[EDIT 23/10] La version initiale du texte est disponible dans la section commentaires. Je précise aussi que je n'ai rien à voir avec la rédaction de Mediapart et que celle-ci ne m'a jamais contacté.
[EDIT 22/10] Ce texte fait maintenant l'objet d'une plainte de la part de Gérald Darmanin, pour "diffamation publique à l'encontre de l'administration publique de la police nationale". Une seconde mise au point est donc nécessaire.
Premièrement, je constate une déformation quasi-systématique de mon propos. Je suis notamment sidéré par le nombre de commentaires qui cherchent à tout prix à y voir une défense du terrorisme. À aucun moment, je n'ai défendu le terrorisme et pour une raison simple: le terrorisme me scandalise et me dégoute au plus haut point. Que l'on puisse tuer des civils au nom d'une idéologie, religieuse ou non, m'indigne profondément. L'objet central de ce texte a toujours été de dénoncer une manière particulière de lutter contre le terrorisme, et non pas la lutte contre le terrorisme en tant que telle. Plus précisément, ce texte discute d'une possible norme tacite menant à l'exécution des individus suspectés de terrorisme. Il est tout entier écrit sous l'égide du questionnement, comme le point d'interrogation figurant dans le titre du billet l'indique. Ainsi, l'expression "barbarie policière" —dont j'ai reconnu le caractère excessif avant que la plainte ne soit déposée— ne vaut que sous l'hypothèse de l'existence d'une telle norme.
Deuxièmement, ce texte n'a jamais remis en cause l'action des forces de l'ordre dans leur ensemble. Dans la version initiale du texte, je soulignais même la réaction exemplaire des policiers nationaux ayant correctement identifié le pistolet à bille. C'est d'ailleurs cette réaction qui m'a amené à écrire le billet. Ayant correctement identifié la menace, ces policiers ont en effet logiquement décidé de procéder à l'interpellation du suspect. J'ai lu ici et là qu'une ceinture explosive pouvait être suspectée et je comprends l'argument. Mais dans ce cas, il me semble que les policiers ne se seraient pas risqués à s'approcher de l'individu pour procéder à son interpellation mais auraient au contraire temporisé au maximum jusqu'à ce que le GIGN ou un autre service spécialisé dans ce type d'armement arrive sur les lieux. Le travail exemplaire de ces policiers, je le contrastais avec celui d'un exécuteur —dont l'existence a toujours été présentée comme hypothétique— dont le rôle aurait pu être d'appliquer cette norme tacite dont j'envisageais l'existence. C'est cette analyse qui m'a amené à considérer que l'exécution du terroriste était "facilement évitable". Peut-être cette opinion, sous-tendant le reste du propos, est-elle erronée. Mais quoi qu'il arrive, ma critique de ce mode opératoire n'est pas une critique des policiers présents dans la vidéo, hypothétique exécuteur inclus. Je n'ai jamais suggéré que ces policiers de terrain ont agi d'une manière contrevenant aux ordres reçus ou à la doctrine. À ce titre, si diffamation il y devait y avoir, celle-ci concernerait spécifiquement l'administration de la police nationale, c'est-à-dire, notamment, les ministres de l'Intérieur successifs dont les paroles et les actes définissent ces ordres et cette doctrine.
Troisièmement, je pense qu'il est utile de préciser la raison principale qui m'a poussé à écrire ce billet. Je suis en effet profondément convaincu que réussir à capturer les terroristes vivants est absolument essentiel pour lutter efficacement contre le terrorisme. D'une part, cela permet de procéder à un interrogatoire et donc de remonter les filières mais aussi de mieux comprendre les mécanismes psychosociaux qui aboutissent à de tels drames. D'autre part, cela permet de replacer la justice au centre de la lutte contre le terrorisme, au-delà des clivages politiques. En effet, quand un terroriste est tué, il est toujours tué par une police nationale agissant au nom d'un gouvernement spécifique, c'est à dire d'un pouvoir exécutif changeant au gré des élections. Ce type de sanction, comme toutes les autres sanctions policières, est donc clivant par nature. Au contraire, en capturant les individus suspectés de terrorisme, on donne la possibilité au pouvoir judiciaire de les sanctionner sur une base constitutionnelle et indépendante des batailles d'opinion politiciennes qui divisent le pays. Alors certes, la peine de mort ayant été abolie, certains instincts de vengeance primaires ne sont jamais assouvis par la sanction judiciaire. Et c'est à mon sens une bonne chose. Car quel aspirant terroriste voudrait se retrouver dans la situation de Salah Abdeslam, seul terroriste impliqué dans les attentats de 2015 et aujourd'hui emprisonné? Dans l'idéologie djihadiste, se faire capturer vivant est une honte tandis que mourir en "martyr" est une gloire. En outre, cette rhétorique de la guerre à laquelle nos gouvernements ont souscrit aveuglément, d'où vient-elle? D'où nous vient cette soudaine propension à vouloir la mort plutot que le jugement des criminels qui agissent sur notre sol? Elle nous vient des terroristes eux-mêmes! À mon sens, elle constitute un des symptômes principaux de leur force et de leur capacité à éveiller en nous ces mêmes pulsions sordides qui structurent leur vision barbare du monde.
Si j'ai écrit ce texte, c'est avant tout parce que j'ai très peur que cette vision du monde s'empare de notre nation et nous fasse perdre de vue ce qui fait sa grandeur. Sans aucun doute, j'ai écrit sous le coup d'une émotion très différente de celle que le gouvernement et certains médias m'imposaient de ressentir. Je comprends donc pourquoi ce texte a pu choquer, être mal interprété et obscurcir chez certains un sentiment réconfortant d'union nationale.
[EDIT 20/10] Suite à la large diffusion de ce billet de blog sur Twitter, il semble judicieux de mettre en perspective, commenter et même amender en partie le texte qui suit.
Commençons par les amendements. En effet, le propos central du billet — que je continue de croire important — est sans doute desservi par une approche trop provocatrice:
- Parler de "barbarie policière" était une erreur car cela place sur un même plan moral deux violences très différentes. Or, justement, ces deux violences n'ont rien à voir. Seules les forces de l'ordre sont détentrices d'une violence légitime soumise à un impératif moral, tandis que la violence terroriste se place de facto hors de toute recherche de légitimité. La ligne de démarcation entre violence légitime et violence illégitime dépend tout entière de la moralité de la première, telle que perçue par le peuple français dans son ensemble. Personnellement, je vois dans l'exécution des individus suspectés de terrorisme un risque de glissement moral pouvant aboutir à l'opposition de deux barbaries, mais nous n'en sommes pas encore là.
- Suggérer que le terrorisme est un terme visant à désigner "un crime commis par une personne musulmane envers une personne non-musulmane" était également inapproprié puisqu'il ne s'agit évidemment pas de la définition officielle du terme. Cette phrase faisait allusion au fait que le qualificatif terroriste est employé à tort et à travers dans les médias, et qu'il existe bien une tendance consistant à identifier la violence terroriste à cette configuration particulière des violences intercommunautaires.
- Enfin, il était maladroit de suggérer que la vidéo indique la possible présence d'un "exécuteur" dont la tâche serait distincte de ses collègues. Non pas que la vidéo exclue une telle hypothèse, mais elle ne la démontre pas non plus. Et il est clair que ce type d'analyse basée sur des faits très parcellaires est contre-productive pour qui prend la question au sérieux. Je la supprime donc. Au fond, je voudrais croire qu'elle n'est que fantasme, et que les forces de l'ordre ont bel-et-bien tiré car le terroriste a mimé l'activation d'une ceinture d'explosif, ou quelque chose du même genre. A l'heure actuelle, des centaines de Tweets accusent Edwy Plenel et Mediapart de conspirationnisme en réaction à cette analyse. Or, si je comprends parfaitement pourquoi le couperet anti-conspi s'abat sur ce billet, il me semble parfaitement injuste que Mediapart ou sa ligne éditoriale soient mis sur le banc des accusés, puisqu'ils n'exercent aucun contrôle a priori sur les blogs. Et oui, c'est aussi cela, défendre la liberté d'expression...
En parlant de liberté d'expression justement, je dois admettre que je suis quelque peu fasciné par la trajectoire de ce billet de blog. L'indignation face au meurtre de Samuel Paty est directement liée à ce combat pour une liberté d'expression dont j'ai moi-même fait usage ici. Or, n'est-il pas contradictoire d'ériger les caricatures de Charlie Hebdo en symbole inviolable de la liberté d'expression et, dans le même temps, appeler à la censure d'un billet de blog critiquant l'incapacité (où le manque de volonté) des forces de l'ordre à capturer vivants les individus suspectés de terrorisme?
Si nous désacralisons le prophète de l'Islam, vénéré par plus d'un milliard d'êtres humains, au point d'applaudir lorsque ses caricatures sont diffusées par des ministres de la République ou des hauts-fonctionnaires sur Twitter, pourquoi sacraliser les forces de l'ordre au point de demander la censure d'un billet de blog questionnant le bien-fondé de leurs actions?
Pourquoi une personne comme Gilles Clavreul, préfet proche de la nébuleuse Valls, donne-t-il une audience immense à mon billet de blog tout en sommant à Edwy Plenel de "rendre des comptes" à son sujet? Les réactions sur Twitter montrent d'ailleurs à quel point la liberté d'expression est un concept à géométrie variable au sein des communautés islamophobes et/ou "anti-islamogauchistes":

Agrandissement : Illustration 1


Agrandissement : Illustration 2


Agrandissement : Illustration 3

Encore une fois, si les caricatures de Charlie Hebdo sont devenues un symbole de la liberté d'expression, pourquoi vouloir à tout prix la censure d'un texte dont le défaut principal est d'être — à certains égards — caricatural vis-à-vis des forces de l'ordre? Quelles lois ce billet de blog viole-t-il? Aucune.
Nous vivons dans un monde où s'adonner la provocation et la caricature est une manière simple d'obtenir de l'audience auprès du "camp opposé", dans un contexte de polarisation croissante. Ainsi, jamais mon billet n'aurait été relayé par des proches de Valls, tels que Gilles Clavreul, s'il n'avait été provocateur. Il serait sans le moindre doute resté aussi anonyme que son auteur.
Paradoxalement, ce sont donc les pourfendeurs de l'islamogauchisme et du conspirationnisme qui ont donné à ce billet une audience qu'il ne méritait absolument pas, en le présentant fallacieusement comme l'extension naturelle de la ligne éditoriale de Mediapart. C'est à dire en l'instrumentalisant à des fins politiques, sans se préoccuper le moins du monde des conséquences. Si ces personnes étaient réellement préoccupées par la dangerosité et par l'irresponsabilité de mes propos, elles auraient évité de multiplier par 100 ou 1000 mon lectorat. Elles auraient au contraire laissé le texte croupir dans les oubliettes du Club de Mediapart.
Ceci étant dit, je dois les remercier, pour deux raisons. Premièrement, bon gré mal gré, cette exposition promeut dans l'espace public un questionnement sur le bien-fondé d'une lutte contre le terrorisme qui se dispense quasi-systématiquement des juges pour rendre justice. Deuxièmement, elle me donne l'occasion de m'adresser — dans ce propos préliminaire écrit a posteriori — à une partie de la population à laquelle je n'aurais jamais eu accès.
A celle-là, je ne souhaite dire qu'une chose. Je respecte à la fois votre opinion et le vote qui la reflète. Il est hors de question pour moi de vous déshumaniser et d'oublier que nous formons ensemble le peuple français. Je vous prie seulement de garder à l'esprit que des atrocités sans nom ont été commises au nom de la lutte contre le terrorisme depuis plus d'un siècle, d'Hitler à Staline, de Franco à Pinochet, de Pol-Pot à Khadafi. Toujours, ces atrocités ont été possibles parce qu'une frange suffisamment large des populations était convaincue que les moyens dérogatoires dédiés à la lutte contre le terrorisme étaient nécessaires et moralement justifiés. Sans doute le sont-ils, le plus souvent, en ce début de 21ème siècle, en France. Mais cela ne doit pas nous empêcher de rester vigilants et critiques vis-à-vis de nos gouvernements et des instructions données aux forces de l'ordre.
Quitte à déplaire.
La décapitation du professeur de Conflans Sainte-Honorine risque de peser lourd dans les débats sur l’Islam, qui semblent tout en haut de l’agenda présidentiel depuis la nomination de Gérald Darmanin au Ministère de l’Intérieur.
La portée symbolique de cette décapitation est immense et l’émotion s’empare du pays. Malheureusement, deux jours après le drame, force est de constater que le traitement médiatique de cette affaire reste partial. Une fois de plus, il semble que l’étiquette “attentat terroriste” dispense les journalistes de tout effort réflexif. Les titres sensationnalistes s’accumulent et créent une chambre aux échos très favorable aux rhétoriques d’extrême-droite.
Or, à l’heure actuelle, que savons-nous du contexte dans lequel les forces de l'ordre ont agi?
Nous savons qu’un professeur d’histoire-géographie a été décapité peu avant 17h à Conflans Sainte-Honorine, rue du Moineau-Buisson. Une photo macabre de la tête est publiée sur un compte Twitter répondant au pseudo Tchetchene_270 (mais qui n'a alors pas encore été formellement lié à l'individu abattu). Juste après 17h, la police reçoit l’appel d’une personne signalant un homme décapité sur la voie publique. Quelques minutes plus tard, entre 200 et 400 mètres plus loin, un jeune homme de 18 ans est abattu, avenue Roger Salengro dans la commune limitrophe d’Éragny.
Au-delà de ces éléments, le flou demeure sur le déroulé exact de l’interpellation du jeune tchétchène. Pour l’immense majorité de la population, les détails de cette interpellation importent peu. Et pourtant…
Une vidéo — très rapidement publiée sur les réseaux sociaux — permet de s’interroger sur ce qui semble être devenu une nouvelle normalité en France. Dès qu’il s’agit de terrorisme, la police semble avoir le droit de tuer. On se demande si elle n'en a pas également le "devoir". En effet, hormis Salah Abdeslam pris par la police belge, aucun terroriste ne survit à ses actes sur le sol français.
Dans le cas présent, il est absolument clair que les policiers ont compris que le terroriste n’était armé que d’un pistolet à billes bien avant de l’exécuter. L’information est répétée deux fois, de façon très audible. De plus, à ce moment précis, le terroriste est seulement en possession d’un canif, le gros couteau ayant servi à la décapitation étant resté près de la scène du crime. Enfin, la police l’a déjà cerné et le risque qu’il s’enfuie est donc quasi-nul.
Aucun de ces éléments de contexte ne semble empêcher l’exécution du jeune tchétchène. Et malheureusement, lorsqu’il s’agit de terrorisme, cette justice policière expéditive ne semble poser de problèmes à aucun média, ni à aucun homme politique de premier plan. Soucieux de leurs côtes de popularité, médias comme politiques évitent toute prise de position qui pourrait être perçue comme un déni de solidarité vis-à-vis des victimes. Comme si exiger que la justice s’applique à tous les présumés coupables (sic) de façon semblable avait quoi que ce soit à voir avec l’empathie que l’on peut ressentir pour les victimes et leurs proches, ou la tristesse de voir le pays s’enfoncer plus avant dans ses clivages religieux et ethniques.
Il faut avoir le courage de se regarder en face pour comprendre le chemin que prend la France et la perception que certaines minorités peuvent avoir de la situation.
Certes, le procès d’un terroriste islamiste capturé vivant peut être sulfureux, créer transitoirement des troubles à l’ordre publique et attiser certaines tensions. Mais on ne peut pas s’indigner de la barbarie terroriste et souscrire dans le même temps à cette forme de justice sommaire, sans être en contradiction avec soi-même ou tourner le dos, sciemment, à la République Française.
Ce jeune de 18 ans n’est, au moment précis de sa mort, qu’un suspect armé d’un jouet et d’un canif. Applaudir une police qui tue de façon aussi sommaire et systématique les individus suspectés de terrorisme, c’est applaudir une dérive, c’est encourager la spirale mortifère des violences policières et c’est embrasser ce choc des civilisations qui se trouve — depuis plus 30 ans — en haut de l’agenda de toutes les extrêmes-droites du monde.