« I.C.(...) rêve yeux grands ouverts d’opposer au drame sans nom où nous courons la quête d’une issue exaltante enfin candidate au succès », tels sont les mots par lesquels se conclut le manifeste d’Initiatives Capitalexit (I.C.) qu'une trentaine d'intellectuels viennent de lancer. Capitalexit est le titre éponyme du livre paru en en mars 2018 aux Editions La dispute dans lequel Lucien Sève et son fils Jean s'entretiennent de ce drame sans nom qu'est le capitalisme. C'est la pensée tutélaire du philosophe marxiste, mort récemment, qui inspire les initiateur-trice.s de I.C., parmi lesquels l'historien, Jean Sève, Nadia Salhi, du collectif industrie de la CGT, Cyril Melot, enseignant en sciences politiques à l'université Paris VIII. Curieusement, - est-ce par un défaut de communication ? - les autres noms de cet aréopage ne figurent ni dans leur site : capitalexit.org, ni dans l'article de L'Humanité du 5 juin consacré à leur conférence de presse.
Les axes de réflexion de I.C.
Il aurait été étonnant que la pensée protéiforme et puissante de Lucien Sève ne vienne pas nourrir le débat sur l'après capitalisme. Ses épigones l'ont fidèlement traduite dans un texte fondateur, dont je prends le risque de dégager, à partir de quelques extraits, ce que je crois être ses axes essentiels :
Premier axe : « Le capitalisme est entré en folie jusqu’à l’extrême désastre... Le pire est possible, jusqu’à une disparition cataclysmique de toute civilisation. »
Deuxième axe : « Faire que s’engage sans délai la tâche impressionnante mais pressante d’en finir avec le capitalisme. »
Troisième axe : « Les diverses voies supposées y conduire ont été historiquement invalidées : La conquête insurrectionnelle du pouvoir par une minorité agissante.. L’accession démocratique à la direction de l’État par voie électorale. Quant aux précieux essais de donner vie à des alternatives de terrain, s’ils matérialisent des possibilités émancipatrices, aucun n’est parvenu à créer un rapport de forces capable d’imposer quelque transformation sociale majeure. »
Quatrième axe : « Une voie inédite doit être inventée... Elle doit donc naître d’un révolutionnement démocratique conduit et piloté par cette immense majorité que constituent les dépossédé.es dans toute leur différence. »
Cinquième axe : « Ne peuvent convenir à l’autogestion d’une levée en masse ni le parti vertical … ni le mouvement d’allure horizontale dont la cohérence est suspendue au pouvoir d’un chef charismatique. »
Sixième axe : « Activer puissamment la bataille révolutionnaire voulue incite à former un vaste réseau durable de collectifs thématiques, chacun travaillant en toute maîtrise à élaborer et promouvoir une transformation précise dans l’échange de vues et d’expériences avec d’autres collectifs de même objet, la coordination nécessaire de l’ensemble étant l’œuvre d’une centralité horizontale non directive fonctionnant à la constante démocratie majoritaire.
Une présomption désarmante
On reste confondu devant cette stratégie politique, à laquelle les inititeur.trice.s de Capitalexit donnent le nom de « évolution révolutionnaire », basée sur un maillage de collectifs, lequel, « ne tend à concurrencer nulle organisation ou initiative amie ». Je ne doute pas que le travail de ces collectifs donnera des résultats intéressants, voire décisifs, mais ce qui me désespère, c'est cette présomption incroyable de « courir la quête d’une issue exaltante enfin candidate au succès. » Autre chose aurait été de présenter les résultats de ce travail de réflexion aux organisations - politiques, syndicales et associatives - qui agissent selon des visées compatibles avec cette stratégie post capitaliste. Autre chose aurait été de les aider à surmonter leurs suspicions réciproques, à travailler ensemble, à sortir de leurs prés carrés, à mettre en sourdine leurs prétentions hégémoniques.
Roger Hillel 8 juin 2020