La liberté et l’égalité sont deux notions différentes et parfois opposées. La liberté engage d’abord l’individu: il est libre dans ses actions politiques, économiques ou culturelles, et dans ses opinions. L’égalité, elle, engage la société dans la place donnée aux individus, comme l’égalité devant la loi ou l’égalité des chances indépendamment de notre origine sociale.

Mixité et décloisonnement
La liberté c’est aussi le droit de s’organiser avec qui l’on veut dans le but que l’on veut. Ce principe est consacré entre autres par la liberté d’association. On peut créer une amicale des chasseurs de doryphores ou un cercle exclusivement masculin en vue de prendre le pouvoir. On a bien vu un parti féministe en Suède et une liste féminine à une élection à Genève. La seule limite au principe de liberté est ce que la loi définit comme illégal.
L’égalité suppose que tous les humains ont les mêmes possibilités juridiques et sociales. Elle était initialement conçue pour décloisonner la société. Les cloisons à rendre perméables étant en particulier celles des classes sociales, de l’économie, des sexes. L’égalité met en cause l’hégémonie d’un pouvoir ou d’un groupe dans un domaine d’activité donné puisque désormais chacune et chacun peut accéder à tous les domaines.
En principe. Le régime de liberté permet toutefois à des personnes se connaissant des affinités de se regrouper en écartant celles qui n’ont pas les mêmes affinités. Les sociétés fourmillent de «familles» ou de «clans»: partis politiques, amicales littéraires, corporations professionnelles, regroupements de diasporas, confréries spirituelles, entre autres. La plupart du temps ces associations sont mixtes: femmes et hommes sont admis indifféremment.
Quelques associations religieuses restent non mixtes. Et de manière informelle les femmes ont une propension à parler entre elles et les hommes entre eux. Cela tient peut-être à une forme de proximité et à des vécus propres à chaque sexe - tout ne peut être mélangé dans la mesure où hommes et femmes sont dissymétriques. L’égalité n’est pas la similarité des humains.
Mais on assiste aujourd’hui à un retour du cloisonnement des sexes dans un domaine bien spécifique: celui du travail. Les clubs féminins dans les entreprises connaissent une croissance forte et rapide. Le Figaro fait un tour d’horizon de la question.
«Au sein des entreprises, le mouvement s’organise. Lancé en 2011, le réseau féminin de la SNCF compte ainsi déjà plus de 2 000 inscrites. Celui de la Caisse des dépôts et consignations, créé la même année, plus de 1 000. Partout, le même objectif : aider les femmes à progresser plus rapidement dans leur vie professionnelle.»
La nouvelle séparation des sexes

Les hommes sont exclus de ces clubs réservés aux femmes et à leur développement professionnel. Et quand ils y sont admis c’est pour favoriser uniquement les carrières féminines, pas les leurs.
Mais pourquoi des clubs exclusivement féminins?
«Dans nos premières études, 78 % des femmes de notre réseau déclaraient se sentir « singulières » au travail. Elles avaient l’impression que leurs difficultés à monter dans la hiérarchie venaient entièrement d’elles, de certains manquements dans leur personnalité.»
Ainsi, «au sein des grandes entreprises, par secteurs d'activité ou par centres d'intérêt, les cercles réservés aux femmes explosent. Accroître ses compétences, doper sa carrière, mais aussi débattre et s'entraider...»
A qui s’adressent ces clubs? L’article ne mentionne pas d’étude à ce sujet. Toutefois les signes sont assez clairs. Il est question de femmes cadres dirigeantes, d’anciennes des Hautes écoles, de femmes ambassadeurs ou chefs d’entreprises, de chercheuses, de hauts fonctionnaires. Soit une élite. Du beau linge. Leur but étant le pouvoir dans l’entreprise. Le féminisme reproduirait-il les schémas classiques de domination? La question est posée.
«Je conseille vraiment de s’inscrire dans le réseau féminin de son entreprise, s’il existe, ou le cas échéant, de le créer », assure Sophie Vernay, secrétaire générale de Financi’Elles (le réseau des femmes cadres de la banque et de l’assurance). « C’est une source d’informations très importante en interne, doublée d’un vrai engagement au service de la promotion des femmes dans l’entreprise.»
«Être coachée, gagner en confiance, se familiariser avec les codes du leadership auxquels bien souvent elles sont étrangères..., voilà le vrai effet plus des réseaux.»
D’ailleurs pourquoi pas? Tout le monde désire un bout de pouvoir ainsi que l’argent et les honneurs qui vont avec.

Neo-corporatisme et guerre des sexes
Mais en clair il s’agit ici de considérer les femmes cadres et dirigeantes comme une corporation séparée des hommes. On remarque aussi que l’égalité dont se réclame notre société sert de plus en plus les intérêts d’une classe de femmes dominantes. Au fond le pouvoir ne change pas de mains, il ne change que de sexe. Il n’y a d’ailleurs pas de club féminin pour la promotion des caissières de supermarché.
Ainsi le féminisme produit aujourd’hui non seulement une discrimination morale à l’encontre des hommes, considérés comme esclavagistes immémoriaux et comme seuls cause de violence dans le monde, mais aussi une exclusion sociale progressive. Car au fond, pourquoi ne pas créer des clubs mixtes de progression professionnelle? On n’est jamais loin de la victimisation qui justifie toute action entreprise au seul nom des femmes. Pourtant les hommes sont en majorité dans des emplois non-décidants. Beaucoup sont freinés dans leur évolution professionnelle, à cause par exemple des copinages ou lobbys. Or on voit simplement se développer un autre lobby, celui des femmes pour les femmes, sans les hommes.
C’est la liberté. Mais est-ce bien cela l’égalité?
On imagine ce qu’il y a d’esprit de revanche dans cette démarche, qui se développe sur un fond de guerre des sexes qui n’ose pas dire son nom. Pourtant une mixité dans l’entraide serait plus à même de diminuer les distances qui séparent les sexes, et d’éviter un retour de bâton sous forme d’une révolte masculine. Mais pour cela il faudrait quitter le discours féministe radical selon lequel la société de répartition des rôles qui a prévalu dans le passé était une mise en esclavage délibérée des femmes.
De plus ce corporatisme féminin est un leurre. Les entreprises étant structurées de manière pyramidale la quantité de places de pouvoir est réduite par rapport aux places intermédiaires. Plus les femmes cadres sont nombreuses à adhérer, plus nombreuses elles se verront limitées dans leur progression professionnelle. En effet sur l’ensemble des femmes qui adhèrent à ces clubs seule une partie d’entre elles aura réellement la possibilité de faire avancer sa carrière.
Par contre celles qui fondent ces clubs se fabriquent un job sur mesure grâce aux cotisations des membres.
Enfin ces clubs fonctionnent fondamentalement sur le différentialisme des sexes. Que ce soit pour valoriser uniquement les carrière féminines ou pour prétendre que les femmes managent différemment et mieux l’entreprise, l’égalité est jetée aux oubliettes. Ainsi sur le site du club féminin «Administration moderne» une page est réservée au management féminin. On peut y lire:
«C’est pourquoi je me demande si nous, les femmes, ne sommes pas les plus à même de pratiquer le management moderne dont notre société, notre économie et - pourquoi pas? - notre administration ont également besoin.»
Deux choses semblent se confirmer: la guerre des sexes bat son plein, et l’égalité n’est plus qu’un prétexte, un paravent pour prendre le pouvoir sans les hommes.
La Féminista peut être satisfaite.
(Image 1: Delacroix (partiel) - 2: Jump Belgique - 3: an.)
