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Billet de blog 9 mai 2025

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Souvenir pour aujourd'hui du 8 mai 1945 à Bordj Bou Arreridj, près de Sétif

Senhadja Akhrouf, engagée en Algérie il y a peu dans le mouvement pour la démocratie, le hirak, se souvient avoir entendu une amie lui parler de manière inattendue de la petite ville où elle a grandi. Cela l'a ramenée au message muet que son père, arrêté au lendemain du 8 mai 1945, lui a transmis.

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Du 8 mai 1945 dans la petite ville de Bordj Bou Arreridj à la permanence de la mémoire

par Senhadja Akhrouf

Marseille, 2005. J’étais déléguée de l’association Pluri-elles-Algérie à la Marche mondiale des femmes.

Au cœur de cette effervescence féministe, j’ai retrouvé une amie de longue date, militante elle aussi. Ensemble, nous avions autrefois animé des débats sur les intégrismes et les droits des femmes. À l’heure du déjeuner, une envie commune de prendre l’air nous pousse hors des sentiers militants : direction la Porte d’Aix. La foule marseillaise, ses accents mêlés, sa chaleur, me rappellent l’Algérie. Un bain de réel. Un contraste bienfaisant.

Au détour de cette pause, mon amie me confie un projet : elle part à Bordj Bou Arreridj. Surprise. Bordj, cette ville aride des Hauts Plateaux, à une soixantaine de kilomètres de Sétif, est ma ville natale. Rien n’y attire le touriste lambda. Mais elle y va, à la recherche d’un oncle.

J’apprends alors ce lien secret entre elle et ma terre : son grand-père, notable de Bordj, aurait eu une relation avec une « indigène ». Un enfant serait né de cette union non reconnue. L’histoire est banale, tragiquement banale. Des enfants du viol, rejetés, oubliés, et des enfants qualifiés odieusement d'« illégitimes », j’en ai connu. Ils n'en sortent pas indemnes, leurs mères non plus.

De retour à Paris, cette rencontre ravive ma mémoire de la ville où j'ai passé mon enfance. J’appelle ma sœur restée en Algérie. Elle connaît mieux le passé que le présent. Je veux qu’elle me parle de notre père, de son engagement en faveur de l'indépendance. J’en avais entendu parler, vaguement. Mais il n’évoquait jamais ces années-là. Il avait refusé toute indemnisation, pour son combat comme pour son fils mort au maquis à 19 ans. « Nous n’avons fait que notre devoir », répétait-il.

Ma sœur m’envoie alors un article écrit par Abdoune Mostefa, un ami de mon père, camarade de ses engagements.

Il y raconte la manifestation du 8 mai 1945 à Bordj Bou Arreridj, une histoire que peu de jeunes de la ville connaissent aujourd’hui.


« Le défilé devait commencer à 10h. Les ordres étaient clairs : calme, dignité, pas d’armes, aucune provocation. Les militants se rassemblent près du local des Amis du Mafifeste et de la Liberté, les AML (1). La ville est animée, c’est veille de marché. On apprend que, déjà, à Sétif, on a tiré sur les manifestants. Le porte-drapeau a été abattu par un inspecteur de police raciste notoire. Malgré notre jeunesse, nous comprenons que le moment est grave. Les responsables politiques décident d’annuler. Nous, les scouts, les sportifs, refusons. Le défilé doit avoir lieu. Avec discipline, nous marchons.

“Liberté ! Indépendance ! Libérez Messali !” scandent les voix. Des youyous nous accompagnent. Arrivés aux Quatre Coins, le cortège officiel approche. Nous nous arrêtons. Le commissaire nous intime de les laisser passer. Nous obtempérons. Puis, direction la mairie. Là, la foule musulmane entonne à nouveau nos slogans. Le maire Gaston Lleu, surpris, promet d’envoyer un télégramme à Paris. Il est 17h30. Nous avons accompli notre devoir. »


Trois jours plus tard, à deux heures du matin, la répression est tombée : dix-huit militants arrêtés. Mon père en faisait partie.

Il ne m’a jamais parlé de cette détention, ni de son rôle dans cette manifestation historique. Il n’a jamais voulu de médaille, ni toucher la pension réservée aux pères des Chahid, les combattants morts au maquis. « Les principes ne s’achètent pas », disait-il.

Il nous a transmis une seule chose : l’amour de la justice.

Ce mot résonne encore, jusque dans nos engagements. Que mon amie partage. Elle me disait récemment que la majorité de sa famille votait pour le Rassemblement national. Elle, elle a choisi une autre voie, celle de la défense des opprimés, des femmes, des migrants.

C’est cela, au fond, qui nous unit.

Le message muet de mon père. La justice, toujours.

Senhadja.

(1) Voir les statuts des Amis du Manifeste et de la Liberté, signés de Ferhat Abbas, Sétif, le 14 mars 1944, dans les documents reproduits à la fin de cette page.


Illustration 1

histoirecoloniale.net

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