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Billet de blog 7 décembre 2015

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LOI MACRON:MADAME IRMA APPELEE A LA RESCOUSSE

Le nouveau projet de décret relatif au tarif des notaires, s'il paraît plus cohérent que le précédent, n'est pas moins exempt de critiques.D'abord, parce qu'il limite le revenu de professionnels libéraux sans aucune contrepartie.Ensuite, parce qu'il fait appel aux sciences divinatoires lorsqu'il requiert de déterminer ce que sera le chiffre d'affaires annuel.

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"Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage" (Nicolas Boileau). En ce qui concerne le décret relatif au tarif des professions réglementées, Emmanuel MACRON n’en n'est qu’à son deuxième projet, et si celui-ci parait plus cohérent que le précédent, ce qui n’est pas une marque d’excellence au vu de celui-ci, il n’en reste pas moins qu’il pose de nombreuses questions.Rappelons que l’objectif officiellement annoncé est de faire correspondre le tarif avec le coût réel des actes (ce que la loi appelle le « coût pertinent »), augmenté d’une rémunération moyenne raisonnable.Après un premier projet de décret totalement incompréhensible, ce nouveau projet semble plus facile d’accès, pour qui a quelques connaissances en mathématiques et une boule de cristal.Notons dès à présent que le coût pertinent et la juste rémunération, qui devaient être définis acte par acte, sont maintenant déterminés au niveau des offices, grâce à la péréquation interne aux études, voir à la profession. Il s’agit là de la première discordance du nouveau projet avec le discours officiel et le texte de la loi : se rendant compte que le coût pertinent ajouté à la rémunération raisonnable ferait exploser le coût de nombreux actes, le ministre a préféré revenir à la péréquation globale réalisée au niveau des offices, selon le système actuel.Dès la première lecture du texte, l’objectif réel de la réforme apparait enfin : faire en sorte que les revenus des notaires soient plafonnés. Pour un ministre qui prône l’ultra libéralisme, qui veut des jeunes qui rêvent de devenir milliardaires et qui a lui-même goûté aux joies de la rémunération déraisonnable, cela manque de cohérence. Ceci étant, nous aurions tort de nous plaindre, en ces temps de vaches maigres, des limites posées par le projet : entre 75.000€ et 130.000€, augmentés de 10% du chiffre d’affaires. Non, ce qui est choquant dans ce dispositif, et ce quelles que soient les limites posées, c’est le principe même de limiter les revenus d’une profession libérale, même s’il s’agit d’une profession réglementée. Cela ressemble curieusement à une fonctionnarisation qui n’oserait avouer son nom, une façon insidieuse de soumettre une profession au joug de l’Etat qui en fixe la rémunération. Ne pas dire clairement les choses, c’est laisser la place à toutes les interprétations, prendre le risque de dérive ou plus simplement rechercher intentionnellement le flou pour réparer ses erreurs. Mais déjà dans cette limitation repose le germe d’une question qui, si elle semble avoir été tranchée par le Conseil Constitutionnel, mériterait que l’on s’y attarde à nouveau, car le décret introduit une nouvelle dimension à la définition du tarif des notaires, celle de son encadrement, qui n’avait pas été exprimée en ces termes dans la loi : cette question, c’est celle de l’indemnisation des notaires en place. Comment en effet prétendre limiter les revenus d'une profession sans y voir là un préjudice certain pour certains de ses membres? Comment limiter les revenus de professionnels sans mettre en péril ceux d'entre eux qui ont dû emprunter pour acquérir leur outil de travail, moyennant un prix validé (et parfois imposé)par la Chancellerie?Par ailleurs, en limitant le montant maximum des revenus des notaires, et en assurant un revenu minimum, cette loi casse l’esprit d’entreprise de cette profession : pourquoi développer des outils de production, investir dans les nouvelles technologies, travailler 70 heures par semaine si c’est pour finalement voir son revenu limité à la hausse, tout en bénéficiant d'un revenu minimum garanti ?Au-delà de ces questions, d’autres interrogations résultent de la lecture du projet sans qu’elles n’aient été tranchées.Ainsi, le projet précise que l’émolument perçu rémunère une prestation, celle-ci correspondant aux « travaux ou diligences afférents à un acte, une formalité, ou un service….incluant les conseils dispensés en lien avec cet acte, formalité ou service. » (art. R 444-2).A quoi correspondent les travaux ou diligences, ou les conseils afférents à un acte ?A titre d’exemple, lorsqu’une banque exige que l’appel de fonds d’un prêt sous seing privé soit effectué par le notaire, et non directement par le client, s’agit-il d’une diligence afférente à l’acte ? Et au titre des conseils, lorsqu’un couple non marié se porte acquéreur d’un bien immobilier, le conseil dispensé par le notaire relatif aux conditions d’acquisition (clause de tontine, calcul des quotes-parts d’acquisition, PACS, convention d’indivision, testament...) est-il afférent à la vente, ou s’agit-il d’un conseil spécifique ? Pour notre part, nous estimons qu’il s’agit là d’un conseil spécifique qui, s’il est relié à l’acte, n’entache pas sa perfection s’il n’est pas donné. D'ailleurs, en pratique, ce conseil est donné lors de rendez-vous particuliers pris en dehors de ceux consacrés à la vente.Autre limitation, « la somme des émoluments perçus au titre des prestations relatives à la mutation d’un bien ou d’un droit immobilier ne peut excéder 10% de la valeur de ce bien ou droit. » Que faut- il entendre par « prestations » ? Par exemple, pour une acquisition dont le prix est financé par un emprunt, la limite s’applique-t-elle à la somme des émoluments de vente et de prêt ? Même question si, au surplus, le notaire a négocié la vente? Par ailleurs, si les émoluments perçus sont limités, qu’en est-il de la responsabilité professionnelle des notaires ? Est-elle également limitée à un montant ou un pourcentage ? Ensuite, les émoluments pourront faire l’objet d’une remise maximale de 10%, ce taux étant porté à 40% pour certaines prestations portant « sur la mutation ou le financement de biens ou droits à usage non résidentiel » (art. R.444-6). Qu'entend-on par "usage non résidentiel"? La réduction de 10 ou 40% s'applique-t-elle uniforméménent à tous les actes du même office? Peut-elle être fractionnée en fonction de tranches de prix? S'applique-t-elle avant ou après limitation des 10% maximum des émoluments reçus au titre de la même prestation? Enfin, « l’émolument d’une prestation peut être majoré lorsque, à la demande du client, le professionnel réalise cette prestation dans un délai inférieur à un délai de référence fixé par l’arrêté conjoint » (Art. R 444-7). Lorsque l’on sait que le délai s’écoulant entre l’avant contrat et le contrat de vente d’un bien ou droit immobilier est dû aux délais d’obtention du prêt par l’acquéreur et aux délais d’obtention des pièces administratives, on croit rêver. A l’heure actuelle, les avant contrats sont représentatifs de ce que sera l’acte authentique de vente, sous quatre réserves principales : l’obtention du prêt, la réception de l’état hypothécaire, du certificat d’urbanisme et de la renonciation au droit de préemption urbain par son titulaire. L’obtention de ces pièces ne dépendant pas du notaire, mais de la banque ou d’administrations, celui-là n’a aucune prise directe sur le délai de régularisation de la vente. Un peu de sérieux monsieur Macron ! Ou alors faites en sorte que vos administrations soient aussi réactives que les professionnels libéraux.Le principe de fixation des tarifs, quant à lui, se veut simple : « Les tarifs régis par le présent titre sont fixés en sorte que le chiffre d’affaires annuel prévisionnel, hors honoraires et hors taxes, dégagé, en application de ces tarifs, par la profession concernée(CAg), soit égal à la somme des coûts pertinents (C) et de la rémunération raisonnable (R)…soit CA=C+R » (art. R.444-10) La suite de l’article limite l’évolution positive du tarif en fonction de l’évolution du chiffre d’affaires.Par contre, aucune limite en cas de baisse.Les coûts pertinents sont « évalués en tenant compte :1° De la part respective des émoluments et des honoraires au sein du chiffre d’affaires de chaque profession ;2° Des charges annuelles de la profession concernée ......calculées par différence entre le chiffre d’affaires (CA) et le bénéfice de la profession au titre de l’année considérée (B). » (Art. R 444-11).La rémunération raisonnable, censée « assurer une attractivité suffisante de la profession concernée … est… égale au produit :1° du taux de résultat net moyen des professionnels exerçant sous forme individuelle ou de société unipersonnelle au sein de chaque profession (Tu).2° du chiffre d’affaires annuel prévisionnel hors honoraires et hors taxes de chaque profession réalisé au titre des prestations soumises à la régulation tarifaire (CAg) ;3° d’un coefficient correcteur qui ne peut excéder 1,15…..III-Toutefois, la rémunération raisonnable annuelle moyenne prévisionnelle par professionnel, hors honoraires et hors taxes, ne peut pour chaque profession :1° ni être inférieure à 75.000€, majorés de 10% du chiffre d’affaires moyen annuel prévisionnel, hors honoraires et hors taxes, par professionnel ;2° ni être supérieure à 130.000€, majorés de 10% du chiffre d’affaires moyen annuel prévisionnel, hors honoraires et hors taxes, par professionnel. » (Art. R 444-12).Tout d'abord, le texte est totalement muet sur la façon dont le gouvernement entend s’assurer que les revenus des notaires soient effectivement compris dans les limites édictées. Faute de précision, on peut entrevoir que cela se fera vraisemblablement par le biais de la redistribution professionnelle, qui prendra deux formes : les aides à l’installation (art. R 444-22) et les aides au maintien (art. R 444-24).Notons que ces aides pourront être dans certains cas à la charge d'un notaire en place au bénéfice d'un notaire nouvellement installé, qui lui fera directement concurrence.Ensuite, si le coefficient correcteur est limité à la hausse à 1,15, il ne connait aucune limite à la baisse. Il est par ailleurs surprenant et délicat de vouloir déterminer un taux moyen en partant de situations aussi disparates que celles rencontrées dans le notariat, pour en déterminer un revenu moyen, même si celui-ci peut fluctuer entre deux limites.Enfin, la boule de cristal est promue au rang d’outil officiel de régulation de l’activité économique, le texte parlant à plusieurs reprises de « chiffre d’affaires annuel (ou de rémunération) prévisionnel ». S'il s'agit de la même boule de cristal que celle utilisée par notre ministre de l'Economie alors qu'il était rapporteur du rapport ATTALI, lequel prévoyait un besoin de recrutement de 750.000 emplois par an à l'horizon 2015, on éprouve des suées. Comment en effet déterminer un chiffre d'affaires prévisionnel pour une activité qui dépend directement du marché immobilier et de la situation économique du pays?Mais une chose est sûre : dorénavant, les notaires auront intérêt à développer leurs activités rémunérées par des honoraires et non des émoluments, et principalement le conseil détaché de tout acte ou prestation tarifée, ainsi que le droit des affaires . On devine ainsi quelles sont les sirènes qui ont chanté aux oreilles de notre Ulysse d’eau douce qui ne leur aura finalement pas résisté bien longtemps.Ce deuxième projet de décret, s'il peut paraître plus satisfaisant que le premier, n'en soulève pas moins des questions qui, si elles peuvent ne paraitre que théoriques, sont révélatrices de l'état d'esprit dans lequel la loi a été rédigée.C'est là au surplus la marque d'une écriture trop rapide de textes cadres qui trouvent leurs limites dès lors qu'ils doivent être appliqués à des situations concrètes.Enfin, et cela doit être noté, ce décret reporte à nouveau le détail de l'application effective d'une loi à des arrêtés qui détermineront toute l'architecture d'une disposition légale. Une nouvelle forme de déplacement du pouvoir législatif.Espérons que la suite des décrets sera de meilleure facture.

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