Dans son avis N°16-A-13 du 9 juin 2016, l'Autorité de la Concurrence (ADLC) soumet à l'appréciation des Ministères de la Justice et de l'Economie une cartographie relative à la libre installation des notaires, conformément aux termes de la Loi Croissance.
Rappelons que les zones de libre installation figurant sur cette carte "sont définies de manière détaillée au regard de critères précisés par décret, parmi lesquels une analyse démographique de l'évolution prévisible du nombre de professionnels installés. A cet effet, cette carte identifie les secteurs dans lesquels, pour renforcer la proximité ou l'offre de services, la création de nouveaux offices de notaires... apparaît utile." (Article 13 bis Loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques).
L'objectif est on ne peut plus clair: renforcer la proximité ou l'offre de services, c'est-à-dire renforcer le maillage territorial et la diversité de l'offre de services notariale.
Le décret N° 2016-216 du 26 février 2016 précise les critères permettant d'évaluer le niveau et les perspectives d'évolution de l'offre de services qui sont : - "nombre et localisation des offices installés ;
- chiffre d'affaires global de ces offices et celui réalisé par chacun d'entre eux sur les 5 dernières années, en distinguant les montants respectifs des émoluments et des honoraires ;
- nombre de professionnels nommés dans ces offices (titulaires, associés, salariés) ;
- nombre et localisation des offices vacants ;
- âge des professionnels en exercice".
Le décret retient également les critères suivants : - "caractéristiques démographiques et tendance de leur évolution ;
- évolution significative de la situation économique ayant une incidence directe sur l'activité brute des professionnels, dont l'évolution … s'agissant des notaires : des marchés immobiliers et fonciers, et du nombre de mariages et de décès".
Enfin, le décret précise que les zones d'installation libre "doivent être délimitées en tenant compte de la localisation géographique des usagers auxquels les professionnels fournissent habituellement des prestations et du lieu d'exécution de la prestation."
Comparons donc les préconisations de l'ADLC avec le cadre législatif qui leur a été donné.
Tout d'abord, pour déterminer la zone géographique pertinente, l'ADLC note (n° 80) qu' " un grand nombre de contributeurs souligne que 80% de la clientèle des offices notariaux serait localisée dans un rayon de 15 à 25 kms de la résidence de l'office " et que "pour l'essentiel de leurs activités...les notaires interviennent dans un ressort territorial limité à une trentaine de kilomètres autour de leur office". (n° 89)
On aurait donc pu imaginer que l'ADLC établisse une cartographie des offices existants, tenant compte du nombre de notaires titulaires et de notaires salariés, au sein de chaque office, conformément aux termes de la loi.
Il n'en est rien, et l'ADLC exprime clairement le choix qu'elle a fait de tenir compte uniquement du nombre d'offices, indépendamment du nombre de notaires pour indiquer que le nombre d'offices n'a progressé que de 1,42%, de 2005 à 2015, tout en omettant de préciser que le nombre de notaires a augmenté de 18,1%, sur la même période.
L'ADLC fait également le choix de ne pas tenir compte des notaires salariés pour évaluer l'offre de service notarial, alors que le décret, fort logiquement, précise qu'il faut tenir compte des notaires "titulaires, associés et salariés".
Comment donc prêter crédit à un avis qui ne respecte pas le cadre qui lui a été assigné, alors même que le gouvernement a décidé de doubler le nombre de notaires salariés possibles par notaire titulaire?
Une partie de l’explication des choix de l’ADLC figure dans l’annexe 1 à l’avis, intitulée « Synthèse de la consultation publique relative aux notaires », puisqu’il y est mentionné que les contributions « proposent majoritairement de raisonner en termes de nombre d’offices afin de stimuler la concurrence ». Ainsi, l’objectif de l'ADLC n’est pas de faire en sorte que l’offre réponde à la demande, mais plutôt que la suroffre (Larousse: offre dépassant les capacités de la demande) stimule la concurrence, même si cela entrainera inévitablement la faillitte d'offices existants ou créés.
L'ADLC, le Darwin du monde économique, n'y voit qu'un mode de sélection des meilleurs, les meilleurs étant ici définis comme étant les plus rentables économiquement, indépendamment de la qualité de services et du maintien d'un service public de proximité.
Enfin, pour déterminer l' "Etat des lieux de l'offre et de l'implantation notariales", l'ADLC note d'abord " Une distorsion entre stock de diplômés et capacité d'accueil des offices très partiellement résolue par la montée en charge du notariat salarié" pour retenir que "le nombre de diplômés notaires est très supérieur à la capacité d'absorption de ces offices."(n° 121).
Ainsi, pour l'ADLC, Il suffit qu’existe un "stock" de diplômés pour estimer que l'offre est insuffisante, indépendamment des besoins réels de la population. Des esprits plus logiques auraient pu en déduire que le nombre de diplômés est bien supérieur aux besoins effectifs. A suivre la logique de l’ADLC, la demande des français en ophtalmologistes est largement pourvue, puisque peu de jeunes suivent cette voie.
Pour juger de la demande réelle en besoins de services notariaux, on aurait pu imaginer que l'ADLC contacte des autorités administratives de proximité, pouvant juger de l'adéquation ou de l'inadéquation entre l'offre et la demande, ces autorités pouvant être les Préfets, les Procureurs de la République, les Chefs de services fonciers, les Maires… Evidemment, cela aurait nécessité un travail de terrain, conforme à l'esprit de la Loi et du décret, mais surtout que l'ADLC admette qu'elle ne détient pas la connaissance universelle.
Quant à la dimension de la zone pertinente "pour mener une analyse économique locale de l'offre et de la demande de services notariaux" (n° 65) ,l'ADLC rappelle que "le Conseil d'Etat a notamment considéré que le marché géographique pertinent des prestations notariales était de dimension locale, plus large que la commune mais moins large que le ressort de la cour d'appel" (n° 82).
Après avoir écarté les bassins de vie, l'ADLC retient les bassins d'emplois définies par l'INSEE comme étant "un espace géographique à l'intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent, et dans lequel les établissements peuvent trouver l'essentiel de la main d'œuvres nécessaire pour occuper les emplois offerts"(n° 102).
L’ADLC fait ainsi fi de l’avis majoritaire des contributions, qui fixait le zonage à l’échelon des communes ou de groupements de communes, prouvant qu’elle y puise des arguments quand cela lui permet de justifier ses choix, mais qu’elle en écarte les conclusions au cas contraire.
Elle retient donc le bassin d’emploi, et l’on se retrouve avec des zones d’une centaine de kilomètres de large, bien loin du rayon de 10 à 15 kilomètres de provenance de 80% de la clientèle des offices, d’après 79% des contributeurs.
Et déconnectée de la réalité, l’ADLC n’hésite pas à proposer 6 libres installations dans une zone comprenant déjà 4 offices en difficultés.
L'ADLC relève également que "la suppression d'offices dont le chiffre d'affaires était trop faible n'a jamais été compensé par la création d'offices dans les secteurs de forte demande, pour lesquels l'agrandissement des offices existants a été privilégié." Or, ainsi qu'il a été dit, ce qui importe pour faire correspondre l'offre à la demande est d'augmenter le nombre de notaires, indépendamment du nombre d'offices.
En privilégiant l'augmentation du nombre de notaires par offices, la profession n'a fait que faire en sorte que les nouveaux notaires soient installés de façon pérenne, et non pas dans des offices individuels qui ne n'auraient pas été viables, à défaut de mutualisation des moyens de production.
On le constate, l’ADLC n’a pas hésité à s’affranchir du cadre qui lui avait été donné pour rendre son avis, invoquant ou oubliant les contributions selon son intérêt.
Et contrairement à l’objectif de la loi, à savoir faire correspondre l’offre à la demande, elle n’a pu s’empêcher de vouloir marquer son territoire, en abordant la question qui lui était posée sous le seul prisme de la concurrence.
La suite des opérations est simple: seuls les offices travaillant en réseaux et/ou facturant le conseil qui était jusqu'à présent gratuit pourront perdurer. Les offices individuels, seuls véritables éléments assurant un réel maillage territorial, étant amenés à disparaitre.
Ils seront à terme remplacés par des"points de vente de services notariaux" dépendant de réseaux régionaux ou nationaux, sans aucune personnalisation du service rendu. Un peu sur le modèle des laboratoires d'analyses médicales. La boucle est bouclée.