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Billet de blog 10 août 2015

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LOI MACRON: LE PIEGE DES DECRETS D'APPLICATION

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Passée au forceps du triple 49-3, la loi Macron est sortie pratiquement indemne du contrôle de constitutionnalité pour son volet consacré aux professions réglementées, à l'exception de deux de ses dispositions. Ce qui est considéré comme une victoire sans appel pour ses défenseurs, mais pourrait bien s'avérer être un piège pour son instigateur, qui est maintenant confronté à la rédaction des décrets d’application.

Car les mesures concrètes qui devront être prises relèvent du casse tête chinois ,tant les objectifs affichés par une campagne de promotion (ou de publicité?) que le gouvernement s'est vu contraint de mener paraissent inconciliables, non seulement entre eux, mais également avec la réalité du terrain.

Il va maintenant falloir  ne pas décevoir ceux qui attendent avec impatience la diffusion de la carte des zones carencées, tout en tenant compte de la décision du Conseil Constitutionnel qui a transféré à l’Etat la charge de l’indemnité due aux notaires installés, et tout en faisant admettre que, contrairement à l’objectif annoncé , le tarif des notaires sera augmenté de façon exponentielle pour les actes les plus courants. Il va également  falloir donner l’illusion que la notion de puissance publique n’est pas écornée, alors que la mise en place des sociétés pluri professionnelles contient en germe la détention du sceau de l’Etat par des sociétés financières.

Le gouvernement est ainsi pris à son propre piège, tant en ce qui concerne les dispositions retoquées, que celles qui n'ont pas été censurées par le Conseil constitutionnel.

Au titre des dispositions censurées, figure celle qui prévoyait que l'indemnisation du préjudice subi par les notaires installés suite à la création d'un nouvel office était à la charge du titulaire de ce dernier. Estimant que cette disposition méconnaissait les exigences de l'article 13 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel est revenu au principe classique selon lequel, dans une telle situation, ces indemnités sont à la charge de l’Etat.

Cette décision aura donc  pour conséquence directe d'obérer les finances de l'Etat, en une période où le gouvernement est censé faire la chasse aux dépenses (sport dans lequel, par ailleurs, il n'excelle pas vraiment).

On le comprend, l'intérêt de l'Etat sera de limiter les possibilités de libre installation, faute de quoi les demandes d'indemnités flamberont, et ce d’autant plus que les nouveaux installés pourront à leur tour, si une nouvelle installation leur porte préjudice,  demander à être indemnisés.

L'intervention du gouvernement sur cette question pourra se faire à deux niveaux:

La cartographie:

Cette limitation pourra se faire par le biais de la cartographie des zones carencées, qui sera du ressort des ministres de la justice et de l'économie, sur proposition de l'Autorité de la Concurrence (art. 13bis de la loi).

 A ce stade, les critères devront être en corrélation avec la matière traitée:  il ne s'agira pas de déterminer les zones dans lesquelles il n'y a pas de notaire, mais celles dans lesquelles il n'y a pas suffisamment  de notaires pour répondre à la demande de la clientèle.

Lors d'une récente campagne de publicité, le gouvernement présentait de façon infantile le cas de Sabrina, jeune notaire ayant pris la décision de s'installer dans sa ville natale parce que le manque de notaire" créait des délais d'attente préjudiciables pour les clients". Quel délai? Le délai pour recevoir un client est en général de 48 heures, si le client n'est pas reçu immédiatement, et une semaine maximum quand le cas n'est pas urgent.

Par contre, je connais des acquéreurs qui ont dû attendre 5 mois pour recevoir leur offre de prêt immobilier, à une date postérieure à celle prévue pour la signature de l'acte d'achat; je connais des bureaux des hypothèques qui mettent  six mois pour publier un acte de vente; je connais des personnes qui ont dû attendre plusieurs mois pour être reçues par un médecin spécialiste, ou encore pour être remboursées d'un trop versé d'impôt ou de cotisations URSSAF. Mais le gouvernement préfère laisser croire qu’il s’occupe des français en définissant des zones carencées en notaires plutôt que de s'attaquer aux véritables verrous de l'économie.

Ces zones devront donc prendre en compte non seulement les données démographiques, mais également les données sociologiques et économiques, ainsi que leurs prévisions d'évolution. Il ne s'agit pas ici d'assurer un point d'accès à des informations juridiques, qui n’est pas la fonction première du notaire, mais bel et bien de cerner les zones dans lesquelles la demande de rédactions d'actes notariés n'est pas satisfaite, tout en assurant  la pérennité économique de l'office créé. Et en cela, l' ADLC et les ministères de la Justice et de l'Economie auront une certaine responsabilité,  d'autant plus que les professionnels concernés, outre qu'ils seront détenteurs du sceau de l'Etat, devront assurer une certaine continuité dans leur exercice professionnel, notamment pour la conservation des actes et des pièces dont ils peuvent être dépositaires, tels les testaments olographes. Et bien souvent ceux qui voudraient assimiler l’activité notariale à un commerce occultent cet aspect d’une profession qu’ils ont néanmoins la prétention de réformer.

La nomination:

Ensuite, lors de l'étude des dossiers des postulants à l'installation. Mais ici, l'étude du dossier ne comprend aucune étude de viabilité du projet d'installation, les critères étant ceux de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance. Dans les zones carencées, la nomination est de droit (art. 13 bis al.1: "Les notaires...peuvent librement s'installer dans les zones..."). Comment le Ministère de la Justice tranchera-t-il en cas de demandes concommitantes sur le même secteur? Des actions en responsablité en perspective.

 La profession n'ayant aucune voix au chapitre, c'en est fini de la garantie collective pour les nouveaux installés (sur ce point, se reporter au rapport Lachaze déjà évoqué, même si peu de détracteurs de cette affirmation ont pas pris la peine de le consulter). Les clients qui subiraient un préjudice du fait de l’activité du nouveau titulaire bénéficieront certes de l'assurance collective des notaires (si celle-ci survit en sa forme actuelle à la réforme), mais plus de la garantie collective . A ce titre , il faut noter que si les nouveaux installés ne pourront bénéficier de la garantie collective, ils y seront néanmoins tenus pour leurs confrères ayant repris un office existant, pour lesquels l'avis de la profession est requis.

Enfin, dans ces zones identifiées comme étant carencées, et si l’appel à manifestation reste infructueux, le ministre de la justice pourra confier aux instances professionnelles le soin de fournir les services d'intérêt général en cause, tout en précisant les modalités et le contenu des services rendus (art. 13 bis, al.3). Outre l'aspect incongru d'une telle disposition (je mets en place un système de libre installation dans des zones carencées, donc censées être attractives, mais si personne ne se présente, j'impose à ceux qui subissent les effets négatifs de cette disposition d'assumer les conséquences de mon erreur), notons que la décision du Garde des Sceaux devra viser expressement la demande non satisfaite de rédaction d'actes notariés, et non la seule absence de point d'accès au droit, le service d‘intérêt général en cause étant ici celui de l‘authenticité, et non de renseignements juridiques.

Le tarif:

Sur le tarif, le conseil Constitutionnel a validé  le fait qu'il devait tenir compte du coût pertinent du service rendu ( qui prend en compte les coûts supportés par le professionnel comme l’a confirmé le Conseil d’Etat) et une rémunération raisonnable, définie sur la base de critères objectifs.

Le nouveau tarif tiendra donc compte du prix de revient d'un acte, majoré d'une juste rémunération du notaire. Or, le prix de revient d'un acte intègre bien évidemment le salaire des employés, le coût des locaux (loyer ou amortissement), les frais tels que matériel informatique, formation, assurance, fournitures...Comment déterminer un coût pertinent unitaire sur tout le territoire pour un acte, qu'il soit produit à Paris ou à Macronville, alors que les écarts de salaires sont importants, les loyers pouvant varier du simple au centuple?

Par ailleurs, pour de nombreux actes jusqu'à présent faiblement rémunérés, tels que les notoriétés après décès ou les servitudes , rémunérés 58,50 HT pour les premières et 195 € HT pour les secondes, le tarif devrait augmenter de façon exponentielle.

En effet, ces actes demandant plusieurs heures (et très souvent plusieurs dizaines d'heures) pour être préparés, rédigés et signés, leur prix de revient pour le professionnel-producteur est hors de proportion avec leur tarif actuel qui est, il faut bien l'avouer, fixé en fonction d'une certaine justice sociale, qui veut que lesplus fortunés paient pour les plus pauvres.

Ainsi donc le tarif qui était jusqu'à présent redistributif, deviendra confiscatoire pour certains, et cela de façon certaine si l'on s'en tient aux principes résultant de la loi, validés par le Conseil Constitutionnel.

Sociétés pluri professionnelles.

Enfin, en ce qui concerne les sociétés pluri professionnelles, un décret en Conseil d'Etat devra déterminer les conditions d'application des nouvelles dispositions au notariat, dans le respect des règles déontologiques applicables dans chaque profession. Sur ce point, si l'énoncé du principe semble simple, sa mise en œuvre le sera beaucoup moins, sauf à ignorer le statut particulier de chaque profession et sa genèse. Le Notariat participe à Tracfin, les avocats y rechignent. Les notaires sont soumis à des contrôles annuels de leurs actes et de leur comptabilité, les autres professions du droit ne sont pas soumises à  de tels contrôles, ou dans une mesure moindre. Le contour du secret professionnel n'est pas le même pour le notaire, l'avocat, l'huissier de justice...Le notaire est soumis à des interdictions d'instrumenter applicables à leurs associés et leurs parents. Les obligations ne sont pas les mêmes vis à vis du client, de même que les garanties qui leurs sont accordées.

Le rédacteur du décret aura donc intérêt à tourner sept fois sa plume dans sa main avant de commencer à rédiger le texte, après avoir décortiqué  les règles déontologiques applicables à ces professions en France,  déterminé les professions exercées dans un état membre de l'Union européenne,  dans un autre Etat partie à l'accord sur l'espace économique européen ou dans la confédération suisse qui pourront incorporer de telles sociétés, dont il devra également connaitre les règles déontologiques afin de vérifier qu'elles sont compatibles entre elles, en espérant que, pour une fois, le nivellement se fasse par le haut, et non par le bas.

Si certains ont pu crier victoire à l'annonce de la décision du Conseil Constitutionnel, il faut bien admettre que le principal du travail reste à faire, c'est à dire rentrer dans le concret par la rédaction des décrets d'application d'une loi trop vite pensée, malgré ce qu'en disent ses concepteurs  en invoquant les heures de débats parlementaires….débouchant sur un 49-3 faute de majorité.

Rentrer dans le concret, c'est définir précisément les zones de carence, avec à la clé la garantie que les offices qui y seront créés seront viables, il y va de la crédibilité et de la responsabilité de l'ADLC, du ministère de la Justice et du ministère de l'Economie, vis-à-vis d'une jeunesse qu'ils ne peuvent décevoir ni tromper, d'une profession qu'ils ont baffoué, et d'une clientèle qui mérite le respect.

Rentrer dans le concret, c'est également admettre que le coût de certains actes, notamment ceux effectués pour les clients les moins fortunés, devront subir une hausse exponentielle dès lors que, conformément à la loi validée par le Conseil Constitutionnel, il sera tenu compte de leur coût pour le professionnel et d'une juste rémunération, ce qui aura pour résultat final d'aller à l'encontre des objectifs initialement affichés.

Rentrer dans le concret, c'est enfin mettre en place une réglementation des sociétés pluri professionnelles telle que l'indépendance, l'impartialité, la mission de service public du notariat soient pleinement respectées et non mises à la disposition des autres professions ou de la finance.

Ce sera là certainement la quadrature d'un cercle aux allures plus vicieuses que vertueuses, car pour qui connait ce qu’est le notariat, la réforme mise en œuvre ne peut se faire sans mettre à mal  les spécificités d’une profession qui, si elle bénéficie d’un statut particulier, est soumise à des obligations particulières qui en sont la contrepartie. Remettre en cause ce statut suppose donc qu’il soit mis fin à ces obligations, ce qui conduirait à une remise en cause de la notion de service public , et ce de façon générale.

Alors que les questions du tarif et de l'installation de nouveaux notaires auraient pu être réglées directement par le ministère de la Justice qui dispose déjà des outils nécessaires ( Décret n° 78-262 du 8 mars 1978 pour le tarif et décret n° 86-728 du 29 avril 1986 pour la localisation des offices à créer), le gouvernement a préféré faire du bruit en stigmatisant une profession, dans le but de détourner l'attention des français des véritables problèmes, et en donnant ainsi à Bruxelles un gage de sa volonté d'engager les réformes qui lui sont imposées.

Ce faisant, il a lui-même édicté les règles générales que devront respecter les décrets d'application, s'imposant à lui-même des contraintes qu'il aura bien en mal a remplir. Il y a donc fort à parier qu'il devra s'en dédire, comme l'animal de ferme d'une expression pleine de bon sens.

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