Je me souviens d'une petite fille d'environ 4 ans, à Idofé, un village du bush nigérian, en pays Yoruba. C’était mon troisième voyage dans cette région. J’y allais pour voir travailler les guérisseurs locaux. Je devais initialement accompagner un herbaliste. Quand je suis arrivé il n’était plus disponible.
Dans l’attente d’un autre contact je visitais les marché et les étals de guérisseurs, abondamment pourvus en plantes séchées, racines, pierres de couleur, têtes de singes, enfin tout ce qu’il y avait besoin pour préparer des tisanes, des onguents et des gri-gris. Dans quelques échoppes étaient alignés des bocaux d’alcool où macéraient des serpents et diverses préparations locales. Je découvrais l’ancêtre de notre pharmacopée. Nous avons aussi des remèdes à base de plante ou de produits animaux.
Finalement, ne trouvant pas de contact, je décidai de me faire accompagner au hasard dans la brousse - le bush. Le couple d’amis qui m’avait invité m’accompagnait. Elle, c’était Lotti la blanche.
J’ai trouvé un village où l’on m’a accepté - pas très facilement. Je passe les détails. J’en viens à cette petite fille de 4 ans dont j’ai déjà parlé ailleurs.
C'était le soir. Les habitants du village préparaient à manger à la lumière des lampes à pétrole. Dans cette lumière qui faisait danser des ombres une petite fille est passée devant moi, sourire fier et yeux brillants. Elle portait les sandale de sa mère. Trop grandes pour elles bien sûr. Mais cela lui conférait un statut de grande!
Cela je l’ai vu en Europe aussi. Les enfants mettent les chaussures de leurs parents pour se grandir. C’est une clé universelle de comportement, qui ne dépend pas de la culture et des croyances. Il y a derrière ce simple geste la conscience du petit et du grand, le petit voulant devenir grand. Pour cela, il prend les attributs du grand. La relation entre le petit et le grand est un fondement de toutes les cultures.
Il y a donc des principes de fonctionnement universels. Mais devenus adultes les humains développent des croyances qui les particularisent et les opposent les uns aux autres. Dieu devrait être un concept qui dépasse les différences et les oppositions ou luttes d'intérêt. Il n'en est rien. Les religions participent aux conflits. Dès le moment où une religion considère qu’il y a des croyants et des non croyants et qu’il faut convertir, elle sépare les humains en catégories et perd sa prétention à l’universalité.
Et pourtant les religions ont contribué à unifier des peuples, à ancrer des valeurs, à ouvrir les consciences. Il est difficilement compréhensible que les religions qui se réfèrent au même livre (la bible) en arrivent à lutter ainsi entre elles. Ce n’est pas logique. Soit il y a une erreur fondamentale dans les religions, soit leur application est faussée et les communautés qui les propagent en déforment la nature.
Pourquoi croire en Allah ou en Yahvé? Pourquoi lire le coran ou les livres de la bible? Parce que l’on naît dans une région donnée, dans une culture et un système de croyance spécifiques. Parce que l’on nous l’inculque tout petit avant que la notion de choix ne se développe dans notre esprit. La religion comme la culture relève largement du dressage des enfants.
Naître aujourd’hui à La Mecque nous prédispose à d’autres croyances que de naître dans une famille chrétienne, ou même athée, d’Europe. Nombre de nos croyances sont formatées par notre origine et n'ont rien d'universel. Quand donc sommes-nous libres, si l’on admet que la liberté c’est le choix? Avons-nous choisi notre langue maternelle? Notre religion? Nos codes? Nos noms et prénoms? Non. Nous les recevons et les intégrons comme nôtres parce que le groupe l’attend de nous, parce que c’est le seule moyen d’être accepté.
L’évolution des sociétés occidentales a toutefois conduit à une grande liberté de l’individu. L’opposition aux codes n’est plus vraiment aujourd’hui une marginalisation - pour ce qui concerne la culture, l’habillement, les choix politiques. Il reste bien sûr des codes fondamentaux: ne pas tuer, ne pas voler, respecter soi et l’autre. L’individualisme et la liberté de choix personnel - qui sont des signes distinctifs du libéralisme - ont modifié la place des codes collectifs. L’équilibre entre l’individu et le collectif est à redéfinir. Mais il sera difficile, il me semble, de revenir à une domination du collectif, en religion comme en politique.