S’il en est un qui doit sabler le champagne aujourd’hui c’est Jean-Marie Le Pen. Une quarantaine d’année après être entré en politique et après son petit 0,74% de votants à l’élection présidentielle de 1974, son programme est devenu à certains égards le programme commun de la gauche et de la droite réunies.

La revanche de Jean-Marie
Ainsi, après Nicolas Sarkozy qui pêche dans l’électorat de Marine Le Pen et se fait tâcler pour cela par François Hollande, c’est le même François Hollande qui déclare son intention d’être beaucoup plus ferme sur la question de l’immigration.
«Dans une période de crise, la limitation de l'immigration économique est nécessaire, indispensable», a-t-il déclaré sur RTL.
L’hypocrisie règne en maître. Tous tiennent ce discours, mais aucun ne veut toucher la main de Marine Le Pen. Il n’y a donc plus d’autre discours en France que le discours frontiste. Le père, Jean-Marie, doit savourer sa victoire tardive. La Sarkhollandie LePennienne est en marche au nom du père et de la fille.
Le discours raciste sur l’homme blanc hétérosexuel a finit par être vomi. La culpabilisation alimentée par Houria Bouteldja, qui menaçait le blanc de lendemains très sombres et qui surfait sur un communautarisme sans complexe, a fait son effet: le rejet. Il ne faut pas venir pleurer ou tenter d’exorciser le FN. Il faut admettre qu’aujourd’hui l’immigration, le protectionnisme, la nation, sont des thèmes forts en Europe et que ce discours est la nouvelle culture européenne. Il faut intégrer ce constat pour avancer vers autre chose. Il ne suffit plus de traiter les électeurs frontistes par le mépris et de bouder les débat. Aucune pensée nouvelle ne naîtra en Europe si elle n’intègre pas ce constat, ce conflit entre réalité et idéal, ce «désarroi amoureux» de la mondialisation face à la Nation.
Il faut aussi constater que le Front national n’est pas un parti fasciste. Il n’a pas d’idéologie fasciste. Il n’a pas de livre théorique accusant les étrangers de tous les maux comme Hitler avait Mein Kampf. Il n’a pas tenté de prendre le pouvoir par la force. Il a respecté les échéances et traditions électorales démocratiques. Cependant il représente la droite française traditionnelle. Il descend de cette droite qui a collaboré sous le régime de Vichy et a été fondé par d’anciens membres de groupes de cette obédience. Et les petites phrases régulièrement exprimées par Jean-Marie Le Pen ont coloré singulièrement ce mouvement politique. Mais comme l’écrit Alain Bihr dans «Le spectre du de l’extrême-droite» (Les éditions de l’Atelier, 1998), parlant du Front National:
«Un parti, quel qu’il soit, ne peut connaître d’audience durable que si son travail de représentation, c’est-à-dire de mise en forme politique (à la fois organisationnelle, programmatique et idéologique) de la vie sociale, parvient à capter et à thématiser les occupations et préoccupations du

public auquel il s’adresse. Par conséquent, si l’on veut expliquer sa réussite, il faut avant tout s’attacher à comprendre quels sont les problèmes et les attentes auxquels il a su répondre et de quelle manière il s’y est pris pour y répondre».
Maître dans sa maison
De ce point de vue les autres partis sont en reste. La droite classique est trop sûre de sa légitimité. La gauche trop satisfaite de ses certitudes. Les Verts trop désordonnés et d’apparence sectaire. Aucun ne thématise plus vraiment, ou alors trop succintement, ou avec trop peu de pédagogie et trop d'idéologie. Ou utilisent des mises en scène trop peu efficaces pour remplir durablement l'espace culturel dans la société moderne.
La droite nationale est une tradition en France comme ailleurs dans le monde. Le nationalisme de gauche des pays arabes, par exemple, ressemble à s’y méprendre à une philosophie nationaliste de droite avec appropriation de l’Etat-nation et des richesses par une oligarchie. Les étrangers (occidentaux par exemple), ou les infidèles, font office de boucs émissaires. Il faut peut-être rappeler ici la proximité de nombreux intellectuels et politiciens avec la droite des années 1930, qui représentait une certaine idée de la nation et de la souveraineté nationale. François Mitterrand a eu des sympathies pour cette droite. La gauche était, elle, accusée de vendre le pays à l’internationalisme, version socialiste de la mondialisation.
Cette droite se fonde sur des principes simples: d’abord être maître chez soi. L’étranger s’adapte, s’assimile, intègre nos coutumes et nos lois, ou s’en va. On peut constater que c’est la règle du jeu dans la plupart des pays du monde. En Afrique, en Arabie, Indonésie et ailleurs, on n’arrive pas sans permis ou visa, sans rester discret sur ses croyances religieuses si elles ne sont pas celle du pays qui accueille, entre autres. Les chrétiens ne prient pas dans la rue en demandant plus d’églises. Rien de surprenant donc au fait qu’en France la droite nationaliste s’élève contre ces pratiques. Aucun pays n’accepte cela. Par analogie, qui accepterait qu’un voisin vienne faire la loi dans sa propre maison?
Il est même étonnant est qu’en France il n’y ait pas plus de citoyens qui s’élèvent contre la prière dans les rues. Etonnant qu’une grande partie des français soient prêts à qualifier de xénophobes ceux qui la condamnent. Ce sont souvent les mêmes qui traitent d’impérialistes les européens qui ne respectent pas les pays d’accueil quand ils sont à l’étranger. Ce double langage type SOS-Racisme a été entendu, et est aussi cause de la colère des électeurs du FN et d’autres, même à gauche. Le communautarisme anti-blanc est trop perceptible dans ces attaques.
Think different
On dit aujourd’hui que Nicolas Sarkozy a divisé les français et les a dressés les uns contre les autres. Mais que font ces associations depuis 30 ans au moins, sinon diviser les français? Sarkozy n’a rien inventé de ce qui divise une nation. La gauche comme la droite le pratiquent depuis des décennies.

Aujourd’hui en France ni la gauche ni la droite n’ont plus vraiment de discours audible, encore moins les Verts trop marqués idéologiquement. L’extrême-gauche-bis reste l’extrême-gauche. Le discours le plus audible de la campagne était celui de Jean-Luc Mélenchon. Et là on peut se demander comment l’alliance entre les socialistes et l’extrême-gauche, qui se réclame d’un système de pensée qui a fait mourir des millions de personnes, ne choque pas plus. Si le Parti socialiste et le Front de gauche se soutiennent publiquement, pourquoi l’UMP et le Front national ne pourraient-ils pas se soutenir?
En quoi l’extrême-gauche, héritière de massacres, et dont le programme est «plus d’Etat» (or plus d’Etat signifie en général moins de liberté), serait moins fasciste que le FN? Quel est ce tour de passe-passe intellectuel qui exonère cette extrême-gauche de son origine, quand on charge le FN justement à cause de son origine? Et pourquoi donc n’y aurait-il pas un accord de gouvernement entre l’UMP et le FN, avec des ministres frontistes, comme il y a eu des ministres communistes sous Mitterrand? En quoi cela serait-il plus indécent?
Ce serait un fichu pavé dans la mare! Un grand pied-de-nez à la bienpensence et au stérile exorcisme auquel certains se livrent. Cela ne se fera pas. N’empêche que cette tendance politique, à force d’être rejetée plutôt que discutée, finit pas produire de la haine. La haine attribuée au FN est le miroir de notre propre haine. Pourtant un électeur sur trois en France est sensible aux thèmes protectionnistes. Pourquoi ne pas intégrer cette composante intellectuelle, essayer de la digérer et la faire évoluer? Après tout, se déclarer français, suisse ou belge, c’est déjà une forme de nationalisme. Politiquement le nationalisme est un fait. Comment et pourquoi le dépasser? La question doit être à nouveau posée.
De toutes façons il n’y a pas de culture alternative actuellement. Il n’y a pas de dépassement des anciens clivages. Il n’y a pas de paix sociale et il n’y a pas assez d’idées. A 20 ans j’avais des amis communistes très militants. Je me souviens comment ils devaient tordre leurs propres sentiments sur le monde pour assimiler et reproduire leur idéologie. Leur argument auto-flagellant était de lutter contre leur propre aliénation bourgeoise. J’ai l’impression que cela n’a pas changé. Les militants de la droite dure doivent faire taire leur humanité, ceux de la gauche dure font taire leur lucidité.
La grande chance aujourd’hui c’est de devoir tout repenser. Cela est mille fois plus important que de crier au retour de la Bête. Car c’est en repensant le monde autrement que la Bête reculera. L’exigence des temps est de rejeter le culte des vieilles idolâtries pour se mettre à penser. Autrement dit, tenter d’être libres.