Hugues Poltier

Philosophie, politique – Enseignant-chercheur en philosophie à l'Université de Lausanne

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Billet de blog 12 mai 2025

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Gaza, propriété d'Israël

Hugues Poltier

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je partirai de cette citation d'un article du Monde du 9 ct de F. Jacqué https://www.lemonde.fr/international/article/2025/05/09/gaza-en-europe-l-indignation-monte-mais-la-division-demeure-face-a-israel_6604368_3210.html

"Avant la réunion, Kaja Kallas avait échangé avec Gideon Saar, le ministre des affaires étrangères israélien, pour lui rappeler que la situation à Gaza est « intenable » et que « l’aide humanitaire doit reprendre immédiatement et ne doit pas être politisée ». Elle a proposé à l’Etat hébreu que l’UE prenne le relais des ONG et des agences de l’ONU pour la distribution de l’aide humanitaire sur place, alors que le gouvernement israélien entend confier cette tâche à des sociétés de sécurité privées."

De cet extrait, je retiens en particulier ceci : " le gouvernement israélien entend confier cette tâche [la distribution de l'aide humanitaire] à des sociétés de sécurité privées"

La chose n'est pas claire, mais le contexte laisse entendre que cette formule reprend, en discours indirect libre, la réponse du ministre israélien à la représentante de l'UE. Je n'entre pas dans la discussion de savoir s'ils vont, oui ou non, faire ce qui est énoncé dans cette réponse; si ce n'est pas une nouvelle stratégie dilatoire pour retarder, encore et encore, l'entrée d'une aide quelconque à Gaza – cela alors que, rappelons, des centaines de camions chargés attendent depuis des semaines sinon des mois de délivrer leur aide aux Gazaouis et que ces derniers et dernières commencent à mourir de famine et de manques de soins de plus en plus nombreux.

Ce qui m'interpelle dans cette réponse (reformulée, certes) d'Israël est qu'elle énonce comme une évidence, comme un allant de soi la souveraineté illimitée d'Israël sur Gaza. En d'autres termes l'affirmation implicite qu'elle contient est qc comme ça (par commodité, je recours à du discours indirect libre) : Gaza, c'est Israël; c'est notre droit souverain de décider selon notre bon plaisir ce qui s'y fait ou ne s'y fait pas; voire, plus encore, nous disposons d'un droit total de disposition de sa population et nous seuls avons le droit de décider de son sort; cette dernière est, en quelque sorte, partie des biens meubles inhérents à notre droit souverain de disposer de Gaza dans son entièreté (pour l'instant, nous la détruisons de fond en comble: rien ne doit rester debout – cf. la vidéo accompagnant l'article en référence). Partant, personne n'est légitimé à s'ingérer dans cette affaire intérieure d'Israël qu'est le traitement de la population de Gaza; en maîtres et seigneurs de cette terre, nous confions à qui bon nous semble le soin de "la distribution de l'aide humanitaire sur place". Nul n'a un droit d'immixtion, i.e. d'ingérence dans les affaires intérieures d'Israël; prétendre nous imposer des acteurs obligés pour remplir cette mission revient à violer notre souveraineté. 

En sorte que la réponse de Gideon Saar revient à dire, à l'UE, à l'ONU : bas les pattes, vous n'avez rien à vous mêler de nos affaires intérieures, la population palestinienne de Gaza est un trouble dans notre espace intérieur et nous sommes seuls à décider de la manière de nous en occuper; et en tout cas, il n'est pas question d'accepter que vous UE, ONU ou toute autre organisation internationale prétendiez organiser et mettre en oeuvre une aide à Gaza dont nous ne voulons pas.

Cette population est donc, pour Israël, une propriété dont il entend disposer selon son bon plaisir. Car s'il confie – et lui seul – à des entreprises privées cette mission, il s'ensuit que ces contractants obéiront exclusivement au pouvoir israélien; et que si celui-ci ordonne de laisser crever systématiquement une certaine fraction de la population, de ne pas apporter de soins aux malades, aux mutilés, etc., ces contractants, fidèles à l'esprit trumpien du "deal", se tiendront à ce pour quoi ils seront payés par le donneur d'ordres, savoir Israël. Les contractants se borneront à faire ce qui leur est demandé contractuellement, en quoi consistera, précisément, "leur job".

Il s'agit, pour Israël, essentiellement de cela : empêcher toute partie tierce et autonome (ou répondant devant un pouvoir tiers) de se mêler de la disposition souveraine d'Israël sur Gaza, y compris les humains qui y survivent encore.

Je m'arrête ici. Je voulais juste faire ressortir cet implicite de cette réponse de G. Saar à K. Kallas.

L'inacceptable, de la part de Mme Kallas, mais pas que, c'est de s'incliner devant tout cet implicite que j'ai tenté de déplier dans ces quelques lignes. En s'inclinant de la sorte, la communauté internationale accorde un blanc-seing à Israël pour aller au bout du génocide.  Dans ce qui nous est rapporté de cette rencontre, pas un mot d'éventuelles sanctions à l'encontre d'Israël. Donc, toujours pas à l'ordre du jour...

Et pas de sanctions = blanc-seing à Israël d'aller au bout de ce qu'il a entrepris.  Complice? vous avez dit complice ?

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