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Billet de blog 5 août 2022

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Réponse au billet de Pierre Daum sur l’exposition Abd el-Kader au Mucem à Marseille

Au Mucem jusqu’au 22 août une exposition porte sur l’émir Abd el-Kader. Le journaliste Pierre Daum lui a reproché sur son blog personnel hébergé par Mediapart de donner « une vision coloniale de l’Émir ». Un membre du Mrap qui milite pour la création d'un Musée national du colonialisme lui répond. Une exposition itinérante diffusée par le site histoirecoloniale.net et l’association Ancrages complète et prolonge celle du Mucem.

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Débat à propos de l'exposition Abd el-Kader au Mucem à Marseille

Le Mucem consacre jusqu’au 22 août 2022 une grande exposition à la riche personnalité de l’émir Abd el-Kader. Le journaliste Pierre Daum, tout en relevant qu’elle « a reçu un éloge unanime de la presse et de divers commentateurs », et en concédant qu’elle est accompagnée d’« un catalogue très intéressant », lui a consacré dans son blog un billet qui lui reproche de donner « une vision coloniale de l’Émir », d'être une « réapparition du récit construit par le colonisateur » et un « retour de la propagande des années 1930 qui évacuait sa contestation de l’ordre colonial ». Jacques Vénuleth, membre de la Commission nationale du Mrap pour un Musée national du colonialisme, lui répond qu’il ne partage pas son point de vue.


Abd el-Kader au Mucem : une vision coloniale de l’Émir

par Pierre Daum, dans son blog hébergé par le Club Mediapart le 2 juillet 2022.

La grande exposition de l’été du Mucem est consacrée à Abd el-Kader, grand résistant algérien à l’invasion coloniale. On pourrait y voir le signe d’une avancée dans la reconnaissance du caractère illégitime de l’entreprise coloniale. Il n’en est rien. Derrière une beauté formelle se dissimule la même vision coloniale du « bon » rebelle Algérien, à l’opposé des « mauvais fellaghas » de 1954. Lire la suite.


Réaction

Cette exposition est un bel éclairage sur l'importante personnalité que fut l’émir Abd el-Kader

par Jacques Vénuleth, membre de la Commission nationale du MRAP[1] pour un Musée national du colonialisme.

J’ai lu le billet de Pierre Daum en revenant de l’exposition du Mucem, et je me demande si nous avons vu la même exposition. Il y a vu, comme le dit son titre, « une vision coloniale de l’émir », orchestrée par la politique mémorielle d’Emmanuel Macron. Désolé, je n’ai d’abord à aucun moment pensé au président Macron. Ensuite, je venais découvrir le personnage de l’émir Abd el-Kader dont je ne connaissais guère que la légende, et je n’ai pas été déçu.

Je n’y ai vu ni une vision coloniale du personnage, ni la simple reproduction de sa légende, mais, je crois, un bel éclairage de la réalité de cette importante personnalité. Une réalité certes complexe et parfois contradictoire, mais peut-être apparemment seulement. Et on n’est jamais déçu par la réalité ; elle invite à réfléchir, contrairement à la légende.

Si le but, comme cet article le suppute, était d’utiliser la mémoire de l’émir pour vanter, grâce à cela, les bienfaits de la soumission coloniale, c’est complètement raté, en tout cas en ce qui me concerne. Au contraire, j’en suis ressorti convaincu de la nécessité de continuer à faire connaître la réalité coloniale pour mieux la dénoncer, et pour surmonter certains problèmes mémoriels qui bloquent l’unité de notre société.

L’engagement anticolonialiste d’Abd el-Kader

Dans la première partie de l’exposition, et de la vie d’Abd el-Kader, j’ai eu la confirmation de l’analyse d’Aimé Césaire : le colonialisme est la pire des rencontres entre deux peuples, deux civilisations, deux cultures. Ce thème est très bien documenté dans l’exposition, l’article de Pierre Daum le souligne lui-même. L’analyse par une projection sur un mur entier du tableau de Horace Vernet « La prise de la smala d’Abdelkader » démontre la cruauté et la lâcheté de l’opération, commandée par ce général d’opérette que fut le duc d’Aumale, qui cédera sa place au sinistre Bugeaud. Ce « grand » général savait grâce à un indicateur qu’il attaquait un camp sans défenses, l’armée de l’émir étant à ce moment absente.

Dans la deuxième partie de l’exposition, après l’acceptation par Abd el-Kader de sa défaite provisoire devant la disproportion des moyens militaires et économiques, on ne suggère nul renoncement. C’est l’attachement à l’idée de résistance à la colonisation qui est mise en valeur, notamment par cet extrait d’une lettre d’Abd el-Kader au général Bugeaud, imprimée sur un mur de l’exposition : « Nous opposer à toutes les forces que tu promènes derrière toi, ce serait folie, mais nous les fatiguerons, nous les harcèlerons, nous les détruirons en détail, le climat fera le reste… Vois-tu la vague se soulever quand l’oiseau l’effleure de son aile ? C’est l’image de ton passage en Afrique. »

A travers cette exposition, j’ai vu, du coté de l’envahisseur, le reniement de la parole donnée, de la promesse dès sa reddition de laisser Abd el-Kader rejoindre une terre d’islam. Puis la tentative de l’utilisation du personnage sous des formes multiples et variées, et les pressions exercées sur lui.

La fidélité d'Abd el-Kader à sa parole donnée

De l’autre côté, l’exposition montre au contraire chez Abd el-Kader la fidélité à sa parole donnée de renoncer, en ce qui le concerne, à toute action politique ou militaire contre la France, tout en refusant les compromissions, comme jouer les potiches à la tête d’un empire arabe voulu par Napoléon III. Sa démonstration que l’islam peut être une religion de paix, sa reconnaissance également des vertus du progrès technique s’il est mis au service de « rapports réciproques et enrichissants entre des peuples libres » - comme le dira Frantz Fanon -. Sa démonstration enfin de la sagesse et de la spiritualité de ceux qui seront bientôt uniquement décrits en « sauvages ». N’oublions pas que la conquête coloniale de l’Afrique et de l’Asie, et sa justification, commencent alors à peine.

Tout cela je l’ai découvert dans l’exposition et j’en suis donc sorti pleinement revigoré, en m’appuyant en outre sur des faits et non des légendes.

Je voudrais faire une mention particulière à ce tableau, où Pierre Daum voit le signe des intentions de cette exposition, le tableau de la soumission de l’émir, qui embrasse la main du prince président.

Le grand tableau de François-Théophile-Etienne Gide, « Les chefs arabes présentés au prince président »  (1852).

Il se trouve que je me suis retrouvé au cours de ma visite à proximité d’un petit groupe de jeunes accompagné par un guide, et j’ai compris qu’ils étaient algériens ou d’origine algérienne. Au niveau du tableau de la soumission, et également d’un tableau semblable, où c’est la mère d’Abd el-Kader qui s’incline devant le futur empereur, le guide a souligné que ces tableaux étaient de vulgaires faux destinés à la propagande. Cela est particulièrement évident pour le tableau qui représente sa mère dont la situation ne risquait pas de lui permettre une telle initiative.

Une telle déformation et instrumentalisation rentrait bien dans le plan général des autorités coloniales de l’époque. Le guide ne l’aurait-il dit que pour faire plaisir aux visiteurs composant son groupe ? Cela est-il suffisamment souligné dans le texte d’accompagnement de l’exposition et dans le catalogue ? Les questions méritent d’être posées. Mais l’interprétation qu’en donne Pierre Daum ne coïncide ni avec ma vision de l’exposition, ni avec les explications du guide-conférencier ou médiateur que j’ai entendues.

J’en conclus que je suis heureux que cette exposition existe, que je conseille à tous de s’y frotter et d’enrichir ses propres connaissances et son propre argumentaire à partir d’elle, en en soulignant autant les acquis que les limites.

Pour un musée national de l’histoire du colonialisme

J’en viens aux raisons de mon intérêt général pour cette question mémorielle. Au Mrap, nous sommes engagés au niveau national dans une action de demande de création d’un musée national de l’histoire du colonialisme. Pierre Daum a bien voulu rejoindre notre collectif informel de réflexion, et y a exprimé soutien et réserves.

Cette demande, que de nombreuses autres structures et personnalités ont déjà formulée, est loin être acceptée, encore moins aujourd’hui avec l’évolution de la situation politique. On comprend aussi qu’au vu de la réalité de la politique mémorielle déjà mise en œuvre par Emmanuel Macron on puisse avoir craintes et réserves. Mais, malgré tout, face à cela, que faut-il faire, à condition bien sûr d’être convaincu qu’un musée est nécessaire pour contribuer à l’éducation populaire et à l’éducation de la jeunesse ? Abandonner pour ne courir aucun risque de récupération ? Balayer d’un revers de main comme négligeable ce qui a commencé à se faire à partir du rapport de Benjamin Stora ? Pour notre part, au MRAP, nous ne le pensons pas.

En ce qui concerne la politique mémorielle d’Emmanuel Macron, nous avons acté ses avancées et souligné ses limites. Pour faire avancer ce projet de musée du colonialisme, pour convaincre et rassembler, nous avons décidé de nous atteler à un moment nécessaire, une étape intermédiaire, avec notre proposition d’exposition itinérante et provisoire : « Le musée national de l’histoire du colonialisme dont la France a besoin ». Nous invitons largement chacun et chacune à dire à cette adresse ce qu’il voudrait trouver dans cette exposition provisoire. J’espère que nous pourrons continuer à profiter de la participation et de l’avis de tous. Lors de la Fête de l'Humanité aura lieu le samedi 10 septembre 2022 à 17h30, sur le stand de la fédération du Gard du parti communiste, un débat à l’initiative du MRAP sur le thème « Créer un musée national de l’histoire du colonialisme ! Pourquoi est-ce nécessaire et urgent ? Comment y parvenir ? » [2]

Le futur musée de Montpellier

J’en viens pour finir au futur musée de Montpellier, dit - aux dernières nouvelles -, « de la France et de l’Algérie », qui aurait vocation, d’après ce qu’on entend, à devenir un musée national. Projet qui, d’après la presse et à partir de la nomination d’une montpelliéraine au « secrétariat des anciens combattants et de la mémoire » serait en bonne voie et aurait déjà une adresse.

Concurrence avec notre projet ? Non, car, si la période algérienne est incontestablement le cœur de la réflexion française sur le colonialisme, il est inconcevable de s’arrêter à elle et de s’y limiter. Risque, là aussi, de récupération ? Bien évidemment, il existe. Mais rester en dehors à partir de ce risque ? Non, au contraire, intervenir fortement pour peser sur son contenu.

Bienvenue à tous ceux qui voudront se joindre à notre projet.

[1] Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples.

[2] Débat animé par Mina Kaci, journaliste, avec Alain Ruscio et Gilles Manceron, historiens, Kaltoum Gachi, coprésidente du MRAP, et Jacques Venuleth, coresponsable de la commission musée du MRAP.


En marge, une exposition itinérante complète et prolonge celle du Mucem.

Abd El-Kader, Héros des deux rives
Exposition itinérante
diffusée par l’Association Ancrages 
avec le soutien de histoirecoloniale.net

Le séjour d’Abd el-Kader à Toulon, sa quarantaine à l’hôpital maritime du Lazaret, puis et sa détention au Fort Lamalgue, sont insuffisamment connues et méritent d’être situées à leur juste place dans l’évolution intellectuelle de l’émir. L’émir est vaincu, à la merci de la France qui a trahi sa parole. Mais Abd el-Kader est sorti grandi de cette épreuve durant ses quatre mois passés à Toulon.

« Abd el-Kader, Héros des deux rives » est une exposition à l’initiative de la Ligue des droits de l'Homme de Toulon que, en 2022, l’association Ancrages, à Marseille, a souhaité rééditer dans le contexte de la célébration du soixantenaire de l’indépendance de l’Algérie. Le portrait de l’émir Abd el-Kader permet de revenir sur la conquête coloniale et sur la résistance d’un homme au parcours emblématique.

Abd el-Kader est né près de la ville de Mascara en 1808 (Ouest algérien), d’une famille de l’aristocratie religieuse descendante de la tribu berbère des Beni-Ifferen et affiliée à la confrérie soufie Qadiriyya. Il se retrouve à mener une campagne militaire contre la conquête coloniale pour résister au général Bugeaud et à ses pratiques cruelles en direction des populations civiles.

Car, sous les ordres de Bugeaud, ce sont les « enfumades » de populations civiles, les razzias, la politique de la terre brûlée consistant à brûler les récoltes, le bétail et les maisons des populations locales, suivies de la confiscation des terres leur appartenant pour les octroyer aux colons.

Autour de ce portrait multiple de l’Emir Abd el-Kader (1808-1883), l’enjeu de l’exposition est de :
• sensibiliser à la résistance civile et populaire à la conquête coloniale de l’empire français,
• favoriser la compréhension du contexte historique, des motivations des puissances coloniales,
• permettre de comprendre les héritages contemporains du système colonial en termes de discriminations (code de l’indigénat, statut de « sujet de l’empire », de représentations « raciales » et d’empreintes patrimoniales, statuaires, odonymiques, urbanistiques… et plus largement, la façon dont la colonisation s’oppose aux valeurs républicaines issues de la Révolution française.

Cette exposition est diffusée en partenariat avec la Ligue des droits de l’Homme (LDH) Toulon-La Seyne et l’historien Gilles Manceron, représentant du site histoirecoloniale.net.

Les organismes prêteurs des sources ont été la Marine nationale, le service historique de la marine de Toulon, le Musée du Vieux-Toulon, les Archives municipales de Toulon, Les Archives Départementales du Var, les Archives Nationales d’Outre-Mer d’Aix-en-Provence (ANOM), le Musée Balaguier, la DRAC du Var. La bibliothèque municipale a mis à disposition le fonds Philibert, fonds sur l’histoire et les civilisations du Maghreb.


Nombre des panneaux : 12.

Type : panneaux auto-portés.

Mise en place et démontage : A la charge exclusive de l’association Ancrages.

Pour tout public, des ateliers de médiation culturelle ludiques sont proposés aux plus jeunes.

Informations et réservations :

Pour accueillir cette exposition dans vos locaux, s’adresser à :

Khadija ROUL,
Chargée de médiation culturelle
mediation@ancrages.org
07 67 98 82 09 / 09 50 74 04 67


Abd el-Kader, Lettre aux Français.
Aux Editions Phébus, 1977 ;
rééd. Libretto, 2007, 8,90 €.

Extrait de l’introduction à l’édition de 1977
par René R. Khawam

« En fait cette Lettre aux Français (dont nous donnons ici le texte intégral après en avoir établi l’édition critique en arabe en nous reportant aux manuscrits originaux) fut adressée non pas au prince-président, devenu entre temps « empereur des Français », mais à un certain Reinaud, président de la Société asiatique et membre de l’Institut. Ce détail est important. Il montre que l’émir s’adressait non pas à des gouvernants mais bien au peuple français dans son ensemble par l’intermédiaire de ses représentants culturels, ainsi que le veut la coutume arabe. »


Actes Sud Junior,
collection « Ceux qui ont dit non », 2018,
96 pages, 9,90 €



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