J’ai une affection particulière pour le lamantin. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être sa bonhomie, sa vulnérabilité, sa douceur. Mais il n’est pas beau. Par exemple le panda: des millions d’enfants s’extasient devant l’image du gros nounours si gentil avec ses yeux un peu tristes et sa couleur qui fait penser aux colonnes de Buren à Paris. Or ce n’est jamais qu’un ours.

Le panda ou le suricate, ou le manchot empereur, font l’objet d’une attention scientifique et médiatique régulière. Mais qui parle du lamantin (image 1, cliquer pour agrandir), à part une émission sur la chaîne Planète il y a longtemps? Et qui s’inquiète pour le babiroussa ou cochon-cerf d’Asie (image 2)? Et le diable de tazmanie: éveille-t-il notre compassion alors qu’il est lui aussi en voie de disparition (image 3)? Actuellement une épidémie de cancer de la face, transmis lorsqu’ils se battent pour la nourriture, décime ce marsupial carnivore.
Rien ni personne ne verse une larme pour eux. Mais que l’on parle de la défense du panda, du koala ou du suricate et des millions d’humains se mobilisent. On peut se demander si le WWF aurait eu autant de succès s’il avait pris le lamantin pour mascotte. Pas certain.
L’étude israélienne citée dans La cause des (jolies) femmes montrait une possible discrimination négative de la beauté. Pour les animaux ce serait

plutôt l’inverse: les moches n’intéressent pas ou très peu. C’est ce que démontre une étude de Morgan Trimble et Rudi van Aarde, deux chercheurs de l’Université de Prétoria an Afrique du Sud.
«En combinant les données relatives à 2 000 animaux cités dans des publications scientifiques entre 1994 et 2008 avec une liste des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Morgan Trimble en est ainsi arrivé à une conclusion implacable qu’il a confié au Guardian : « Aux yeux de la science, toutes les espèces ne sont pas égales ». Et d’ajouter : « quelques espèces accaparent une grande part de l’attention des scientifiques, alors que pour les autres les informations qui pourraient contribuer à mieux les conserver n’existent quasiment pas ».

Leurs constatation est que les animaux plus proches de l’Homme, comme le chimpanzé, ou plus beaux que d’autres esthétiquement, ou susceptibles de déclencher une émotion ou un lien affectif spontané, sont beaucoup plus analysés que ceux considérés comme peu esthétique ou peu porteur d’un potentiel émotionnel. Il semblerait que les scientifiques qui étudient les animaux choisissent leurs sujets d’étude en fonction de critères très affectifs et/ou esthétiques.
Les espèces moches disparaissent dans l’indifférence générale.
Adieu lamantin, babiroussa et autres taz. Vos n’êtes pas assez beaux pour susciter notre compassion. A quoi tiennent les sentiments humains...