Michel Onfray a annoncé le lancement dans le courant du mois de juin de sa nouvelle revue, Front populaire. On savait que la provocation était sa tasse de thé, mais là, elle est infecte. Il déclare vouloir « mener le combat des idées pour retrouver notre souveraineté » et « faire de telle sorte que des notions comme « peuple », « populaire », « nation », « souverainisme », « protectionnisme » ne soient pas des insultes mais des prétextes à débattre. » On pourrait s'y laisser prendre, comme ce fut le cas autrefois en d'autres occasions. J'y reviendrai. Mais, dans ce cas, il suffit de prendre connaissance de ses soutiens, dont certains seront des auteurs de la revue, pour dissiper toute équivoque. On trouve quelques personnages qui ont défrayé la chronique, les plus défraîchis comme Jean-Pierre Chevènement et Philippe de Villiers, d'autres qui s'agitent encore, comme Didier Raoult (un ralliement significatif) ou Georges Kuzmanovic (viré de LFI en novembre 2018). Mais le gros des troupes appartient à la droite la plus radicale, limite fascisante, tels Elisabeth Lévy, Ivan Rioufol, Barbara Lefebvre, Régis de Castelnau, Alain de Benoist, Patrick Lusinchi, Yann Vallerie, Thibault Isabel. Toute une panoplie d'intellectuels qui se proposent, au dire de certains d'entre eux, de « réarmer idéologiquement la droite et l’extrême droite ». Michel Onfray se prévaut aussi des adoubements, entre autres, de Robert et Emmanuelle Ménard et Philippe Vardon (membre du bureau national du Rassemblement national). « Une initiative positive » a tweeté Marine Le Pen, qui « ne peut que [la] réjouir ».
Ce lamentable naufrage est-il surprenant ?
Michel Onfray a fait sa percée médiatique en 2002, l'année où il venait de créer l'université populaire de Caen. Son intention déclarée était de s'opposer aux idées de l'extrême droite. Peu de temps avant, l'accession de Jean Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle, avait été pour lui un véritable choc. A l'époque, j'ai été séduit par l'hédoniste, l'« anarchiste proudhonien », l'anti FN, proclamant vouloir délivrer l'enseignement d'une « contre-histoire de la philosophie ». J'ai été de ceux qui en 2005, ont lu avec gourmandise son traité sur l'athéologie, dans lequel il s'en prenait avec une égale ardeur aux trois monothéismes. Cela convenait au matérialiste athée que je suis. J'aurais dû être plus attentif. Il s'y déclarait « athée chrétien », au sens où il reconnaissait « l'héritage culturel judéo-chrétien de l'Europe ». Cet héritage a toujours été la tarte à la crème des idéologies les plus réactionnaires. De fil en aiguille, une dizaine d'années plus tard, au nom de cet héritage, il partageait avec Houelbeck et d'autres la même haine de l'Islam. En 2015, suite à la publication de son ouvrage Cosmos, Evelyne Piellier pouvait écrire de lui dans le Monde diplomatique : « l’athée farouche qu’il fut est désormais tout imprégné d’une spiritualité aussi vague que confuse ; le rationaliste qu’il se veut chante la louange de l’instinct silencieux ; le libertaire qu’il se proclame est devenu le héraut du respect des traditions. ».
Il aura fallu encore cinq année, pour que l'ex athée, l'ex rationaliste et l'ex libertaire sombre dans les eaux troubles d'une revue qu'il a appelée, usant d'une intolérable antithèse, Front populaire.
RH 24 mai 2020