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Billet de blog 29 octobre 2025

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Faire de l’aide et de la justice en RD Congo des priorités de la conférence de Paris

Le 30 octobre, la France accueillera à Paris la Conférence de soutien à la paix et à la prospérité dans la région des Grands Lacs dans l’objectif d’obtenir des soutiens internationaux en réponse à la crise humanitaire aggravée dans la région, et de donner une nouvelle impulsion aux médiations en cours menées par les États-Unis, le Qatar et l'Union africaine.

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Cette conférence a également pour but de renforcer l'intégration économique régionale à l'image des initiatives menées par les États-Unis pour garantir des accords miniers en échange de la paix. Elle se tient dans un contexte d’enlisement des efforts de Washington et Bruxelles pour pousser la République démocratique du Congo et le Rwanda à coopérer.

Mais l’intégration économique régionale restera un vœu pieu tant que les médiateurs ne reconnaîtront pas que ce conflit est alimenté par des décennies d'impunité pour les auteurs de crimes graves dans l'est du Congo.

L'Union européenne, en retrait depuis le début des efforts de médiation des États-Unis et du Qatar, a aujourd’hui l'occasion de montrer qu’elle tient ses promesses en faveur de la justice et place la reddition de comptes pour les crimes graves au cœur de son approche de la crise des Grands Lacs et de la vision de paix mise en avant par la conférence.

Malgré un premier accord de paix négocié par les États-Unis le 27 juin, le Rwanda a continué à soutenir le groupe armé M23 et la RD Congo à soutenir les Wazalendo, une coalition de groupes armés responsables de nombreux abus, ainsi que les FDLR, un groupe armé rwandais à majorité hutue dont certains membres ont participé au génocide de 1994 au Rwanda.

En septembre, la mission d’établissement des faits des Nations Unies dans l'est de la RD Congo a conclu que toutes les parties au conflit, y compris les forces congolaises et rwandaises, ont commis de graves violations et abus dont certains pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Ces conclusions s'appuient sur une vaste documentation, notamment celle de Human Rights Watch, qui montre comment les groupes armés, notamment le M23, ont massacré des civils, perpétré des violences sexuelles généralisées, recruté de force enfants et adultes, et poussé à la fuite des centaines de milliers de personnes.

Des millions de personnes ont été déplacées par le conflit, parfois prises en étau entre les belligérants, à un moment où l'aide internationale est au plus bas du fait de la suppression quasi-totale de l'aide internationale des Etats-Unis. Certains réfugiés de la région nous ont dit qu'ils en étaient réduits à envisager de retourner dans les zones dangereuses occupées par le M23 en raison du manque d’aide dans les camps de réfugiés ou, dans le cas du Burundi, à cause du traitement dont ils ont fait l’objet. D'autres ont raconté comment les combattants Wazalendo et du M23 avaient empêché les civils de fuir vers les pays voisins. Après avoir pris le contrôle des capitales provinciales de Goma et Bukavu en début d'année, le M23 a mené une campagne d'intimidation et de répression violente contre des civils qu'ils soupçonnaient de s’opposer à lui.

Lors de la conférence de Paris, les gouvernements devraient d’urgence faire pression sur le M23 pour qu'il autorise les opérateurs humanitaires, y compris la force de maintien de la paix de l'ONU, à se déplacer librement et qu’il rouvre l'aéroport de Goma. Le Rwanda, en tant que force occupante dans l'est de la RD Congo, a la responsabilité de garantir la santé et le bien-être de la population.

Les acteurs régionaux comme le Burundi et l’Ouganda, négligés par la plupart des autres initiatives de médiation, ont non seulement subi les conséquences humanitaires du conflit, mais y ont aussi été directement impliqués. La France et le Togo, en tant que médiateur de l'Union africaine, devraient faire pression sur les gouvernements de la région pour qu'ils protègent les civils et contribuent à lutter contre l'impunité face aux abus. Tous les gouvernements de la région devraient donner la priorité à la protection des civils et au passage en sécurité de ceux fuyant les combats.

Pour promouvoir la justice, la conférence devrait commencer par celles et ceux qui la défendent. Les défenseurs des droits humains, les journalistes et les activistes risquent de subir des actes d’intimidation ou d’être emprisonnés simplement pour avoir exprimé leur opinion aussi bien aux mains des autorités congolaises qu’à celles du M23. La France et ses partenaires devraient condamner les attaques contre la société civile, faire pression sur toutes les parties au conflit pour qu'elles respectent le travail des défenseurs des droits, et s'engager à leur apporter un soutien financier et technique afin qu’ils puissent faire leur travail, dans le pays ou en exil.

À Paris, un signal ferme devrait être envoyé indiquant que les crimes de guerre et les violations graves des droits humains ne resteront pas impunis. Cela passe en particulier par le soutien aux enquêtes indépendantes sur les abus commis dans l'est de la RD Congo, notamment le financement et le soutien nécessaire au lancement sans délai de la commission d'enquête des Nations Unies, qui a déjà pris du retard.

Les pays devraient aussi apporter à la Cour pénale internationale le soutien politique et financier et la coopération dont elle a besoin pour poursuivre les affaires concernant les atrocités en RD Congo. Ils devraient soutenir et renforcer les travaux des tribunaux congolais et aider à mettre en place un mécanisme judiciaire internationalisé composé d'experts congolais et internationaux, dont le travail pourrait contribuer à lutter contre l’impunité.

Les initiatives de paix en cours, soutenues par l'Union africaine, le Qatar et les États-Unis, ne pourront aboutir que si la société civile et les représentants des victimes ont véritablement leur place à la table des négociations. Les efforts internationaux peuvent associer l'aide humanitaire à une diplomatie publique vigoureuse faisant pression sur toutes les parties au conflit pour mettre fin aux abus et respecter le droit international. Les accords d'intégration économique auront peu de chances de réussir en l’absence de mesures pour que les responsables d’abus rendent des comptes.

Si l’aide humanitaire demeure essentielle, pour marquer un tournant dans l’engagement diplomatique sur le conflit des Grands Lacs, la conférence se doit de commencer à combler le fossé entre discours et réalité et promouvoir la justice pour les Congolais pris au piège de décennies de conflit.

Clémentine de Montjoye est chercheuse senior sur la région des Grands Lacs et Bénédicte Jeannerod est directrice du bureau de Paris à Human Rights Watch.

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