Un obélisque de verre se dresse au centre de la cour de Marly. Brillant de mille feux sous le soleil de la verrière, il reflète à profusion les Chevaux de Coustou et les autres sculptures de Marly faisant cercle autour de lui.
Michelangelo Pistoletto s’expose au Louvre, avec dix-sept compositions et un titre programme : « Année 1, le paradis sur terre ». Rien que ça. Alors au choix : on aime ; on déteste ; on reste indifférent… Mais ici, parmi ses œuvres répétitives depuis les années 60, c’est indéniablement le rappel à l’égyptomanie qui l’emporte, au-delà du commentaire officiel dont il est affublé.
Résumons. Le plasticien italien, né en 1933 dans le Piémont, reste fidèle à sa technique de peinture sur miroir d’acier mise au point il y a cinquante ans, en 1962. Dans la foulée, le mouvement de l’Arte Povera justifie l’utilisation de matériaux de rebus rejetant le consumérisme. Enfin les performances, si possible « transdisciplinaires », invitent à s’interroger sur les questions de sociétés.
Heureusement, les cartons du Louvre se font un devoir de nous mettre les points sur les i !
Ainsi pour l’œuvre Obelisco e Terzo Paradiso (1976-2013) proclamée « symbole de la révolution en marche ». Le cartel précise, impitoyable : « L’obélisque est un symbole de puissance depuis l’Egypte antique, l’artiste en le recouvrant de miroir le fond dans l’environnement. Le signe féminin recouvre le symbole masculin, affirmant le rôle primordial de la femme dans la société ». Rien que ça.
Pourtant l’obélisque est essentiellement un symbole solaire dans l’Egypte ancienne, lié au culte héliopolitain. Pour le reste il représente un bon exemple des glissements successifs opérés par l’égyptomanie, au service des souverains, de leur religion, de leur idéologie. Depuis les empereurs romains, les papes de la Contre-réforme, les rois de l’Ancien régime, l’Empire…jusqu’à la République. Mais l’obélisque est aussi un symbole funéraire, avec les tombes des maréchaux, des grands hommes, des francs-maçons, avant de fournir la majorité de la cohorte des monuments aux morts des guerres de 1870 et de 1914-1918.
Nul besoin de psychanalyse de bazar pour « expliquer » la persistance et le renouvellement du « signe obélisque ». Chaque époque intègre à son répertoire artistique les éléments décoratifs typiques de la civilisation du Nil. C’est le propre de l’égyptomanie, ce phénomène qui désigne la recréation moderne des modèles de l’Egypte antique.
Si l’art contemporain n’y échappe pas, ce n’est pas à cause du bon docteur Freud. Pourquoi y voir à toute force un symbole phallique et l’expression d’un machisme grandiloquent ? Il s’agit plutôt pour les artistes d’établir un lien permanent intemporel entre le passé, le présent et le futur. Michelangelo Pistoletto ne saurait y échapper, comme Ivan Theimer ou Arnaldo Pomodoro d’ailleurs.
Mais foin du bla-bla-bla, décidément cet obélisque de verre n’a jamais été aussi bien présenté que dans l’écrin de la cour de Marly. Au point que l’on se prend à rêver de l’y voir installé définitivement.
Mais la triple boucle de chiffons qui plane à son sommet est-elle vraiment indispensable ?