Hugues Poltier

Philosophie, politique – Enseignant-chercheur en philosophie à l'Université de Lausanne

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Billet de blog 12 août 2025

Hugues Poltier

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Génocide, critique de la valeur et antisémitisme

Olivier Lek Lafferrière, membre d’UjFP-Tsedek, poste un billet sur Mediapart pointant le rôle du sionisme dans les événements en cours ; quelques jours plus tard, Clément Homs, sur Palim Psao, site de l’association Crise&Critique, poste un billet incendiaire contre le premier. La virulence et la méchanceté du second m’ont interloqué et effrayé. Ce texte tente d’éclairer cet « événement ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

UJFP-Tsedek occupe une place singulière dans la dispute autour du sionisme, d’Israël et de l’antisémitisme. Singulière parce que, en francophonie, elle est la seule organisation se revendiquant juive à prendre des positions ouvertement critiques vis-à-vis du sionisme en général et de la conduite de l’État d’Israël en particulier. Que ce positionnement ne soit pas du goût de toutes et tous n’a rien qui doive surprendre. Malgré tout, la tournure donnée à la récente prise de position contre un de ses membres, Olivier Lek Laferrière, suite à un récent billet de blog, ne manque pas de susciter mon étonnement, ma perplexité ; plus même, mon indignation. L’auteur de cette attaque, radicalement hostile et franchement bas du front, est Clément Homs, membre du courant francophone de la critique de la valeur, qui anime deux sites : Palim Psao et Crise&Critique[1].  La forme de cette attaque est particulièrement violente ; elle consiste en une stigmatisation délibérément dénigrante et ostracisante. La comparaison des deux billets est en elle-même éclairante : alors que celui de Laferrière présente une thèse sur le sens et la portée du sionisme, celui de Homs se présente comme une longue litanie égrenant les motifs devant rendre ignominieux ce courant aux yeux de tous les juifs de gauche, mais tout cela sans mener une quelconque confrontation sérieuse à son dit.

Ce qui est manifeste, lorsqu’on navigue d’un texte à l’autre, est que celui de Homs, alors même qu’il se présente comme une réplique à celui de Laferrière, n’entre absolument pas en discussion avec lui. Il l’explose, le recouvre sous des tombereaux d’insultes dénigrantes, lui fait la leçon sur les « évidences » qu’il devrait connaître et conclut en rejouant la fameuse figure du « self-hating Jew » qui rongerait l’A. En gros, comme en détail, il lui explique ce que c’est qu’être juif et s’indigne que, comme juif, il participe à nourrir l’antisémitisme de la haine qu’il se porte. Quant à entrer en discussion avec ce qui y est dit, pas question. Délégitimé ab ante, sa parole ne compte pas. L’insulte disqualifiante est tout au long la substance unique du texte de Homs.

De fait, le ton de l’attaque menée dans le texte fait comprendre une chose : pour Homs et ses acolytes – ils sont cités : RAAR, Golem, Pardo – UJFP et Tsedek ne sont pas des sujets d’énonciation légitimes, mais des traîtres, des ennemis. On ne discute pas avec les ennemis, on les abat. Et c’est ce dont il s’agit dans le texte de Homs : désigner ces courants à la vindicte pour signifier l’obligation pour tout mouvement « respectable » de les traiter en pestiféré ; les rendre infréquentables. Qui s’aventurerait à transgresser cette interdiction serait voué au même sort. En sorte que l’enjeu du texte se ramène à cela : signaler, marteler que ces gens-là sont in-fré-quen-tables, ne doivent à aucun prix être ni lus, ni discutés, ni accueillis par quiconque voudrait échapper à l’excommunication. Donc Homs ne lira pas le discours de Lafferrière : c’est que lire c’est accorder du crédit. Ce qui dès avant la connaissance de ce texte était exclu. Mais « on » veut tout de même réagir ; alors « on » écrit un tissu d’insultes incendiaires sans rapport au texte donné à lire. Cela donne la « réponse » de Homs à Lafferrière.

Venons-y tout de même brièvement. D’abord, que dit ce dernier en substance ? Rien que de très simple : « Le principal facteur d'identification entre Israël et les Juif·ves, c'est aujourd'hui le sionisme et ses soutiens, qui font passer la critique d'Israël pour de l'antisémitisme et valident l'accaparement de la judéité et du judaïsme par un État colonial génocidaire. » C’est une thèse, évidemment discutable.

Qu’est-ce qu’en fait Homs ? Il commence par tronquer la citation et s’arrête à « le sionisme » non sans en avoir enlevé le modalisateur temporel « aujourd’hui ». Autant dire qu’il ne lit pas, il éviscère. Et ensuite, non content de cette troncature, il fait dire à ce morceau arraché tout à fait autre chose que ce qu’il énonce. Il lui fait dire qu’il énoncerait l’équation « sionisme=antisémitisme » – inversion exacte du propos de l’A ! Dans l’exégèse comme n’importe quoi, il faut bien avouer qu’Homs atteint ici des sommets stratosphériques. Observons au passage que l’A suggère que l’issue au cul de sac relevé consiste précisément en le travail de sa déliaison …

Évidemment, Homs ne dit pas un mot du segment qu’il tronçonne ni du reste du texte : rien sur la thèse que le sionisme a pour corollaire l’identification de la critique d’Israël à de l’antisémitisme (son « raccourci » serait mis à mal ; de surcroît, cette thèse est celle même des Rensmann et Salzborn que C&C accueillent dans le recueil Le péril antisémite annoncé pour cette rentrée) ni, peut-être plus important encore, sur la portée de cette identification, savoir : l’opération de capture de la judéité et du judaïsme en tant que tels par cet État colonial et génocidaire.

La torsion infligée au propos de Lafferière et les omissions signalées constituent l’acte de « lecture » de Homs. Le reste de son texte ne concerne en rien le billet de Lafferière ; il est juste déferlement haineux sans frein de Homs et consorts – Homs ici est une meute, comprenant RAAR, Golem et Cie – contre tous ceux qui ne communient pas dans la traque obsessionnelle de « l’antisémitisme de gauche » – ce machin dont la raison d’être est de criminaliser la critique des puissances d’argent puisque c’est un trope antisémite ; ainsi, évidemment, que celle d’Israël.

*

Il y aurait encore beaucoup à dire, mais ce billet deviendrait trop long. Cependant, juste encore un mot : Homs publie son tissu d’insultes le 7 août… 2025. Or … pendant ce temps, « là-bas », le génocide bat son plein, chaque jour fait environ une centaine de morts : par balles, par famine, tirs de mortier, artillerie, bombes, absence de soins et j’en passe, sans même parler des véritables pogroms se déroulant simultanément, quotidiennement, en Cisjordanie. Sur le génocide et l’épuration ethnique, Homs fait silence. Pas un mot…

Pas un mot…

Or, c’est bien cela l’enjeu du billet de Lafferière, enjeu silencié par les biffures de Homs.

Ce silence, cet effacement, de la première à la dernière ligne, est plus parlant que tout le torrent de boue qu’il déverse sur UJFP et Tsedek tel un soldat de Tsahal en train de vider son chargeur sur des affamés en quête d’une misérable pitance.

Ignominie complice du génocide par silenciation. A l’image d’Israël tuant encore et à nouveau des journalistessix d’un coup ! – ces dernières 24 heures,

C&C, redouble ce silence – et cela saisi par sa furie de l’anti-antisémitisme.  Relevons encore, pour la fine bouche, que C&C remet ça avec la parution annoncée (pour juin de cette année, d’abord, maintenant reportée à octobre …) de  Le péril antisémite , recueil dans lequel figurera un texte des négationnistes déclarés du génocide en cours que sont Lars Rensmann[2] et Samuel Salzborn ; et par sa mitraille contre UJFP et Tsedek, Homs plastronne sa solidarité avec ces professionnels grassement rémunérés de l’anti-antisémitisme …

Pas un mot PAS UN MOT.  PAS PAS … PAS UN !

Et là, dégoût, écœurement, rage, colère à en étouffer, à chialer, à trépigner, à en perdre la boule.

Clément, tu t’en fous à ce point ! Ces vies ravagées, dévastées, mutilées, massacrées, ces enfants affamés, tu t’en bas les couilles à ce point ? Et toi de faire le beau en prenant de haut UJFP et Tsedek !? C’est ça, la critique de la valeur ? la haine tue des pauvres humains écrasés par l’armée la plus moderne au monde ? eux qui n’ont rien, rien à lui opposer … même plus l’information maintenant que les bientôt derniers journalistes palestiniens ont été balayés d’une simple bombe sur leur tente. La vulnérabilité des vies humaines. Et ne me remets pas du 7 octobre dans les gencives, parce que des 7 octobre, depuis le 7 octobre, Israël en a perpétré des milliers, des dizaines de milliers, jour après jour depuis bientôt 700 jours ; et qu’avant le 7 octobre, y’en avait déjà eu des centaines de 7 octobre qui avaient ravagé les Palestinien.nes. Ne serait-ce que Sabra et Chatila, de sinistre mémoire, préparé et ourdi de main de maître par le sinistre Sharon. Mais ça, tout le monde s’en fout à C&C et pas que : c’étaient quoi, 3'000, 5'000  misérables Palestinien.nes ? Alors, on va pas en faire un fromage, hein, Clément : on s’en tape, c’est ça ?

Pendant que tu règles son compte à UJFP-Tsedek pour le compte de Golem, RAAR et cie, à Gaza, depuis bientôt 700 jours, c’est bombardements continus, drones volant h24 au-dessus des têtes avec leur bruit obsédant, qui tirent … ou pas, snipers embusqués qui tuent les enfants à la tête et dans le cœur, dans les parties génitales, etc., etc. sans compter la destruction industrielle méthodique de tout, sans exception…, hôpitaux compris … voire hôpitaux prioritairement.

Pour Gaza, ce sera, quoi 100, 200'000 morts, ½ million, plus ? Sans doute ne le saura-t-on jamais : comme d’hab’ Israël enquêtera sur ses propres crimes ; en attendre qc s’approchant de la vérité relèvera de la naïveté diplomatique obligée … On a vu tout au long de ces vingt mois de massacre la fiabilité des enquêtes menées par Israël sur ses propres « incidents » ; comme pour Shireen… Bref, on fera comme pour Sabra et Chatila, on fermera le dossier avant de l’ouvrir puisque le principal « suspect » est l’innocent par essence car victime éternelle, savoir « l’État du peuple juif » (cela est une citation de la loi fondamentale adoptée par la Knesset en 2018). Comme le montrent à l’envi les incidents qui émaillent les déplacements des supporters israéliens, avoir cette identité équivaut de fait à un droit imprescriptible à l’impunité, en Palestine comme à l’étranger. Si un supporter israélien en déplacement t’agresse, t’as bien des chances de finir en taule pour agression antisémite.

Évidemment, tout ça ne compte pas, n’est rien à côté de la honte d’être un Juif critique du sionisme, un Juif « antisémite » du coup, n’est-ce pas ? Comme c’est beau, cet usage aisé et léger des étiquettes infamantes… donne un sacré sentiment de pouvoir, pas ?

Car tel est le prix de n’être pas antisémite, n’est-ce pas : assister sans mot dire et aux premières loges à un génocide depuis bientôt deux ans.

Traduisons le message de Homs dans ce billet : l’antisémitisme c’est grave, le génocide du peuple palestinien de Gaza, une broutille…

Telle est la hiérarchie des valeurs chez les « criticiens » de la valeur… vieille tradition, en effet, qui remonte à Postone et Kurz, les maîtres à penser du courant…

[1] Pour lever toute équivoque, l’auteur du présent billet précise avoir participé aux travaux de l’association Crise&Critique (C&C) ; et qu’il en a été excommunié en raison de ses positions sur le génocide mené en Israël contre les Palestinien.nes, positions qui se sont révélées incompatibles avec celles de la « direction » de C&C, dont C. Homs fait partie. D’aucuns s’empresseront de voir dans ce billet un règlement de compte. Nous croyons qu’il n’en est rien : nous réagissons juste à un billet que nous jugeons proprement ignoble … et qui, en raison de la loyauté à Israël par anti-antisémitisme dans laquelle C&C est entrée, était inévitable. Il n’en est pas moins proprement scandaleux. Le propos de ce billet est principalement de faire état de notre indignation et de ses raisons.

[2] De cet auteur, voir ce chef d’œuvre liberticide, Israelbezogener Antisemitismus

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