La loi MACRON, dont l'un des objectifs affichés est de faire sauter certains verrous afin de donner une chance aux jeunes, risque d'atteindre cet objectif en sacrifiant une génération complète, celle des jeunes notaires récemment installés, et des jeunes diplômés non installés, qu'ils aient l'intention ou non de profiter de cette réforme.Contrairement à l'idée largement répandue selon laquelle les offices notariaux seraient transmis gratuitement aux enfants de leurs titulaires, ces transmissions sont bien souvent réalisées en dehors du cadre familial, et même dans ce dernier cas, ils le sont moyennant finance pour des prix soumis au double contrôle des instances professionnelles et de la Chancellerie, certains cessionnaires s'étant vu imposer une hausse de prix afin de respecter les coefficients ainsi fixés.Dans la plupart des cas le prix est payé, totalement ou partiellement, au moyen d’un emprunt, le plus souvent consenti par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), avec la caution de l’Association Notariale de Caution (ANC), organisme mis en place par la profession pour aider les jeunes dans leurs projets d’installation.Depuis le mois d'aout 2014, l’équilibre financier ayant servi de base à la fixation des prix de cession pour les notaires nouvellement installés n’est plus respecté puisque, par suite de l'annonce de la révision du tarif des notaires et la possibilité de la libre installation, ils connaissent comme l'ensemble de la profession une baisse de rentabilité de leurs offices, ainsi que de leur valeur.C'est donc l'ensemble des jeunes notaires installés, pour lesquels les prêts professionnels sont toujours en cours de remboursement, qui risque de connaitre plus que d’autres des difficultés financières, le montant des remboursements d’emprunt n’étant naturellement pas indexé sur la rentabilité des études ni leur valeur. Certains de ces jeunes notaires se sentent trahis par la profession, ayant le sentiment que celle-ci se désintéresse de leur sort, les considérant comme une sorte de dommages collatéraux de la réforme, et n’ont pas hésité à mettre personnellement en cause la responsabilité du Président du CSN,.Pour l’un d’entre eux, « comment les notaires installés depuis moins de cinq ans vont ils pouvoir continuer à payer un prêt avec une « part des anges » depuis envolée, les cotisations de la profession et les cotisations retraites dont ils ne bénéficieront jamais au profit d’une génération qui a refusé de transmettre ? »Si ces réactions peuvent paraître excessives, cet excès doit être apprécié à l’aune de leur situation personnelle obérée par le double effet de la crise économique (que bien des notaires ont connu dans le passé) et de la réforme Macron (qui est une première), ce cumul se produisant pour beaucoup d’entre eux en début de leur exercice professionnel. Et si leurs associés sont en général sensibilisés aux difficultés qu’ils rencontrent, c’est la profession toute entière qui doit avoir conscience de ces situations délicates.Face à ces réactions, deux attitudes sont possibles. La première consiste à les ignorer, ce qui est somme toute confortable sur le court terme, mais dramatique sur le long terme. L’autre est celle d’essayer de les comprendre, pour trouver une solution.A vrai dire, le Conseil Supérieur du Notariat, son Président et les instances régionales et départementales ont peu de pouvoirs en la matière, si ce n’est sur la fixation des prix de cession pour les nouveaux dossiers, et la demande faite à la CDC de tenir compte des changements d’environnement économique pour les installés récents. Peut-être pourrait-on également suggérer aux instances de moduler ou reporter les cotisations professionnelles de façon ciblée, lorsque cela est envisageable .Reste à connaitre l’attitude de la Caisse des Dépôts et Consignations, en lien direct avec l’Etat qui porte la responsabilité de cette mise en difficultés. Il ne parait donc pas incongru de penser que l’Etat, à la fois créancier des jeunes notaires installés en cours de remboursement par l’intermédiaire de la CDC, et responsable de la baisse de leurs revenus, envisage des mesures de tempérament. Et ceci est d’autant vrai que pour la majeure partie de ces prêts à l’installation, consentis par la CDC, l’Association Notariale de Caution s’est portée caution des emprunteurs, et qu’en vertu d’une jurisprudence bien établie le créancier est responsable à l’égard de la caution lorsqu’il a contribué à obérer la situation financière de l’emprunteur principal.La façon dont a été menée cette réforme est d'autant plus navrante que, si Monsieur MACRON avait véritablement voulu augmenter le nombre de notaires tout en évitant ces effets dramatiques, il lui aurait suffi de doter les instances professionnelles de véritables pouvoirs coercitifs, afin de faire respecter des critères d'associations obligatoires. Mais il est vrai que cela aurait été moins médiatique de sa loi « fourre- tout ».La profession avait en effet, il y a quelques années, annoncée la mise en place de critères impératifs déterminant le nombre de notaires (associés ou salariés) d'un office à partir du chiffre d'affaires, du nombre d'actes et du revenu net.Toutefois, le non-respect de ces critères n'étant pas sanctionné, la seule possibilité pour les instances professionnelles (Chambres départementales et Conseils Régionaux) était d'attirer l'attention des cédants et des cessionnaires lors des cessions d'offices sur l'opportunité qu'il y avait à augmenter le nombre de notaires.En dotant les instances professionnelles, sous contrôle de la Chancellerie, de véritables pouvoirs coercitifs afin que ces critères soient respectés, notre jeune ministre aurait agi avec efficacité et équité. Efficacité, car l’augmentation du nombre de notaires aurait pu de cette façon être contrôlée en adéquation avec la réalité du terrain; et équité, car cette augmentation aurait touché les notaires qui étaient jusque- là peu enclin à s’associer, principalement pour ne pas partager ce qu’ils considèrent comme étant leur gâteau, et qui est en réalité une délégation de puissance publique. Le système mis en place par la réforme étant non sélectif (hors détermination des zones carencées) quant aux notaires qui seront concernés par les nouvelles installations, les pratiques à l’origine de la réforme ne seront pas sanctionnées, voir seront encouragées.Monsieur Macron aurait pu également revoir la règle du nombre de notaires salariés par rapport au nombre de notaires titulaires en instaurant la règle du 1 pour 1 (un notaire salarié pour un notaire titulaire), plutôt que de mettre en place celle du 4 pour 1 (quatre notaires salariés pour un notaire titulaire). Cela aurait permis d'éviter que les offices grands consommateurs de clercs habilités (toujours l’histoire du partage du gâteau) ne remplacent ceux-ci par des notaires salariés sans qu’il s’agisse là d’une véritable volonté de reconnaitre au promu le statut de notaire à part entière. Il s‘agit pour eux simplement de répondre à la réforme par un artifice. Et de l’aveu même de diplômés notaires accédant au rang de notaires salariés, cela est perçu comme un manque de respect à leur égard. Même si, en faisant cela, les notaires titulaires agissent en parfaite harmonie avec les idées défendues par Mr Macron, qui veut que tout chef d’entreprise agisse avec le seul souci de la rentabilité, oubliant par- là que cette rentabilité n’est que le résultat final d’une succession d’histoires individuelles.Reste à savoir, dans le système mis en place par la réforme, comment se fera le passage à la règle du 2 notaires salariés pour 1 notaire titulaire fin 2019 pour les offices ayant plus de 2 notaires salariés pour un notaire titulaire : statu quo ? intégration forcée de notaires salariés en qualité de notaires associés ? (mais alors, quid de l’affectio societatis ?)…comme pour beaucoup d’autres questions, la loi et les décrets sont muets sur ce point, et l’on peut déjà présager une succession de projets de décrets pour trouver un système cohérent.Une autre catégorie de jeunes touchée par cette réforme est celle des jeunes diplômés , qui ont le sentiment que leur diplôme est dévalorisé par suite de la suppression de l'habilitation.Ainsi, ils font valoir le fait que, pour obtenir leur diplôme, ils aient dû passer avec succès les examens sanctionnant leur formation, qu'ils aient accepté de faire un stage très souvent sous rémunéré, et qu'ils aient consacré une partie de leur temps libre à la préparation de leur examen et de leur mémoire ou rapport de stage, ces efforts ayant pour eux la contrepartie d’être un jour notaires.Ils ont donc le sentiment d’être rétrogradés au rang de « rédacteurs de luxe », perdant par là leur rôle de conseils pour lequel ils se sont engagés dans cette profession.De leur point de vue, il s’agit là du non- respect de la part de la profession d’un espoir d’exercice professionnel. Du point de vue de la profession, il s’agit là indéniablement d’un problème de surnombre de diplômés. D’où pour certains l’urgence d’une réforme de la formation professionnelle, afin que le nombre de diplômés soit plus en adéquation avec les besoins réels de la profession. Enfin, ils éprouvent un sentiment de rejet de la profession lorsqu’ils font valoir leur souhait d’installation, et que certains notaires leurs répondent que s’ils n’ont pas trouvé à s’associer c’est qu’ils ne sont pas compétents, ou encore que ce qui fait la différence entre eux et le notaire installé, d’un point de vue de compétence, est que justement eux ne sont pas installés. Heureusement pour la profession, cette attitude est marginale. Mais elle existe, et il faut non seulement que nous en ayons conscience, mais surtout que nous la condamnions.Il est donc urgent et impératif que les aspirations de ces jeunes diplômés, qui ont cru en cette profession, et qui pour beaucoup ont participé aux manifestations professionnelles, soient prises en compte et qu’ils soient associés aux réflexions menées sur la réforme de la profession, car si les instances savent que leur sort ne leur est pas indifférent, eux ne le savent pas, et ils ont besoin d’une signe fort.La dernière catégorie de jeunes qui risque de connaitre des désillusions est celle qui pensait bénéficier de la réforme en utilisant la possibilité de s'installer librement.La consultation des réseaux sociaux nous permet de constater qu'ils considèrent que la libre installation doive être réservée aux jeunes diplômés, qui devraient être prioritaires dans l'attribution des nominations.Ainsi, après avoir critiqué ce qu'ils qualifiaient de malthusianisme, ils souhaitent établir le privilège de la jeunesse qui voudrait qu'un jeune soit plus compétent, plus rigoureux… en un mot plus notaire qu'un notaire un peu plus âgé.Or, l'instauration de critères de nomination liés à l'âge du postulant serait contraire au principe d'égalité devant la loi dont ils se sont targués pour défendre une réforme qu'ils savaient mortifère pour la profession.Par ailleurs, ils avaient une lecture au premier degré (comme nous) de la loi, et avaient cru y lire qu’aucun filtre ne serait posé à la libre installation dans les zones carencées. Or, le décret instaure une prime à la course, par horodatage des demandes, et fournitures de pièces qui ne semblaient pas prévues dans le projet.Ils seront donc les derniers déçus de cette réforme, le décret d'application sur la libre installation risquant de rendre illusoire cette liberté d'installation.Une nouvelle fois, il nous faut malheureusement constater que la réforme des professions réglementées, mixte de précipitation et de dogmatisme, fera plus de dégâts qu’elle n’aura d’effets bénéfiques.Une certaine manière de gouverner, où les effets d’annonces sont plus importants que la faisabilité réelle des objectifs annoncés et leur mise en pratique.Une politique pour poissons rouges.
Billet de blog 13 janvier 2016
LOI MACRON: LA GENERATION SACRIFIEE
La loi Macron, dont l'un des objectifs est de favoriser l'installation des jeunes risque, pour certains d'entre eux, d'avoir des effets inverses. Et ce, qu'il s'agisse de jeunes déjà installés, ou de jeunes dipômés non installés.
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