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Billet de blog 8 avril 2019

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Le mouvement des GJ n'a pas fini de nous interroger

Le mouvement des GJ bouscule les codes de lutte des militant.e.s de la transformation sociale. Il est traversé de contradictions dont il n'a pas été fait le tour. La répression dont il fait l'objet n'a pas d'équivalent.

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Un mois après le début des actions des Gilets jaunes, une équipe d'universitaires avait lancé une vaste enquête de terrain pour en saisir les caractéristiques sociologiques. Leur étude avait abouti à plusieurs indications (Le Monde du 12 décembre 2018). L'une d'elle, qui nous intéresse ici, était ainsi énoncée « Les participants aux actions des « gilets jaunes » sont pour la majorité d’entre eux des individus aux revenus modestes. Ils n’appartiennent pas aux catégories les plus précarisées économiquement : 10 % d’entre eux déclarent avoir un revenu inférieur à 800 euros par mois (contre 519 euros pour les 10 % des ménages français les plus pauvres). » Une autre enquête menée par le collectif Quantité critique dont les résultats avaient été publiés peu après dans l'Humanité du 19 décembre 2018, concluait à la « surreprésentation des chômeurs (17,3 % de l'échantillon), des ouvriers et employés (63,19 % des actifs de l'échantillon). » Ces indications confirmaient celles faites par plusieurs observateurs selon lesquelles les personnes marginalisées et touchées par une extrême pauvreté n'étaient pas les plus impliquées dans le mouvement contrairement à celles aux revenus modestes et moyens. Des observations plus subjectives recueillies sur le terrain par des journalistes ou des militant.e.s ont confirmé que durant plusieurs mois la répartition sociologique des GJ avait peu varié. Par contre, dans la période plus récente, avec la terrible répression qui s'est abattue sur eux, il est vraisemblables qu'il y ait eu un rétrécissement du mouvement et que la part des plus précarisé.e.s, de celles et ceux qui n'ont plus rien à perdre hormis leur rage, ait augmenté.

Pour une part, des revendications progressistes

En tout cas, rien n'autorise à les caractériser du terme marxiste de lumpenprolétariat comme on peut le lire ici ou là (par exemple dans la tribune de Bertrand Gaufryau, Jacques Gaillot et Noël Mamère publiée dans L'Humanité du 26 mars). D'autant que chez Marx ce terme est utilisé dans une acception très péjorative désignant des populations déclassées et marginales peu portées à la lutte et aux engagements volatiles. Il en va tout autrement avec les GJ qui se sont politisés au cours de leur longue lutte. Par politisés, j'entends non pas un positionnement clair sur l'axe droite-gauche mais une affirmation de revendications progressistes partagées par un grand nombre de catégories populaires et au-delà d'une bonne partie des couches moyennes. On trouve ainsi avec des hauts et des bas suivant les groupes de GJ et les lieux de leur mobilisation : l'augmentation des salaires et des retraites, le rétablissement de l’ISF, la défense du service public, la nationalisation des autoroutes, la lutte contre l’évasion fiscale. Et puis s'affiche l'affirmation d'être respecté par le pouvoir et de ne plus être invisible. C'est ce qui explique, en partie seulement, la forte sympathie dont a longtemps joui ce mouvement de la part d'une majorité de Françaises et Français.

Les raisons contradictoires du soutien à ce mouvement

A l'occasion d'une soirée d'étude du Conseil national du PCF sur ce mouvement qui s'est tenu le 11 mars, Yann Le Lann, maître de conférences en sociologie à l’université de Lille, coordinateur de l’enquête du collectif Quantité critique (cf. supra) et président d’Espaces Marx a fait remarquer que lorsque au début du mouvement les médias dominants ont présenté ses soutiens comme l’expression d’un ras-le-bol des territoires péri-urbains braqués contre la taxe sur les carburants, « Le mouvement a eu l’intelligence de subvertir cette audience pour déplacer la revendication vers des enjeux de salaire et de retraite qui sont devenus le cœur de leur plate-forme. À nos yeux, c’est donc la question de la reconnaissance du travail qui est en jeu (…).» A quoi s'ajoute une exigence de démocratie directe qui ne passe pas que par le vote, symbolisée par le RIC, même si les formulations en sont restées bien vagues. Au crédit aussi de ce mouvement, à l'exception de quelques incidents montés délibérément en épingle, le fait d'avoir réussi à écarter les attitudes racistes et les propos anti immigrés. De même, la capacité d'avoir déjoué les tentatives d'instrumentalisation politique. D'autre raisons ont certainement concouru à ce soutien. Des raisons qui sont dans l'air du temps et ne laissent pas d'inquiéter un militant de la vieille école comme moi. Ainsi la forte suspicion à l'encontre des structures partisanes, partis et syndicats, ou le rejet confus des élites mettant dans le même sac des personnes que tout oppose, la préférence pour des appellations ambivalentes telle « les riches » ou « les oligarques » plutôt que « les patrons » d'ailleurs épargnés par les slogans, et moins encore « les capitalistes », et même une compassion pour les patrons présentés comme accablés de charges (exit les cotisations!) et qui se battraient pour sauver leurs entreprises et leurs employés,.

La question du populisme

Ce mouvement, quelles qu'en soient les suites, n'en a pas fini de poser des questions aux militant.e.s qui luttent pour la transformation sociale. C'est peu de dire qu'il a bousculé les codes traditionnels de la lutte sociale par son organisation transversale et l'utilisation des réseaux sociaux, il a rejeté les leaders charismatiques et les porte-parole permanents. A ce propos un débat se déroule pour savoir si ce mouvement est populiste C'est ce que conteste en particulier Déborah Cohen, maîtresse de conférences en histoire moderne, auteure de l'opuscule « Peuple » (Ed. Anamosa, mars 2019), dans la mesure où « la stratégie populiste suggère que le peuple est moins à penser comme un groupe social que comme le rassemblement hétérogène de colères et d’exigences mises en discours, dressées face aux pouvoirs et liées par la figure unifiante d’un chef. » Or, précisément, le mouvement des GJ n'a pas voulu de chefs, ne serait-ce qu'une équipe légitimée, ce qui va d'ailleurs avec le refus de négocier et de ne réagir qu'aux réponses, ou bien plutôt aux non réponses, du pouvoir.

Pourquoi une telle violence d’État ?

Ces caractéristiques sont maintenant connues, si non expliquées, de la part de celles et ceux qui l'observent avec intérêt. Par contre, à l'autre bout il y a le système macroniste qui en a fait son principal ennemi public. Ce qui est en cause, ce n'est pas seulement l'entêtement du pouvoir à botter en touche, à ne pas répondre aux revendications. Cela, nous en faisons l'expérience depuis longtemps. Mais là, ce qui est effrayant, c'est la violence inouïe de la répression qui dépasse largement celle à laquelle le mouvement social organisé est habitué. Certains de mes camarades suggèrent que le pouvoir verrait dans le mouvement des GJ une « révolte de la faim » qu'il faudrait stopper à tout prix avant qu'elle ne devienne totalement incontrôlable. D'autant plus incontrôlable que système capitaliste s'attend à un approfondissement des inégalités sociales provoqué par l'approche d'une nouvelle crise financière mondiale aussi forte si non plus que celle de 2008.

Roger Hillel

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