Comme aurait dit Michel Audiard, il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages, et le ramdam sur la date du Ramadan, officiellement fondé sur le respect d’une tradition millénaire, est en fait le résultat d’un désordre politique parfaitement contemporain. Pour calculer le début du Ramadan, il y a longtemps que les musulmans n’ont pas plus besoin de regarder la lune.
Officiellement, il y aurait un conflit entre la Science et la Tradition. Le CFCM, Conseil français du culte musulman, entendait procéder à un calcul astronomique pour établir à l’avance le début de la période de jeûne, tandis que la Commission théologique de la grande mosquée de Paris a préféré se fier à l’observation visuelle, pour la décréter au dernier moment. Résultat : pour le CFCM, c’était hier, et pour la Mosquée de Paris c’est aujourd’hui.
La Mosquée s’appuie sur une métaphore chère aux croyants. Celle de la dictée du Très haut, lors de la Nuit du doute. Elle consiste à attendre de voir la lune avec ses yeux pour savoir quand commence le Ramadan. Une attente collective et fervente des consignes envoyées par le ciel.
Cette histoire est jolie mais elle est dépassée depuis plus de mille ans. Elle renvoie à la fondation de l’Islam par Mahomet, vers les années 610. Ses premiers disciples étaient alors des Bédouins du désert, dans l’Arabie aujourd’hui saoudite. Ils avaient effectivement besoin de la Lune et de leurs deux yeux pour se diriger dans l’espace et dans le temps.
Mais depuis lors il s’est passé, quand même, un certain nombre de petites choses, et notamment que les mathématiciens et astronomes musulmans ont fait avancer la Science universelle en faisant avancer l’algèbre au neuvième siècle à Bagdad, avec un certain Al Kwarismi, dit Algorismus, si le mot « algorithme » vous dit quelque chose, ou en inventant l’Astrolabe qui permet de mesurer la position des étoiles, et plus tard, jusqu’à la Renaissance, en bâtissant partout des observatoires ultra-performants.
Renvoyer les musulmans à l’aimable observation du ciel avec le seul observatoire des yeux, c’est les priver des lumières qu’ils ont apporté au monde entier.
On peut, naturellement, calculer, grâce entre autre aux arabes, aux turcs, aux perses, le début du Ramadan pour les cinq milliards d’années prochaines, si la terre existe encore.
Alors quoi ?
Alors tout simplement, et plus prosaïquement l’Islam de France est morcelé en une myriade de tendances, aussi nombreuses que les étoiles, et le CFCM, créé en 2003 pour l’unifier, est non seulement divisé en interne, mais contesté en externe. En décrétant la date du 9, il a cru s’emparer du calendrier, le décréter, devenir le maître du temps, mais la Mosquée de Paris lui a pris le crayon pour écrire le mot sacré, Ramadan, à la date du 10, et avoir l’air de tenir la divine baguette.
Au bilan, l’un et l’autre on décrit une réalité plus terre à terre. Celle d’un bazar, ou d’un capharnaüm, ou en Français, d’un désordre astronomique…
France Culture 7h36 ; France Musique 8h07 ; Twitter @huberthuertas