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Billet de blog 11 décembre 2015

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LOI MACRON: L'EQUATION DIABOLIQUE

En laissant la détermination de ce que sera la rémunération raisonnable des professionnels concernés à l'autorité fixant le coefficient correcteur, sans aucun contrôle,le projet de décret délégue une fois de plus le pouvoir législatif au pouvoir réglementaire.

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A la lecture du nouveau projet de décret relatif au tarif des professions réglementées, il nous paraît intéressant de nous arrêter sur l'une de ses composantes, à savoir l'évaluation de la rémunération raisonnable.Selon les termes de l'article R 444-10 du projet de décret, le chiffre d'affaires annuel prévisionnel hors taxes et hors honoraires est considéré comme étant la somme des coûts pertinents et de la rémunération raisonnable. « Les coûts pertinents …sont évalués en tenant compte :1° de la part respective des émoluments et des honoraires au sein du chiffre d'affaires de chaque profession ;2° des charges annuelles de la profession concernée constatées à partir des dernières données disponibles sur une période d'au moins deux ans. Pour chaque année, ces charges sont calculées par la différence entre le chiffre d'affaires et le bénéficie de la profession au titre de l'année considérée. Elles ne prennent pas en compte les sommes ou valeurs mises à leur disposition des professionnels exerçant dans les sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés et non prélevées sur les bénéfices. » (art. R 444-11).Quant à « la rémunération raisonnable (elle) est, pour chaque profession, égale au produit :1° du taux de résultat net moyen des professionnels exerçant sous forme individuelle ou de sociétés unipersonnelles au sein de chaque profession2° du chiffre d'affaires annuel prévisionnel hors honoraires et hors taxe de chaque profession réalisé au titre des prestations soumises à régularisation tarifaire3° d'un coefficient correcteur qui ne peut excéder 1,15.Soit : R = coefficient correcteur x taux de résultat net moyen x chiffre d'affaires prévisionnelSoit : R = coef. x TU x (C + R)Soit R = coef. x TU x C / 1-(coef. x TU) » (art R 444-12.Pour faciliter la compréhension de ces équations, les symboles ont été remplacés par leur signification).Pour passer de la 2ème à la 3ème équation, manquent les équations suivantes :R = (coef. x TU x C) + (coef. x TU x R) soit R - (coef. x TU x R) = coef. x TU x CSoit R (1 - (coef. x TU)) = coef. x TU x CSoit : R = coef. x TU x C / 1 - (coef. x TU)En résumé, le chiffre d'affaires d'une profession est la somme des coûts pertinents et de la rémunération raisonnable, les coûts pertinents correspondant à la quote part de charges afférentes à l'activité rémunérée par des émoluments, dont on déduit le bénéfice réalisé,la rémunération raisonnable étant quant à elle déterminée selon l'équation ci-dessus. L'objectif principal est donc de moduler le revenu des professionnels,pour lesquels bénéfice et rémunération ne seront plus équivalents, après passage de la raison.En effet, les charges et les bénéfices étant ceux constatés sur les périodes de référence, seule la rémunération raisonnable pourra varier en étant détachée des chiffres effectivement constatés. La rémunération raisonnable étant elle-même déterminée en partant de données réelles (le taux de résultat moyen et le coût pertinent) affectées d'un coefficient correcteur variable, tout l'édifice repose donc sur la détermination du coefficient correcteur.Voyons les conséquences de cette méthode de fixation de la rémunération raisonnable, à partir d'exemples pratiques :-Prenons l'exemple d'un chiffre d'affaires de 375.000 €, d'un taux de résultat moyen de 20%, et d'un coût pertinent de 300.000 €Si le coefficient correcteur est fixé à 1, la rémunération raisonnable sera calculée de la façon suivante R = 1 X 20% X 300.000 / 1 - (1X20%) = 60.000 / 0.8 = 75.000 €, soit une somme égale à la différence entre le chiffre d'affaires et le coût pertinent.-Imaginons que le coefficient correcteur soit fixé à 0,8.La rémunération raisonnable sera alors de : R = 0,8 X 20% X 300.000 / 1 - (0,8 X 20%) = 48.000 / 0,84 = 57.143€, soit une somme inférieure au résultat net effectif.-Imaginons maintenant que le coefficient correcteur soit fixé à 1,10.La rémunération raisonnable sera alors de : 1,10 X 20% X 300.000 / 1 - (1,10 X 20%) = 84.615€, soit une somme supérieure au résultat net effectif. Ainsi, le choix du coefficient correcteur n'est pas anodin, puisque plus le coefficient est élevé, plus la rémunération raisonnable sera également élevée.Notons que si ce coefficient est limité à la hausse, il n'est pas limité à la baisse, et que rien dans le projet ne dit qu'il ne puisse être inférieur à 1.Par ailleurs, il est important de noter qu’à aucun moment le projet de décret ne détermine le mode de fixation de ce coefficient, ni l'autorité le déterminant. Ce point devrait être soumis à l'appréciation du Conseil d'Etat, car il est anormal qu'un corridor de revenus , si tant est qu'il soit légal, soit laissé à l'appréciation d'une autorité ou d'une personne dont la désignation n'ait pas été encadrée par le pouvoir législatif.Enfin, l'une des difficultés que vont rencontrer les personnes appelées à appliquer cette équation va résider dans la distinction devant être faite, au niveau des charges, entre les charges ayant donné lieu à perception d'émoluments et celles ayant donné lieu à perception d’honoraires, ces derniers n’étant pas pris en compte pour la détermination de la rémunération raisonnable.L'article 444-11 du projet de décret semble retenir le principe d'une répartition par quote-part des émoluments et des honoraires par rapport au chiffre d’affaires global, ce qui est une solution pratique dans sa mise en oeuvre car mathématique, mais très aléatoire dans sa réalité économique.En effet, comment distinguer le temps passé par un collaborateur pour traiter un dossier ayant donné lieu à perception d'honoraires, et celui passé pour un dossier ayant donné lieu à perception d'émoluments ?La même question peut être posée pour l'utilisation du matériel informatique, le loyer des locaux professionnels, le temps de formation…Etudions maintenant les effets d'une modification du taux de rentabilité, dont l'augmentation est l'objectif premier de la loi, pour parvenir à la réduction des coûts pertinents, puis au final à la réduction de la rémunération raisonnable.Car ne nous y trompons pas, ce qui est recherché à travers cette équation est une baisse générale du tarif, d'abord par une baisse des coûts pertinents, ce qui augmentera les bénéfices des professionnels pour un coût égal, ce qui justifiera une baisse de la rémunération raisonnable par baisse du coefficient correcteur.-Imaginons que, à partir de l'exemple ci-dessus, le taux de rentabilité soit de 30%.Le coût pertinent s'établit alors à 262.500 €Si le coefficient correcteur est fixé à 1, la rémunération raisonnable est alors égale à 1 x 30% x 262.500 / 1 - (1 x 30%) = 78.750 / 0,7 = 112.500€.Ainsi, une augmentation du taux de rentabilité de 10 points entraîne une augmentation de la rémunération raisonnable de 50%.-Par contre, imaginons que le taux de rentabilité soit de 15%, auquel cas le coût pertinent est de : 318.750 €.En retenant un coefficient correcteur de 1, la rémunération raisonnable s'établit de la façon suivante : 1 x 15% x 318.750 / 1 - (1 x 15%) = 47.812 / 0,85 = 56.250.Une baisse du taux de rentabilité de 5 points entraine donc une baisse de la rémunération raisonnable de 25%.On le voit, la modification du taux de rentabilité, donc la modification du coût pertinent a un effet de levier important. Par contre cet effet de levier, donc l'intérêt de réduire les coûts pertinents, trouve sa limite dans celle donnée au montant de la rémunération raisonnable, et ce d’autant plus que l’effet de levier évoqué ci-dessus a un effet multiplicateur de 5.Les coûts pertinents étant en lien direct avec la réalité du terrain, même s'il s'agit d'une réalité déformée car correspondant à une moyenne nationale, le tarif devrait les premières années subir peu de changement, la seule limite étant celle du corridor de revenus, pour lequel il ne faut pas oublier d'ajouter 10% du chiffre d'affaires. Le gouvernement n'aura donc d'autre choix, s'il veut parvenir à ses fins, que d'agir sur le coefficient correcteur, en le fixant en dessous de la barre de 1.Ainsi, si dans l'exemple précédent le coefficient correcteur est fixé à 0,80 et le coût pertinent de 262.500, la rémunération raisonnable est alors fixée de la façon suivante : R = 0,8 x 30% x 262.500 / 1 - (0,8 x 30%) = 63.000 / 0,76 = 82.894 €.On le voit, le coefficient correcteur peut être utilisé pour réduire la rémunération raisonnable, indépendamment des efforts faits par la profession pour réduire les coûts pertinents, alors que dans une économie libérale, celle prônée par notre ministre de l’économie, la réduction des coûts de production profite en principe au professionnel, libre à lui ensuite d’en faire profiter ses salariés, le client ou d'en conserver le profit.Enfin, la rémunération raisonnable et ses limites s’appliqueront-elles à chaque professionnel pris indépendamment, ou de façon globale en tenant compte d’un revenu théorique de l’ensemble de la profession, divisé par le nombre de professionnels ?Dans le premier cas, comment garantir la rémunération minimale, et comment prélever le trop perçu ?Dans le second cas, cela risque de finalement déboucher sur les inégalités actuelles de revenus entre professionnels, sans revenu minimum ni maximum. Il semble résulter du projet, et plus spécialement des termes de l'article R 444-12, que l'ajustement se fera au niveau de la profession dans sa globalité. Le chiffre d'affaires considéré devrait être celui de la profession, la fixation de la rémunération raisonnable tenant compte du nombre de notaires, à l'exclusion des notaires salariés, lesquels sont rémunérés par un salaire et non une participation aux bénéfices. Par contre," les sommes ou valeurs mises à la disposition des professionnels exerçant dans les sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés et non prélevées sur les bénéfices" ne sont pas considérées comme des charges, aux termes de l'artR 444-11 in fine.Par exemple, si le chiffre d'affaires global hors taxes et hors honoraires de la profession est de 5 milliards d'euros, le taux de résultat net moyen de 25%, et le nombre de notaires de 10.000, la rémunération raisonnable sera de 125.000€ (5Mds X 25% / 10.000) en moyenne par professionnel et respectera les limites haute et basse de la rémunération raisonnable. Si maintenant la rentabilité est de 35% et le nombre de notaires de 7.500 pour le même chiffre d'affaires, la rémunération raisonnable est de 5Mds X 35%=1,750Mds, soit une rémunération raisonnable de 1,750Mds/7.500=233.333€ par notaire. La limite haute est fixée à:[ (130.000€ X 7.500) + 0,5Mds]/ 7.500 soit 196.666 € par notaire. On peut penser que dans ce cas le coefficient correcteur soit utilisé pour ajuster le tarif à la limite posée par le décret.D’autres questions peuvent se poser, notamment comment traduire cette rémunération raisonnable en pourcentages applicables à une base taxable dont le volume est indéterminable par avance et présente des discordances entre les professionnels selon leur lieu d'exercice, s’agissant d’un chiffre d’affaires prévisionnel ?En conclusion, si l'équation ainsi posée dans le projet de décret semble satisfaisante dans son principe, on peut néanmoins regretter que ce projet ne comporte aucune indication sur l'organisme appelé à déterminer le coefficient correcteur, ce qui peut en faire une arme diabolique. Par ailleurs, si le résultat de cette équation pousse les professionnels à réduire leur coût pertinent, cette incitation trouve sa limite dans le montant maximum de la rémunération raisonnable. Ce qui est certain est que ce système peut avoir deux effets contraires: soit limiter l'intérêt de la profession à réduire ses coûts pertinents, soit l'inciter à augmenter le nombre de notaires, hors notaires salariés.Mais cette méthode ne permettra pas de gommer les fortes disparités de revenus existant dans la profession dès lors que l'on parle de rémunération moyenne, et non médiane. Certains pourront le regretter, mais il ne faut pas oublier que le seul fait d'évoquer une limitation des revenus, pour une profession libérale, a quelque chose d'antinomique.

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