Absurde! Hallucinant! Dégoûtant! Ignoble!...Les mots ne suffisent pas pour décrire la scène: comme si c'était le pays des Bisounours à l'établissement hospitalier (EPH) de Sidi Djilali, dans la ville de Sidi Bel-Abbes, la Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN) nous a offert le spectacle tragi-comique de policiers, la foi à une main habituée à utiliser la matraque, se présentant comme des enfants de chœur, en version revue et corrigée par la police politique, tout sourire (ça change!), frétillant d'émotion sous leur uniforme devant un personnel soignant, tout surpris de ce moment de répit transformé en une cérémonie en son honneur, le temps de retrouver l'horreur d'un combat mené sans relâche contre la Covid-19, dans l'atrocité des conditions minimales que le régime n'a pas pu lui offrir pour se protéger de ce virus et mener à bien sa mission.
Les policiers, eux, étaient tout heureux d'accomplir la leur. Et comment! Ils avaient l'insigne honneur d'offrir au personnel soignant des...Masâhif! Des livres du Coran!!
Devant l'absurdité de cette scène, Samuel Beckett peut aller se rhabiller! «Le roi de l'absurde» ne l'est plus. Il a été déchu.
Bien sûr, on ne va pas demander à des policiers de fournir aux combattants de la blouse blanche des masques FFP2 (pour le FFP3, il ne faut pas rêver!), des gants, des tests, des respirateurs artificiels, du gel hydroalcoolique...Ce n'est, tout de même, pas à eux de les équiper en ces temps de pandémie! Mais, qu'ils offrent des livres du Coran au personnel d'un établissement hospitalier, c'est hors normes !
Au secours, Bonatiro!!
La DGSN n'a pas pour vocation de s'occuper de religion, de former des prédicateurs, des agents de circulation du message divin. Elle n'a pas à faire dans le prosélytisme! De plus, quel message veut-elle transmettre en envoyant ses policiers offrir des masâhif à des médecins, infirmiers et aides-soignants durement éprouvés par la pandémie du coronavirus, à quelques jours de l'Aïd du sacrifice? C'est tout ce que le régime peut faire pour eux? Leur faire comprendre qu'ils sont les candidats au sacrifice suprême, en ces conditions d'absence totale de ceux qui sont sensés mettre les moyens de l’État à leur disposition? Et puis, de quel État parle-t-on? Les institutions sont réduites à servir d'instruments de reconstitution de la façade de la junte militaire. L'illégitimité du régime est virale. Elle a atteint jusqu'aux partis sensés porter le combat démocratique en Algérie.
Le spectacle offert par les policiers porteurs du Coran à Sidi Bel-Abbes suffit pour montrer que la police politique est derrière la tentative de bipolarisation aliénante et stérilisante entre deux fondamentalismes: le religieux et le laïciste.
La police politique et la perversion du religieux
Derrière l'absurdité de cette situation se cache une bien triste réalité: l'instrumentalisation politicienne et dévastatrice de la religion à la seule fin, pour les décideurs, d'assurer la pérennité du régime. D'un côté, ils s'en servent pour conditionner les consciences. De l'autre côté, il la brandissent comme repoussoir pour éloigner les Algériens de l'essentiel: la nécessité d'un changement démocratique radical pour éviter au pays l'anéantissement et le mettre dans le sens de produire sa propre histoire.
En Algérie, comme dans les pays postindépendance – notamment, ceux de la rive sud de l'espace méditerranéen – l'instrumentalisation politique du religieux par les tenants du pouvoir a fait le lit de l'intégrisme islamiste. Ainsi s'est installée une rivalité mimétique pour la représentation et le contrôle de l'islam, entre les décideurs de ces pays et les intégristes religieux. En conséquence, la religion islamique a été réduite à de la religiosité populiste.
La rupture historique qu'à connu la pensée islamique après la mort d'Ibn Rochd (Averroès), en décembre 1198, a eu des effets dévastateurs sur nos imaginaires et nos mémoires collectives. Dans l'obscurité de «la nuit coloniale», nos sociétés ont subi, entre autres, la négation de la citoyenneté, celle de la nation et l'absence de l’État.
S'éveillant dans la douleur, la nation algérienne a pu mettre un terme à 132 ans d'occupation coloniale. Cependant, elle n'a pas pu construire le Citoyen et l’État algériens.
A ce titre, le régime militaire incarne l'échec du projet d'une République Algérienne Démocratique et Sociale annoncée par l'Appel de Novembre, un projet politiquement défini et articulé autour de l'institutionnalisation du pouvoir lors du Congrès de la Soummam du 20 août 1956. Pire encore! Il en est la négation.
L'impuissance du pays face à la pandémie du coronavirus a révélé, au grand jour, la destruction massive de la souveraineté nationale menée par la junte militaire depuis des décennies
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Le politique, le religieux et la sécularisation
L'islam est l'une des réalités fondamentales en Algérie. Il a profondément façonné la personnalité algérienne dans ses dimensions cultuelle, culturelle, historique, anthropologique, psychologique et sociale. Ne pas reconnaître une réalité aussi importante relève de l'aliénation.
Cela dit, l'instrumentalisation politique de cette réalité a fini par pervertir le religieux. Les vecteurs de l'ignorance qui a ruiné le système éducatif de notre pays ont fait le reste.
Fort heureusement, les multiples guerres menées par la junte militaire contre l'intelligence, le génie populaire, la diversité, la pluralité, contre tout ce qui constitue la personnalité algérienne, n'ont pas empêché la société de se renouveler et d'offrir au monde la Silmiya, cette belle révolution du sourire.
La Silmiya a rendu visible le mouvement de sécularisation au sein de la société. De ce fait, elle a montré le chemin à suivre pour définir la place du religieux dans l'espace public, sans lui permettre d'accéder à l'exercice de la souveraineté, et , en conséquence, construire un État immunisé contre toute dérive théocratique, garant de la liberté de conscience de la protection du religieux de toute perversion politique.
Contrairement à la rigidité de la laïcité qui ne conçoit le religieux en termes d’expérience personnelle du divin, la souplesse de la sécularisation permet de préserver sa place dans la vie sociale.
Pour rappel, la laïcité est fondée sur le principe de la séparation de l’Église et de l’État. Or, en islam, comme dans le judaïsme, il n'y a pas de clergé. Donc, la séparation ne peut pas être opératoire.
Par contre, le processus de sécularisation permet de réhabiliter la culture au sein même du religieux, de rendre agissante l'intelligence de la foi et de soumettre la recherche des fondements, nécessaire à toute société, à la souveraineté d'une pensée radicalement critique.
Le débat sur des questions aussi importantes peut être mené en toute sérénité, entre les Algériens, sans aucune intervention de la police politique et de ses relais pour en définir les thèmes et en établir les règles. En ce débat, la seule option à lui réserver ne peut que porter sur les modalités de sa dissolution, en vue de faciliter le démantèlement de la junte militaire et le transfert de la souveraineté vers le peuple.
Les Algériens sont en mesure de débattre autour du Projet Algérie, de lui donner le contenu et la forme à même de faire de l'Algérie un espace pour une citoyenneté humaine apte à participer à la construction citoyenne de l'espace nord-africain et de l'espace méditerranéen. Une citoyenneté capable de participer activement à l'instauration d'un ordre mondial des peuples.
Alors, la police politique peut bien se moquer de la religion et de la science en Algérie. Cependant, elle ne peut rien face l'élan libérateur qui traverse en profondeur le peuple algérien.
Hacène LOUCIF.