Indescriptible est l'émotion de voir les crânes de 24 martyrs survoler le ciel de l'Algérie pour reposer au cœur de cette terre chérie. Pour un algérien qui vit loin de son pays, c'est un volcan émotionnel qu'il vit sans pouvoir en dire un mot.
Pour que ce rapatriement soit effectif, le combat n'a pas été facile, loin s'en faut ! Il a fallu des années de mobilisation sans relâche d'universitaires algériens viscéralement attachés à leur mémoire pour que les têtes de Chérif Boubaghla, de Cheikh Bouziane de l'oasis de Zaâtcha, de Si Mokhtar Ben Kouider El Titraoui, de Cherif Bou Amar Ben Kedida, de Said Mrabet, de Mohamed Ben El Hadj et des autres martyrs dont certains n'ont pas été identifiés puissent regagner le pays pour le quel ils ont donné leurs vies.
En mars 2011, l’archéologue et historien algérien Ali Farid Belkadi fait éclater cette affaire. En effectuant des recherches au Musée de l’Homme, sis place du Trocadéro à Paris, il y découvre la présence de crânes de résistants algériens. Derrière la mission "historique et scientifique" du musée se cache le côté sombre de l'histoire, celui d'une "nuit coloniale" où le colonisateur détient le droit de vie ou de mort sur le colonisé. En signe de domination, les têtes des révoltés vaincus sont coupées et mises en trophées au Musée de l'Homme. Un musée pas aussi humain qu'il en donne l'impression...
L'écrivain et maître de conférences, le Pr Brahim Senouci, a, de son côté lancé une pétition, en mai 2016, pour que "les restes mortuaires de dizaines d’Algériens qui ont résisté à la colonisation française au XIXe siècle, morts au champ d’honneur,... entreposés dans de vulgaires cartons, rangés dans des armoires métalliques, au Musée de l’Homme de Paris...soient rapatriés en Algérie pour y recevoir une digne sépulture !".
Cette pétition a rassemblé plus de 300 000 signatures !
En attendant les restes mortuaires d'autres martyrs, il est offert, aujourd'hui, aux Algériens se se recueillir à la mémoire de ceux dont les crânes ont été restitués.
Allah Yerhem Chouhada !
LA MÉMOIRE CONTRE L'HISTOIRE ?
Historique ! C'est le moins que l'on puisse dire de cette séquence où les restes mortuaires de nos valeureux martyrs sont accueillis à l'aéroport international d'Alger avec les honneurs que la Nation leur doit. Tout algérien attaché à son pays vit ce moment dans la profondeur de tout ce qui le lie à cette Terre-Mère qu'il porte sous sa peau où qu'il vit.
Seulement, d'autres événements liés aux manœuvres de rééquilibrage claniques au sein du régime ont été orchestres en rapport avec cette séquence.
En effet, le général Said Chanegriha a été confirmé au poste de chef d'Etat-major de l'armée avec une promotion au grade de général de corps d'armée. Un autre général - et pas des moindres !- a eu une promotion, pour le moins, inédite . Il s'agit du commandant de la Garde républicaine, le général des corps d'armée Ali Ben Ali. Ce dernier a été promu au grade hors légalité de général d'armée !
La théâtralisation visant à se servir du retour des crânes de nos martyrs au pays pour présenter les généraux-décideurs de la junte militaire en héritiers de leur mémoire est nocive à l'histoire nationale. Elle l'est d'autant que sa mise en scène est faite pour permettre au régime de faire main basse sur le 58e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie.
Pour rappel, depuis le 22 février 2019, le peuple algérien s'est réapproprié les dates majeures de l'histoire nationale au détriment d'un régime qui a tout fait pour maintenir l'Algérie hors de l'histoire humaine.
Le combat révolutionnaire pour le recouvrement de la souveraineté, il en a fait un récit anti-historique aliénant et stérilisant.
La junte militaire s'est toujours présentée en détentrice exclusive de la mémoire du combat pour l'indépendance de l'Algérie, tout en vouant l'histoire du mouvement national aux gémonies de l'oubli, de l'impensé, de la manipulation et des "redressements" faits pour mettre le pays à la merci des coups d'Etat militaires, du "tout sécuritaire", le plonger dans des "fleuves de sang" et en faire un territoire de convoitises néocolonialistes.
Saïd Chanegriha et Ali Ben Ali ne sont pas les héritiers de Cherif Boubaghla et de Cheikh Bouziane. La junte militaire n'est pas l'héritière du combat du peuple algérien pour la restauration de la souveraineté du pays. Elle en est la négation !
LE SEUL SOUCI DU RÉGIME : SE RÉGÉNÉRER.
Au 58e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, il est à rappeler que le régime militaire est né d'une conspiration contre le projet historique d'une République Algérienne Démocratique et Sociale annoncée par l'Appel de Novembre et porté par le Congrès de la Soummam.
La disposition manifestée par la junte militaire à faire de l'armée algérienne une milice aux ordres de commandements étrangers dans des guerres par procuration en est un exemple des plus inquiétants.
Pour se régénérer, le régime est prêt à mettre l'existence du pays en danger. Il est prêt à se mettre au garde-à-vous devant les puissances de l'ultralibéralisme et leurs bras régionaux, à servir de supplétif du néocolonialisme contre le peuple. Ainsi, donne-t-il de lui même l'image du garant de la stabilité du pays dans l'objectif de montrer aux puissants de ce monde et à leurs subalternes qu'il est le garant de leurs intérêts et leur soldat apte à la plus humiliante des soumissions quand le jeu des raisons d'Etat l'exige.
Pour le moment, la connivence des raisons d'Etat est pour le maintien de l'Algérie dans sa condition de pays anciennement colonisé. En ce contexte, le régime tente de faire d'une fausse révision d'un brouillon de constitution l'acte fondateur du simulacre de "la nouvelle Algérie".
Cette "nouvelle Algérie" verra l'organisation de mascarades électorales. Elle vivra au rythme d'une fausse animation de la vie publique par un faux-semblant de leadership politique.
Pour refaire surface, le pouvoir informel a besoin d'une opposition artificielle.
Seulement, le peuple algérien ne l'entend pas de cette oreille !
Face à ces manœuvres, la Silmiya, cette belle révolution pacifique du peuple,en cours, porte l'espoir d'offrir au pays un nouveau projet historique.
Cela dit, le temps est venu d'organiser des rencontres académiques pluridisciplinaires traitant des différentes questions liées à la définition de l'Etat et de de la Nation, du domaine régalien où s'exerce la souveraineté étatique, du système politique d'organisation du pouvoir, des formes de représentations démocratiques, de la citoyenneté algérienne et des perspectives d’ouverture qu'elle offre sur l'espace nord-africain et l'espace méditerranéen, des rapports entre le politique, le religieux et le militaire, du rôle de la Silmiya dans l'instauration d'un ordre mondial des peuples, de la métamorphose qu'elle a opéré au sein du processus révolutionnaire national...Le tout reposant sur le respect du droit du peuple algérien d'exercer sa souveraineté et les libertés individuelles et collectives qui lui sont liées.
Ces rencontres académiques peuvent offrir la substance culturelle et l'éclairage intellectuel nécessaires à la tenue de rencontres politiques de synthèse et d'élaboration de projets de société et de programmes servant à rendre visible, lisible et intelligible la possibilité d'une alternative démocratique passant par l'ouverture d'une transition encadrant le démantèlement progressif de la junte militaire - tout en garantissant le maintien de la cohésion de l'armée - et le transfert de la souveraineté vers le peuple.
Celles et ceux qui pensent que la Silmiya a rendu le flambeau de Novembre à ses fossoyeurs se trompent, lourdement, de peuple et d'époque.
La Silmiya, c'est la mémoire qui écrit au présent l'histoire de la révolution sur la page de l'avenir, avec les mots de la paix, de la liberté, de la diversité et de la pluralité.
Hacène LOUCIF.