La réforme de la procédure de divorce par consentement mutuel, qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain, est présentée comme une mesure de simplification du divorce.
Si tel semble être le cas, c'est au prix d'un renoncement de l'Etat à ses prérogatives régaliennes, puisque la convention établie sous forme d'acte sous seing privé contresigné par avocats n'est soumise au notaire qu'à seule fin de lui conférer date certaine et force exécutoire, sans que ce dernier ne puisse s'adonner à un contrôle au fond de cette convention.
Cela serait admissible si la force exécutoire se résumait à l'enregistrement officiel d'une convention. Mais la force exécutoire a une toute autre dimension qui semble avoir échappé au concepteur de cette nouvelle procédure.
La force exécutoire est en effet la possibilité, pour le détenteur d'un titre exécutoire, de requérir la force publique pour faire exécuter la convention.
C'est donc la possibilité d'avoir recours au bras armé de l'Etat pour faire respecter une obligation, cette possibilité étant matérialisée par la formule exécutoire apposée sur les actes :
" La République Française mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit acte à exécution,
Aux procureurs généraux et aux procureurs de la République auprès des tribunaux de grande instance d'y tenir la main,
A tous commandants et officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu'ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, la présente copie exécutoire, … a été certifiée conforme à l'original par le notaire soussigné, scellée, signée par lui et délivrée à…".
La force exécutoire peut être conférée par le notaire car celui-ci,en sa qualité d'officier public, est chargé au nom de l'Etat de s'assurer que le consentement a été donné de manière éclairée et que la convention n'est pas contraire à l'ordre public et aux bonnes moeurs. Les constatations du notaire sont tenues pour vraies parce-qu'il a reçu de l'autorité publique la mission de préconstituer la preuve des actes juridiques.
Les notaires peuvent conférer force exécutoire à un acte, parce qu'ils sont eux-mêmes délégataires d'une parcelle de la puissance publique, qu'ils sont nommés par le Garde des Sceaux , qui peut les révoquer, et qu'ils sont soumis à son contrôle et sa tutelle.
Les contraintes auxquelles ils sont soumis et les garanties qu'ils doivent à l'Etat et à leurs clients sont les conditions sine qua non sur lesquelles repose leur pouvoir de conférer la force exécutoire aux actes qu'ils reçoivent. Cela suppose qu'ils puissent s'assurer que les actes auxquelles ils confèrent la force exécutoire ne puissent être contraires à la loi, et que les parties en aient saisis toutes les conséquences, tant civiles que fiscales.
Dans les conditions posées par la réforme, le ministère du notaire sera limité à conférer force exécutoire et date certaine à un acte sur lequel il n'exercera aucun contrôle,celui-ci étant effectué par les avocats qui, rappelons-le, sont totalement indépendants de l'autorité publique compte-tenu de leur fonction.
La nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel est donc en totale opposition avec les principes qui fondent la génése de la force exécutoire.
Mais au titre des obligations auxquelles sont soumis les notaires, figure l'obligation d'instrumenter, selon laquelle les notaires ne peuvent refuser de recevoir un acte dès lors qu'ils en sont requis.
La seule exception à cette obligation résulte de l'article 3.2.3 du règlement national selon lequel le notaire doit refuser de prêter son ministère aux personnes qui ne lui paraissent pas jouir de leur libre arbitre, ou à l'élaboration des conventions contraires à la loi, frauduleuses ou qu'il sait inefficaces ou inutiles.
Or, dans le cadre de la nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel, comment le notaire pourra-t-il vérifier que l'acte déposé au rang de ses minutes, et auquel il confère la force exécutoire, n'est pas contraire aux dispositions légales, et sauvegarde les intérêts de chacun des époux ?
Dans l'esprit du législateur, ce contrôle est censé être effectué par les avocats.
Deux observations à ce sujet: Tout d'abord, et c'est là la principale difficulté, il y a alors rupture dans la "chaîne de production" de la force exécutoire,l'autorité conférant la force exécutoire n'ayant pu s'assurer de la conformité de l'acte avec l'odre public et le respect de l'autonomie de la volonté. Ensuite, et sans vouloir créer de polémique avec les membres de cette honorable profession, il est possible que l'un des avocats soit plus convaincant que l'autre, ou qu'ils omettent un chef de récompense ou de créance entre époux, ou que l'un des époux soit sous la coupe de l'autre....
Ainsi, en conférant la force exécutoire à une convention de divorce sans contrôle au fond, le notaire risque de faire exécuter,au besoin par recours à la force publique, une obligation qui pourrait être infondée, ou disproportionnée.
Cette nouvelle procédure de divorce place donc le notaire dans un dilemme dont il ne pourra sortir qu'en choisissant de donner la prévalence entre d'une part la loi dont est issue cette réforme, et d'autre part la sauvegarde de la notion de puissance publique.
D'un côté, il s'agit d'appliquer une loi qui prévoit de conférer la force exécutoire à une convention sans avoir pu en vérifier le contenu, cette vérification étant consubstantielle à la force exécutoire; de l'autre il s'agit de sauvegarder la notion de puissance publique qui suppose que, dans le fait de conférer la force exécutoire à une convention, la chaine de contrôle de respect de l'autonomie de la volonté et de l'ordre public ne soit pas rompue.
D'un côté, il s'agit de valider une loi d'opportunisme, prise pour des raisons économiques de réduction du coût de fonctionnement de la justice ; d'un autre côté, il s'agit de préserver la notion même de souveraineté du peuple français au nom duquel est conférée la force exécutoire.
Le Notariat ne doit pas oublier que lorsqu'il confère la force exécutoire à un acte, il le fait au nom du Peuple Français dont il est une émanation et qu'il ne peut donc trahir en acceptant d'en diluer le pouvoir sans contrôle effectif.
Dès lors qu'il ne pourra vérifier le contenu de la convention de divorce, tout notaire devra donc s'opposer au dépôt de cette convention au rang de ses minutes, au motif qu'il ne peut en qualité de délégataire de la puissance publique conférer la force exécutoire à un acte dont il ne peut garantir la validité au fond. A défaut, le pouvoir qu'il a reçu du Peuple Français risquerait d'être utilisé à tort.
Il s'agit ici en quelque sorte de protéger l'Etat contre ses propres errements, ce qui malheureusement ressemble à une mauvaise farce.