Des larmes pour Oksana. C’est ce qui reste aux vivants, à sa famille, à ses amis. Oksana Makar est décédée hier jeudi dans l’année de ses 18 ans. Après trois semaines d’incertitude et de calvaire, mutilée, brûlée très gravement sur 55% de son corps, elle n’a pas survécu à ses blessures.

Nous savons peu de choses d’elle. Elle habitait à Mykolaïv, une ville de 500’000 habitants au sud de l’Ukraine, proche de la Mer Noire. Nous n’avons pas besoin d’en savoir plus. Ce qu’elle a subi ne nécessite pas de mise en perspective.
Le 9 mars elle a été violée, battue à mort, puis brûlée au 3ème et 4ème degré sur un chantier. Laissée pour morte elle a survécu trois semaines. Elle a pu dénoncer ceux qu’elle a identifiés comme ses agresseurs. Il s’agirait de trois fils de notables locaux. Ils ont été interrogés puis relâchés dès le lendemain faute de preuves. Pourtant l’un d’eux a reconnu le crime et a été filmé en vidéo.
Hier 29 mars le corps d’Oksana, son coeur, sa vie, ont lâché.
Il y a d’autres femmes violées et parfois tuées après le viol. Pourquoi parler d’Oksana Makar? Parce que la violence, la barbarie de l’agression sont particulièrement insupportables. Aucun crime n’est vraiment supportable, de l’injure à l’assassinat. Mais il y a une graduation dans la souffrance infligée. Oksana Makar a été étranglée puis brûlée vive. Selon d’autres sources elle a été battue à mort avant d’être brûlée. On pense, dans un autre contexte, à la mort d’Ilan Halimi, torturé et tué par le gang des Barbares, ou à William Modolo, torturé puis tué en 2006 près d’Aix-en-Provence. La barbarie est ici la même. La barbarie, c’est la cruauté, l’accumulation de crimes, l’acharnement.
Imaginons-nous dans sa peau, du 9 au 30 mars. Voyons comme avec ses yeux, sentons comme avec son corps, ce qu’elle a vécu. Il faut qu’en nous quelque chose crie «Non!» avec une telle force que la Terre entière l’entende.

On ne peut, on ne doit pas juger avant que la justice se soit prononcée. Chaque affaire de ce genre nous ramène à nos propres croyances, émotions, blessures ou parti-pris. La violence du crime nous pousserait à vouloir une peine exemplaire pour les auteurs avant qu’un procès ait eu lieu. Nous serions parfois prêts à lyncher pourvu que notre colère trouve un exutoire et que notre conscience soit soulagée. Je sais combien il peut être difficile de garder une distance «raisonnable» face à la souffrance et à l’injustice. Mais lyncher les auteurs n’amènerait pas à plus de justice. Le procès doit au contraire faire parler et appeler à la conscience.
L’affaire a pris une dimension nationale en Ukraine. Des manifestations se sont déroulées dans plusieurs villes du pays. Des responsables de la police et de la justice locale ont été limogés.
«Le cas d'Oksana Makar a pris de l'ampleur après la diffusion de deux vidéos. L'une d'elle, présentée comme l'interrogatoire d'un tortionnaire d'Oksana Makar, montre un jeune homme, le visage caché, décrivant le crime, avouant avoir étranglé la jeune fille, d'abord à mains nues, puis avec un cordon. «Elle hurlait et je l'ai violée. Elle ne s'est pas calmée et j'ai décidé de l'étrangler», a-t-il raconté. Croyant la jeune fille morte, ses agresseurs l'ont portée jusqu'à un chantier voisin. «Je ne voulais pas brûler le corps», a assuré l'homme, affirmant avoir mis le feu seulement à un morceau de tissu et l'avoir jeté près de la victime.»
Comment croire qu’un simple bout de tissus enflammé peut entraîner des brûlures aussi graves sur plus de la moitié du corps?
S’il se vérifie que des privilèges familiaux ont momentanément protégé les suspects, et s’ils sont déclarés coupables, la justice devra aussi poursuivre ceux qui ont tenté d’étouffer l’affaire. Une non-dénonciation de crime, de plus par personne ayant l’autorité de le dénoncer, est un crime en soi. Un limogeage ne suffirait pas à rappeler la loi et le respect des victimes.
Cry for Oksana.