise et les moyens d’y répondre ».
Ces appels soulignent l'exigence de penser et travailler ensemble. C'est le moins qu'ils puissent faire. Mais, l'urgence voudrait qu'ils se mettent d'accord tout de suite sur un calendrier de discussion traitant de toutes les grandes questions d'un projet alternatif. Qu'ils proposent des modalités pour associer, à part entière, les citoyen·ne·s à leurs travaux.
Ils doivent saisir cette opportunité « offerte » par la crise sanitaire pour en finir avec les suspicions entre organisations, les préséances, les près-carrés, les prétentions hégémoniques. Il y a un devoir d'invention, d'innovation,.
Le temps presse
Roger Hillel 6 avril 2020