«Pour la première fois de sa vie, et comme peu d'hommes en son temps en Europe, Luke Howard s'est hissé au-dessus des nuages qu'il a scrutés, et c'est à peine d'abord s'il les reconnaît, car le ciel des nuages est devenu mer : à ses pieds roule doucement, comme des vagues, l'écume des nuées; le mont qui les surplombe encore de plus de mille mètres lui paraît désormais une île paradisiaque, flottant au-dessus de toute agitation humaine.»
Clin d’oeil en introduction à ce billet, cet extrait de «La théorie des nuages», roman de Stéphane Audeguy. Une histoire qui oscille entre présent et passé et où le récit esquisse, entre autres, mélangée à une fable moderne, la vie de Luke Howard. Pharmacien, devenu météorologiste, il a proposé la première classification des nuages en 1802 et a fortement contribué à l’émergence de la science météorologique.
Que de chemin parcouru: depuis cette première classification les nuages ont été analysés, scannés, observés par satellites. On sait comment ils se forment et leur rôle dans l’équilibre de la planète.
Cloud
Mais on ne sait pas tout. Deux facteurs climatiques liés aux nuages sont à l’étude actuellement. D’une part l’expérience Cloud, au Cern, a pour objet l'évaluation du rôle des rayons cosmiques dans la formation des nuages. Ces rayons ou particules de haute énergie proviennent du centre de la galaxie et de supernovae, et pour certains du soleil. Ils interagissent entre autre avec l’atmosphère et contribueraient à la formation des nuages en ionisant des gaz et particules, ce qui a pour effet de les faire s’attirer et de favoriser ainsi la condensation de l’humidité de l’air. Ce processus, appelé nucléation, fabrique de petits clusters, c’est-à-dire des agrégats d’éléments dotés d’une certaine densité.
Un rapport de 2011 sur l’expérience Cloud a déjà montré que les rayons cosmiques multiplient les clusters dans la troposphère (couche de l’atmosphère où se forment les nuages) à partir d’acide sulfurique et d’humidité. C’est une première étape dans l’évaluation du facteur nuage dans le réchauffement ou le rafraîchissement du climat.
Mais quel est le lien entre les particules cosmiques de haute énergie et le climat? Plus il y a de nuages moins le rayonnement solaire peut réchauffer la Terre. Le sommet des nuages renvoie une partie de ce rayonnement, ce que nous ressentons quand un nuage fait de l’ombre: la température baisse par réduction du rayonnement direct. Si donc les rayons cosmiques favorisent la formation de clusters et par conséquent la condensation de l’humidité de l’air, ils pourraient aussi contribuer à une réduction du réchauffement en multipliant les nuages.
Or la quantité de rayons cosmiques varie, principalement parce qu’ils peuvent être déviés de leur trajectoire selon les variations de l’activité magnétique du soleil. La Terre n’en reçoit pas le même nombre de manière continue. Les modifications de l’activité solaire sont donc susceptibles d’influer sur le climat de notre planète. Toutefois l’expérience Cloud continue et ses résultats doivent être précisés.
La hauteur des nuages
D’autre part des chercheurs ont récemment rendu public le résultat d’une étude de 10 ans sur la hauteur des nuages, analysée par satellite. Il semble que le sommet moyen, situé vers 4’000 mètres pour les principaux nuages se soit abaissé de 30 à 40 mètres. C’est peu: 1% de baisse. Mais cela se passe et pourrait peut-être s’amplifier. Là aussi le résultat doit être confirmé avec au moins 10 ans d’observation supplémentaires.
Si cela se confirme, on découvrirait peut-être un système de rétroaction (d’auto-équilibrage) de l’atmosphère, de nature à diminuer le réchauffement, ou du moins en réduire l’intensité.
En effet les nuages captent la chaleur de l’atmosphère à leur base et l’évacuent par le sommet. Plus les nuages sont bas plus ils captent de
chaleur. Il y aurait donc une capacité de dissipation de la chaleur liée à leur hauteur dans l’atmosphère. L’assèchement de l’atmosphère, par exemple par une diminution des rayons cosmiques, favoriserait le réchauffement, alors que son humidification rafraîchirait la Terre.
Les merveilleux nuages
L’étude du climat demande beaucoup de recul et la prise en compte de nombreux paramètres en partie chaotiques. Le facteur nuage n’avait pas été quantifié dans les précédents rapports du GIEC. On verra s’il est pris en compte dans le prochain rapport, et si oui dans quelle mesure.
Les nuages font plus qu’apporter la pluie nécessaire ou que faire rêver. Ils sont acteurs de premier plan dans l’équilibre climatique. De quoi les aimer un peu plus et dire, comme Baudelaire dans son poème L’étranger: «... les nuages qui passent, là-bas, là-bas... les merveilleux nuages...»