Paris-Dakar, les derniers soubresauts de la Françafrique ?
par Cheikh Sakho.
Cheikh Sakho est historien, auteur d'une thèse sur l'histoire des tirailleurs africains et initiateur de la reconstruction du monument de Reims « Aux héros de l'armée noire », monument jumeau de celui de Bamako érigé comme lui en 1924.

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Lors de la conférence des ambassadeurs le 6 janvier 2025, Emmanuel Macron a affirmé que le retrait des troupes françaises de plusieurs pays de l’Afrique occidentale – Mali, Niger, Burkina-Fasso, Sénégal et Tchad – serait le fruit de négociations entre la France et les pays africains, ajoutant que « les Africains avaient oublié de dire merci à la France pour son intervention dans la lutte contre le terrorisme au Sahel ».
La réplique du premier ministre sénégalais ne s’est pas fait attendre : Ousmane Sonko a démenti l’existence de quelconque négociation que ce soit, et il a contesté « la capacité et la légitimité de la France pour assurer à l’Afrique sa sécurité et sa souveraineté », tout en soulignant les effets déstabilisateurs pour le Sahel de l’intervention de la France en Libye.
Il s’est lancé aussi, au-delà de cette mise au point légitime, dans une considération contrefactuelle sur le rôle des soldats africains dans la Deuxième Guerre mondiale, sans lesquels… « la France serait, peut-être aujourd’hui encore, allemande ».
Au-delà de sa riposte bienvenue à la rhétorique de plus en plus « trumpisée » du président de la République française dans la période récente – voir ses déclarations le 19 décembre à Mayotte[1] -, les propos des autorités sénégalaises, même dans un tweet, gagneraient à être plus nuancés. L’histoire contrefactuelle est du domaine des historiens plutôt que des responsables politiques.
En effet, après les déclarations hâtives faites au Sénégal par le ministre-conseiller Cheikh Oumar Diagne – habitué du fait et qui a été légitimement critiqué – selon lequel les tirailleurs africains recrutés dans la période coloniale auraient été « des traîtres qui se sont battus contre leurs frères dans leur pays [2]», il est urgent de montrer la complexité de l’histoire et de poursuivre, à l'écart des instrumentalisations politiques, le travail d’histoire et de mémoire autour des tirailleurs africains, un travail dont la jeunesse de tous les pays, biberonnée aux réseaux sociaux où abondent les fake news et les approximations, a crucialement besoin.
Est-il besoin de le rappeler, ce sont, d’une part, les refus de la domination allemande par des Français résistants, et de l’autre - fait plus important encore que la présence de tirailleurs africains au sein des armées alliées -, l’engagement de l’Union soviétique et des États-Unis dans ce conflit qui ont conduit à la défaite de l’Allemagne. Pourquoi ne pas dire plutôt que la France Libre avait mobilisé l’ensemble de ses colonies, en Afrique du Nord, en Afrique subsaharienne, à Madagascar, mais également dans le Pacifique et aux Antilles, où des hommes courageux ont tous contribué à la libération de l’Europe ?
Les récentes commémorations des 80 ans du massacre de Thiaroye ont mis en avant la nécessité de rétablir la vérité historique. Pourquoi ne pas poursuivre dans cette voie ? La recherche de celle-ci ne saurait être sélective.
La demande de vérité dans les deux pays
Récemment, le député de la diaspora sénégalaise en France, Abdou Sonko, statisticien résident à Lyon et élu depuis peu sur la liste du Pastef-Europe à l’Assemblée nationale du Sénégal, a déposé auprès du président du groupe parlementaire Pastef-Les Patriotes une proposition de création d'une mission d’information parlementaire sur le massacre de Thiaroye de décembre 1944 et autres crimes et injustices subies par les tirailleurs africains pendant la Seconde guerre mondiale. Il a longtemps dirigé dans le Rhône la fédération Afrique 50 réunissant une trentaine d’associations autour de la promotion des cultures africaines et du dialogue interculturel.
Ce projet de mission parlementaire est soutenu par une pétition. Sa création pourrait permettre un travail fructueux en liaison avec la commission d’enquête parlementaire que des députés français ont l’intention d’installer à la suite des différentes initiatives qui ont marqué au Sénégal comme en France le 80ème anniversaire du massacre de Thiaroye. Une résolution dans ce sens de l’Assemblée nationale française pourrait être adoptée en mars 2025.
[1] « Si c’était pas la France, vous seriez 10 000 fois plus dans la merde ! », a lancé le président au milieu de la foule qui criait sa colère et son désespoir. https://www.mediapart.fr/journal/fil-dactualites/211224/apres-le-depart-de-macron-les-habitants-de-mayotte-attendent-encore-de-l-aide
[2] Cheikh Oumar Diagne a évoqué également le fait réel du rôle des soldats africains dans la répression des mouvements de libération d’après-guerre. https://information.tv5monde.com/afrique/senegal-un-ministre-limoge-par-le-president-apres-avoir-qualifie-les-tirailleurs-de