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Billet de blog 3 avril 2012

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Eloge de la différence: l'abondance des femmes

Les petits garçons et les petites filles sont différents. Comment le savent-ils? Parce que les parents le leur disent: «Tu es fille, tu es garçon». L’identité sexuée est très vite apprise. Elle est renforcée par des signes sociaux comme les habits et les jeux.

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Les petits garçons et les petites filles sont différents. Comment le savent-ils? Parce que les parents le leur disent: «Tu es fille, tu es garçon». L’identité sexuée est très vite apprise. Elle est renforcée par des signes sociaux comme les habits et les jeux.

L’alliance

Ils l’apprennent également quand ils se voient nus, ou en regardant des statues. La différenciation des sexes est une des premières catégorisations, peut-être la plus fondamentale puisqu’elle conditionne la reproduction de l’espèce. Cette catégorisation est binaire. Elle a possiblement conduit aux différences de rôles dans la société. Par la grossesse les femmes sont plus logiquement portées à nourrir et à soigner. Par l’absence de grossesse et la plus grande masse musculaire les hommes sont plus logiquement portés à la défense du clan.

Entre ces deux directions, très binaires en effet, on trouve un éventail de possibilités. Cet éventail est renforcé par la société actuelle où l’organisation sociale (médicalisation, crèches, armées professionnelles) a pris en partie la relève des organisations anciennes. Cette binarité doit remonter à des temps très anciens. Les tombes de la préhistoire européenne recèlent fréquemment des objets d’artisanat auprès des ossements de femmes, et des armes auprès des ossements d’hommes.

Le principe d’égalité de nos sociétés fait poser la question d’une possible subordination des sexes, l’homme étant supposé avoir dominé la femme. Pierre Bourdieu et Françoise Héritier ont entre autres répandu cette interprétation.

L’anthropologue féministe Françoise Héritier a repris à l’époque la théorie de Claude Lévi-Strauss. Le célèbre anthropologue affirmait que les sociétés plus originelles pratiquaient l’alliance, soit l’échange des femmes entre clans, afin de créer des liens de collaboration et éviter la consanguinité. L’interdit de l’inceste en serait à l’origine:

«  La prohibition de l'usage sexuel de la fille ou de la sœur contraint à la donner en mariage à un autre homme, et, en même temps, elle crée un droit sur la fille ou sur la sœur de cet autre homme. Ainsi, toutes les stipulations négatives de la prohibition ont-elles une contrepartie positive. La défense équivaut à une obligation : et la renonciation ouvre la voie à une revendication.  »
— Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, Paris, Mouton, 1967, 2e édition, p.60'


Lévi-Strauss parle d’obligations positives, alors que Françoise Héritier va plus loin en affirmant que les hommes se donnaient le droit de céder leurs femmes à d’autres hommes clans et que cela montre bien la domination masculine et la moindre valeur qui aurait été attribuée aux femmes:

Des battantes

«Sous toutes les latitudes, dans des groupes très différents les uns des autres, nous voyons des hommes qui échangent des femmes, et non l’inverse. Nous ne voyons jamais des femmes qui échangent des hommes, ni non plus des groupes mixtes, hommes et femmes, qui échangent entre eux des hommes et des femmes. Non, seuls, les hommes ont ce droit, et ils l’ont partout. C’est ce qui me fait dire que la valence différentielle des sexes existait déjà dès le paléolithique, dès les débuts de l’humanité.»

L’interprétation de Françoise Héritier est une illustration de la négativité qui a entouré et qui entoure encore ce type de féminisme assez ultra: l’image de la femme qui est véhiculée est sombre, victimaire, dénigrante des femmes elles-mêmes. Comment affirmer avec certitude que ce sont les hommes qui s’échangeaient les femmes? Pourquoi une telle pratique ne serait-elle pas décidée d’un commun accord entre les femmes et les hommes d’un clan? Rien ne prouve un point de vue plus que l’autre et Françoise Héritier n’administre aucune démonstration de ses affirmations. Si les femmes y avaient été opposées, n’auraient-elles pas su s’y opposer? Il ne s’agit pas ici des captures de femmes par un clan lors d’une victoire sur un autre: les femmes et les hommes étaient capturés pour être esclaves. Ou même les hommes étaient simplement tués. Quand on relit l’invasion des Cimbres et des Teutons en l’an 63 avant notre ère, on voit combien les femmes savaient ce qu’elles voulaient. Alors que les armées venues du nord avaient perdu contre les légions romaines menées par Marius, les femmes tuaient leurs propres guerriers fuyards, leurs enfants, se suicidaient, pour ne pas être faites esclaves de Rome. Les femmes de la Commune de Paris n’étaient pas moins combatives et déterminées. Sans oublier toutes les mères qui ont porté et nourri des enfants depuis la nuit des temps, parfois dans des conditions extrêmes.

En réalité Françoise Héritier est en conflit avec la binarité et donc avec la différence.

«Je crois que la pensée humaine s’est organisée à partir de cette constatation: il existe de l’identique et du différent. Toutes les choses vont ensuite être analysées et classées entre ces deux rubriques (…). Voilà comment pense l’humanité, on n’a pas observé de sociétés qui ne souscrivent pas à cette règle. Dans toutes les langues il y a des catégories binaires, qui opposent le chaud et le froid, le sec et l’humide, le dur et le mou, le haut et le bas, l’actif et le passif, le sain et le malsain…»


L’abondance

Remarquons qu’elle glisse d’une notion à une autre sans sourciller et amalgame des binarités contradictoires et complémentaires, comme le sec et l’humide, avec une binarité de valeur comme le sain et le malsain. Cela revient à mélanger les pommes et les canards. On décèle aussi une forme de relecture du passé selon les normes modernes, ce qui ne peut aboutir qu’à une interprétation biaisée. C’est comme analyser la technologie du char romain selon le modèle des automobiles actuelles.

Mais en allant plus loin on voit que l’anthropologue considère la différence des genres et la différence valuée qui est supposée aller avec comme une source de violence. Pourtant on pourrait aussi bien inverser la différence valuée: ce sont les femmes qui avaient plus de valeur puisque se sont elles qui quittaient leur clan. Elle apportent au nouveau clan la fécondité, l’enrichissement génétique, et la promesse de nouveaux membres pour croître et se renforcer. En ce sens les hommes n’apportaient rien de particulier. La différence entre les sexes et les rôles sociaux trouve ici une évidence et une valeur à la fois biologique et sociale. La répartition des rôles, dont l’efficacité est démontrée par la croissance de l’espèce, ne saurait être assimilée à une simple subordination au sens où on l’entend aujourd’hui. Homo Sapiens n’étant pas idiot, la situation d’alors devait déjà être plus complexe que cela. On ne peut la réduire aux clichés victimaires modernes. Les femmes représentent l'abondance. Leur "nomadisme" a répandu cette abondance sur toute la planète.

Dans cette vision les femmes ont apporté la mobilité et l’abondance pendant que les hommes posaient et sauvegardaient les limites-frontières. Cette interprétation est une hypothèse de réflexion. Elle a le mérite de voir les femmes comme une force positive de la société plutôt que comme des victimes, dans une époque où la survie de l’espèce n’avait pas encore été remplacée par les vacances au Club Med. Le choix de l’interprétation se fait selon la vision personnelle de l’humanité et des femmes, positive ou négative, de celui ou celle qui analyse. Si l'on choisit la vision positive, pourquoi donc vouloir gommer les différences?


Deuxième partie ici.

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