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Billet de blog 30 mars 2020

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Pourquoi une telle irresponsabilité ?

Depuis le début de la crise sanitaire, les décisions et les déclarations de Macron et de son gouvernement ont été incohérentes et contradictoires. Il reste encore à en expliquer les raisons.

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A l'heure où nous en sommes, dans la phase épidémique qui nous submerge, il n'y a plus d'autre alternative que le confinement total. Les milieux médicaux, dans leur quasi unanimité, s'accordent là-dessus. Pour autant, de nombreux spécialistes de la santé publique (virologues, épidémiologistes, infectiologues, médecins des hôpitaux, praticiens de terrain ...) considèrent que si les choses avaient été prises à temps, au moment des premières alertes courant janvier, une autre stratégie aurait été possible. Celle choisie par la Chine et la Corée du sud, basée sur le port du masque généralisé, le dépistage massif, l'identification des porteurs malades ou sains et leur mise en quarantaine, et, aussi pour la Corée du Sud, le traçage des contacts des personnes testées positives. Ces dispositions étaient connues depuis plusieurs semaines du gouvernement français. Il les a écartées ne prenant que tardivement la mesure de l’ampleur de la crise sanitaire qui s'annonçait. L'exemple le plus affligeant a été le maintien du premier tour des élections municipales.

Décisions et déclarations plus irresponsables les une que les autres.

Il faudrait en faire la liste. C'est accablant. Je n'en prends que quatre : fin janvier, Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, affirme que « le risque d'importation [du virus] depuis Wuhan est pratiquement nul » et que « le risque de propagation est très faible ». Le 6 mars, Macron et son épouse se rendent au théâtre, lui déclarant : « La vie continue. Il n’y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie ». Le 12 mars, le ministre Blanquer assène qu’il n’y a aucune raison de fermer les écoles, le soir même la fermeture générale est annoncée. Le 11 mars, on a ce  tweet  de Macron, « Nous ne renoncerons à rien, surtout pas à rire, à chanter, à penser, à aimer, surtout pas aux terrasses, aux salles de concert, au fêtes de soir d’été, surtout pas à la liberté », mais le 12, les écoles ferment et le 14, le début du confinement général est décrété. Point d'orgue des ces irresponsabilités en rafale, la déclaration solennelle du chef de l'Etat selon laquelle « nous sommes en guerre », et son appel comminatoire à l'union pour conduire cette « guerre ». Enfin, l'acmé de cette irresponsabilité avec les mesures prises pour s'arroger les pleins pouvoirs pour mener cette « guerre ».

Les raisons de cette irresponsabilité massive

Dès lors que cette irresponsabilité massive est reconnue, il reste encore à en expliquer les raisons. D'aucuns l'attribue au fait que les membres de ce gouvernement, de part leur extraction sociale et leur formation élitiste, seraient déconnectés de la réalité. Le pouvoir ainsi socialement cadenassé ne pourrait que multiplier les couacs de communication et les errements stratégiques. Il y a certainement du vrai dans tout cela. Mais, s'en tenir là, serait faire l'impasse sur l'idéologie qui animent en toute chose les dirigeants politiques du pays. L'idéologie des « premiers de cordée » dont les richesses viendraient « ruisseler » sur l'ensemble de la société. Les premiers de cordée, en d'autres termes, « les marchés financiers » qui gangrènent l'ensemble de notre économie. Obnubilé par ces marchés financiers, par la préservation de leurs rendements et de leur profits, le pouvoir cafouille, incapable de prendre la crise sanitaire à bras le corps. C'est cette idéologie, qui, dominant les pensées et les actes de Macron et de son gouvernement, a conduit à la politique du « zéro stock » en matière de masques, produits de dépistage, respirateurs.... C'est elle qui a motivé les décisions de ce gouvernement et de ceux du temps de Sarkozy et de Hollande, qui ont provoqué la fragilisation du système de santé, le sabotage du service public, l'asphyxie des recherches fondamentales, notamment sur les virus émergents, pour privilégier les recherches axées sur les débouchés « rentables ». C'est cette idéologie qui a poussé à la délocalisation des entreprises pour maximiser les profits. On en finirait pas d'énumérer les dégâts qu'elle a provoqués.

L'invocation de l'Etat - providence laisse sceptique

La gestion calamiteuse de cette crise servira-t-elle de leçon à Macron et son gouvernement ? A suivre notre champion du néolibéralisme, ce serait le cas. N'a-t-il pas déclaré le 12 mars que l'Etat-providence est « un bien précieux(...) un atout indispensable » ? N'a-t-il pas enfoncé le clou avec cette incise : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. » N'a-t-il pas annoncé « une rupture » pour l'après crise ? Comment le croire. Tout dans sa gestion de la crise incite au scepticisme. Rien ne permet de penser qu'il conçoive un Etat- providence au service de l'humain.

Le covid-19 est une calamité. Pour s'en prémunir, dans la mesure du possible, il ne nous reste plus que le confinement. Mais après, lorsque la crise sanitaire sera surmontée, nous n'avons aucune assurance qu'elle ne soit pas instrumentalisée par ce même pouvoir qui nous a conduit où nous en sommes aujourd'hui. Après tant de palinodies de sa part, rien ne nous garantit qu'il ne prenne prétexte de la situation difficile dans laquelle nous allons nous trouver, pour imposer une politique de « l'après-guerre » : austérité tous azimuts et autoritarisme sans limite.

Roger Hillel 29 mars 2020

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