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Billet de blog 29 mai 2012

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Foulards et voiles

A la suite du questionnement récent de Nancy Huston sur l’aliénation ou non de la femme occidentale «fashion victim» comparée à la musulmane et son voile, et cités ici, petit rappel de l’histoire du foulard en Europe.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A la suite du questionnement récent de Nancy Huston sur l’aliénation ou non de la femme occidentale «fashion victim» comparée à la musulmane et son voile, et cités ici, petit rappel de l’histoire du foulard en Europe.

A part son usage religieux le foulard ou voile est d’abord une coiffe traditionnelle déclinée sous plusieurs formes. Dans les pays européens on le connaît depuis le 18e siècle. On lui suppose une origine en langue provençale tirée du mot «foulat» ou «foulé» et désignant un drap d’été léger. Le même objet est également désigné par le mot «fichu», de ficher, ou poser rapidement, et par le mot «voile». Le voile est toutefois plus grand et sa fonction plus généralement religieuse que le foulard. Mais les deux protègent: des intempéries ou des regards, des agressions météo ou du jugement des humains.

Cette pièce pouvait être triangulaire ou carrée et pliée en triangle. Son usage en Europe au 19e et 19e siècles est d’abord destiné à la protection de la tête et des cheveux: protection contre la poussière, le soleil, le froid et le vent. D’un usage très pratique il permettait par exemple aux femmes paysannes de travailler aux champs sans être dérangées par leurs cheveux.

L’origine de l’objet en tant que voile est beaucoup plus ancienne. L’apôtre Paul demande déjà aux femmes de porter le voile lorsqu’elles prient ou prophétisent. Cette injonction n’ayant pas été formulée par Jésus dans ses évangiles on peut se demander quelle tradition Paul reprend ici: était-ce déjà une consigne religieuse, ou était-ce une coutume civile ensuite sacralisée? On sait qu’environ 1‘000 ans avant notre ère le port du voile par les femmes était déjà réglementé en Assyrie: les femmes mariées ou les prostitués sacrées le portaient comme signe distinctif de leur statut. Au temps de Jésus les femmes portaient couramment le voile. En Asie et au Moyen-Orient les hommes portaient le turban, sorte de voile masculin.

Dans le monde chrétien des religieuses portaient le voile comme signe de séparation du monde et de l’appartenance à Dieu.

Le voile ou le foulard est, on le voit, un attribut vestimentaire largement partagé dans le monde pour des motifs religieux ou non. La laïcisation de l’Europe a fait régresser l’aspect religieux du foulard. Celui-ci est devenu un simple moyen de protection de la tête. Puis il est passé au statut d’accessoire de mode, jusqu’au point où il devient le symbole de la maison de couture Hermès. Les actrice des années 1950-1960 en font un instrument de séduction. Chez les romains et plus tard encore en Bretagne, le voile de la mariée est portée par la jeune femme le jour de ses noces - traditions encore actuelle avec le voile de la mariée. En Bretagne la coiffe - qui n’es pas le voile mais reste un attribut vestimentaire important - désigne l’appartenance aux différentes classes de la société.

Plus tard les hippies portent le foulard, parfois haut en couleur, comme un signe de liberté dans leur

contre-culture. En occident aujourd’hui la mode a repris et neutralisé toutes les significations. La polyvalence du foulard ou du voile est reconnue. Il reste cependant objet de discorde quand il devient un signe religieux précis comme en islam. La critique des femmes voilées fait état d’une possible aliénation, d’une soumission aux hommes, d’un irrespect de soi-même comme si l’on devenait «étranger» (alien) à soi-même.

Je poserais le questionnement différemment. Pourquoi reproduire un code collectif serait-il obligatoirement une aliénation? N’y a-t-il pas toujours et partout des codes qui réunissent les humains autour de coutumes ou de valeurs communes? Et n’y a-t-il pas nécessité d’établir ces valeurs communes? Pourrions-nous trouver nos repères dans une société si individualiste que chacun vit selon son propre système sans aucune référence commune avec les autres humains? J’imagine la difficulté à préserver le sens d’une communauté humaine dans un individualisme aussi poussé. La question n’est pas de choisir entre l’un et l’autre mais de trouver le bon équilibre.

Qu’une communauté religieuse se définisse par un code vestimentaire n’a en soi rien d’exceptionnel. En ce sens les musulmanes voilées ne devraient pas poser de problème en Europe. On peut aussi estimer qu’elles sont aliénées, forcées. Si c’est le cas c’est à elles de se battre pour leur liberté, comme toutes les populations du monde se sont toujours battues pour leur liberté, femmes ou hommes. Mais si, dans la balance des avantages et inconvénients, elles voient plus d’avantages à porter le voile, cela devient leur choix.

Le problème, s’il y en a un, est quand un signe distinctif devient un manifeste qui s’oppose au monde et que cette attitude d’opposition met en cause ce monde lui-même. Et à ce point de vue toutes les religions ont leurs extrémistes qui refusent le monde tel qu’il est et voudraient le voir disparaître. La limite posée par la société est là: dans l’intention plus que dans la pièce d’étoffe. Si le port d’un foulard ou d’un voile devient un instrument de prosélytisme religieux il pose problème à la société. Mais alors, le foulard des hippies n’était-il pas le symbole du

refus d’un monde? Faudrait-il encore aujourd’hui en interdire le port public? Ou bien les valeurs de hippies sont-elles moins déstabilisantes pour l’Europe que celles de l’islam?

Je suis personnellement en désaccord avec les prescriptions vestimentaires religieuses. Les femmes doivent pouvoir de vêtir comme elles l’entendent. Leur prière n’a pas plus ou moins de valeur si elles prient sous un foulard ou tête nue. Ce n’est pas le diable qui dénude la tête des femmes: ce sont leurs mains, leur désir de confort, peut-être aussi leur désir d’image - et pourquoi pas?

Dans l’opposition supposée que fait Nancy Huston entre la fashion victim occidentale entourée de ses produits de beauté, et la femme voilée, pourquoi faudrait-il désigner une gagnante? De toutes façons le foulard, utilitaire, religieux ou accessoire de mode, montre à chaque fois combien la tête nue ou couverte est signifiante. La cacher partiellement ou totalement lui ôte toute représentation sociale personnelle mais en même temps montre combien, paradoxalement, elle est importante - puisqu’il faudrait la cacher!

Je ne partage pas cette notion d'aliénation, sorte de fourre-tout. Un mot qui vaut une chaîne. Je préfère voir les gens libres de leurs choix, même quand ils adoptent un code social qui ne vient pas d'eux.

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