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On le comprend. Le couple Angot-Moix a de quoi donner de l’urticaire au mieux disposé. Vaut mieux ne pas laisser les gens s’épancher : l’insulte finirait par être difficile à avaler.
Après avoir, la semaine passée, lubrifié à la vaseline de rose le repris de justice ex-ministre de l’intérieur, officiant des basses œuvres de la Répoublique sous Sarkozy, tout cela au cours d’une délicate discussion de salon dont le repris de justice Guéant est ressorti requinqué tant les Angot-Moix lui ont passé la brosse à reluire, cette semaine, autre ambiance.
Alexis Corbière, de la France insoumise. C’est la figure renversée de Guéant, …si on en croit Angot : CG, il lui a fait peur d’abord, mais en vrai il est sympa, doux, caressant, sensible ; AC, il a l’air sympa, mais en fait le dur « c’est lui », qu’elle dit à Pagny, incrédule devant la dureté des procédés utilisés pour discréditer Corbière et FI.
Donc Angot c’est ça : vous pensiez que notre ex-ministre de l’intérieur à la réputation sulfureuse, en difficulté avec la justice est un type inquiétant ; et le député FI un type sympa, au casier vierge, attentif aux problèmes des gens, etc. Eh bien, la vérité, nous assure Angot, c’est que c’est l’exact contraire : rien d’inquiétant chez CG, il est doux, suave, de conversation civile ; alors que AC, lui c’est un dur caché, avec des vérités lourdes dissimulées qu’elle va nous révéler. Attention, là, ça va chier, elle va cracher un gros morceau, quelque chose de vraiment grave, quoi, on verra ce qu’on verra…
Dans son intervention avec Guéant, pas un mot sur les affaires : la mise sous espionnage des journalistes, le rôle de cheville ouvrière qu’il a joué dans le financement lybien de la campagne de 2007 et toutes les affaires ultérieures de financement occulte dont la Sarkozie a été un haut-lieu historique, les accusations de corruption active et passive, de trafic d’influence, longuement investiguées par Mediapart, tout ça, dans l’échange qu’Angot mène avec Guéant, n’existe simplement pas : elle suit le seul récit qu’en donne l’intéressé dans son livre Quelques vérités à vous dire, ne fait pas la première démarche pour vérifier sa version des faits. Elle avale tout. La question qui-se-pose (elle aime poser les questions-qui-se-posent : « Moi l’artiste, je vous pose les questions-qui-se-posent » assène-t-elle à AC) est : pourquoi ? Et à l’inverse, pourquoi cet acharnement contre Corbière ? Dont le casier est vierge ; pas une casserole dissimulée dans les doubles-fonds. Contre lui, rien. Et pourtant, c’est clairement l’impératif qui la guide tout au long de cet « entretien »: il faut l’enfoncer, faire ressortir son côté sombre. « Le dur, c’est lui », entendons : c’est pas Guéant, c’est pas Macron, etc. Il faut le salir, le discréditer, le disqualifier humainement, politiquement, discursivement. Pourquoi se délecter à « faire rosir de plaisir » l’ex « homme le plus puissant de France », selon le mot de Sarkozy ? Et pourquoi s’attacher à humilier Corbière sur le plateau la semaine suivante ? Et pourquoi ressortir, non pas une affaire, mais l’épisode de l’arrestation de Corbière, sous le soupçon d’hébergement d’un membre de l’ETA, cela il y a bientôt 20 ans ? Soupçons dont Corbière a été entièrement lavé dans les mois qui ont suivi … De ces accusations, il n’est rien resté. Rien. Question annexe : d’où lui est venue cette info ? Elle ne va pas nous faire croire qu’elle a été fouiller dans les archives de la presse d’alors… D’ailleurs, Corbière à l’époque était totalement inconnu : la presse en a-t-elle seulement parlé ? Conclusion : l’info lui a été livrée sur un plateau. Par qui ? Par une officine spécialisée dans la collecte et l’archivage de fichiers sur les « gauchistes ». Evoque irrésistiblement la sortie des révélations du passé lambertiste de Jospin. Signé DGSE. Donc cette officine donne, comme ça, des dossiers sur des accusations fautives de complicité avec l’ETA concernant Corbière. Elle lui livre une non-affaire dont elle fait une révélation : elle livre en pâture, à des millions de télespectateurs-citoyens, l’info que Corbière aurait été soupçonné de collusion avec l’ETA, soupçons dont il a été totalement blanchi. Pourquoi sortir une telle non-affaire ? sinon qu’on compte sur le buzz internet pour en assurer la circulation avec toutes les déformations qui vont s’ensuivre et nuire, inévitablement, à l’image de Corbière. Souvenons-nous le mot d’Angot : « le dur c’est lui ».
La volonté de nuire est le mobile. Quel autre sinon ?
Amener le téléspectateur à avaler ça. Pour qu’il prenne ses distances d’avec FI, le mouvement politique qui a été en pointe au cours de l’été parce que, s’il n’a pas été tout à fait seul dans la critique du gouvernement et de sa chambre d’enregistrement, il a clairement eu le leadership dans la conduite de cette critique ; et qu’il a connu, à la faveur de Youtube, une audience médiatique sans proportion à son poids politique. Angot a dit à plusieurs reprises : « il faut faire confiance au nouveau président ». Propos entendu dans bien des bouches et qu’elle reprend verbatim, sans la moindre touche personnelle. Où il faut entendre, aussi, qu’il n’y a rien de personnel dans sa posture. Dont les suites, cependant, coulent de source : agent déclarée du soutien de principe au nouveau président, elle se doit, dans ses apparitions publiques, d’attaquer tous ceux et celles qui refusent d’accorder cette confiance ; et au premier chef, les plus virulents d’entre eux : FI. Au plan de la conduite de l’entretien, cela veut dire le mener comme une opération de guerre : attaquer, définir intégralement le terrain de l’échange, refuser toutes les tentatives de discussion sur le contenu des politiques en jeu (plusieurs fois, AC demandera à ses inquisiteurs d’un soir « Vous trouvez normal que X, que Z » ; ces entames de discussion seront simplement ignorées, suivies d’une nouvelle agression sur un autre terrain), insinuer, amalgamer, criminaliser par association présumée (Amrani n’a pas renvoyé Dieudonné dans les cordes lorsqu’il a déclaré lui donner ses 3.8% de voix pour le 2nd tour des législatives : preuve flagrante de collusion de FI avec lui, donc avec l’antisémitisme, etc.). Tout est à l’avenant : faire feu de la moindre brindille pour jeter le soupçon sur FI et ses membres.
A la lumière de ce traitement spécial réservé à Corbière, le sens de l’entretien de salon avec Guéant sort sous un nouvel éclairage. Guéant, il est hors-jeu sans doute, mais peut-être pas tout à fait. Son rôle de ministre de l’intérieur lui a donné l’occasion de collecter des infos sur un très large éventail de personnalités. Par cela seul, il reste une menace. Mais plus décisif, UMP-LR, fondamentalement, c’est une formation politique qui a vocation à entrer pleinement dans la majorité présidentielle. La preuve, c’est qu’à part quelques coups de gueule de narcisses blessés, le discours politique LR a bien de la peine à se distinguer de celui du gouvernement ; et aussi que plusieurs ministres en sont … et qu’ils ne sont pas encore exclus de leur formation politique ! Donc Guéant est dans le bon camp. Donc l’accueillir avec un parterre fleuri. Eviter toute animosité sur des choses sérieuses le concernant. Pour la forme, lui chercher des poux sur des affaires de moindre importance, et en tout cas pas criminelles : le Fouquet. Sinon, Angot-Moix seraient soupçonnés d’officines de blanchiment. Ils en font un peu, mais rien de bien méchant. Les apparences sont sauves : on a fait les critiques, hein ?
Il faudrait aussi parler de Moix, qui n’a pas été en reste, mais ce papier deviendrait décidément trop long. Tout de même, de ce Narcisse de l’outrance, retenons cette saillie, emblématique de sa rhétorique de l’insulte précédée d’un mot d’apaisement. Il s’adresse ainsi à Corbière : « je respecte vos électeurs même s’ils menacent de mort à longueur de journée comme des lepénistes … ». Cette phrase, un condensé de sa manière de faire : jouer d’abord l’apaisement pour mieux assommer ensuite, amalgamer FI et FN, les associer dans le pousse-au-crime. Cela ramasse la stratégie adoptée par Moix contre FI : accusations gratuites en rafale et amalgames. Et, exactement comme Angot, refus systématique d’entrer dans la discussion du contenu des politiques Macron.
Aveu de faiblesse du camp Macron ? de ce que ces réformes sont indéfendables devant des millions de téléspectateurs, hors de l’entre-soi des élites ? Peut-être. Quoi qu'il en soit, pratiquement, la conséquence est d' y aller à fond dans la stratégie la plus facile : instiller le soupçon et la peur de FI. A force d’être dit, re-, rere-dit, sur tous les plateaux tv de France et de Navarre, ça va passer pour vrai. Et, sûrement, suffire à affaiblir FI.
Non pas défendre ce qu'on fait, mais insinuer le doute sur la fiabilité et la moralité de l'ennemi politique désigné.
Véritable objectif de toute cette affaire …
Un mot sur la prestation de Corbière, quand même. On doit concéder qu’il s’est laissé rouler dans la farine, en gros et en détail : il ne s’est pas défendu, sauf à la toute fin où il s’est un peu révolté à la énième insinuation d’amalgame faite par Angot. Il arrive sur le plateau manifestement honoré : dans l’introduction, il fait moult salamalèques aux A-M, exprimant son honneur d’être invité et le plaisir qu’il se fait à l’idée de leurs échanges, même s’il sait qu’ils ne partagent pas ses positions. C’est son 1er ONPC, il est tout émoustillé, comme une consécration, en somme. Il est dans un état euphorique, porté par la flatterie d’être là, devant des millions de spectateurs-visionneurs. Il s’imagine sans doute qu’on va lui poser des questions et le laisser raconter les choses qu’il veut faire passer. L’entretien commence. Il est manifestement déstabilisé par les questions d’Angot autour de la théâtralité. Il doit se demander où elle veut en venir. Mais bon, un peu à son corps défendant sans doute, il se prête au jeu, répond à ces questions qui, à ses yeux, sont hors-sujet : il veut parler « politique », du contenu des ordonnances, en mener une critique, parler du programme d’actions prévu pour faire reculer le gouvernement ; il s’impatiente, mais reste dans les clous des règles du jeu définies par ses procureurs : répondre aux questions qui lui sont posées ; en somme il fait le gentil garçon poli qui n’insulte pas ses hôtes parce qu’ils ne lui donnent pas de dessert. Ce n’est qu’à la toute fin qu’il commence à comprendre qu’il a été l’objet de diversion et d’un procès à charge destinés à le priver de l’espace politique qu’il escomptait en venant à ONPC et qu’il exprime sa révolte contre Angot. Ecœuré, il part sans dire au-revoir, ce que ne manque pas de relever, sourire en coin, Moix à Angot.
D’un mot, on dira que Corbière a péché par flatterie et par naïveté. Mais sans doute pas seulement lui : on suppose quand même qu’il s’est préparé en équipe à cet événement. Et, au vu du déroulé de la soirée, il n’est pas douteux qu’avec son équipe ils n’ont pas, mais pas du tout anticipé la stratégie adoptée par ONPC. Au point que AC ne se révolte qu’alors que l’entretien touche à sa fin. Sa manière, maladroite à coup sûr, de quitter le plateau en filant sans saluer personne, témoigne de l’écœurement qu’il ressent à s’être ainsi fait rouler dans la farine. Malmené certes, il a clairement manqué du tonus pour renvoyer aux expéditeurs leurs questions et définir, lui, le terrain de l’échange. C’est sans doute l’enseignement majeur que Corbière va devoir retenir de cet épisode : être invité sur un plateau ne signifie pas que les hôtes vont lui dérouler le tapis rouge.
Autre enseignement : si ONPC a choisi d’inviter Corbière plutôt que Mélenchon, c’est précisément parce que, pour cette entreprise, Corbière était un poisson bien plus aisé à dévorer que le candidat FI à la présidentielle. S’il a été choisi, c’est aussi pour cela : il est moins vif que d’autres dans le jeu de questions-réponses, plus lent à saisir qu’ils sont en train de le mener en bateau, etc. Avec Coquerel ou Quatennens, ou encore Autain, il y a tout lieu de supposer qu’A&M n’auraient pas pu si facilement dérouler leur procès à charge avec insultes en rafale. Bref, le choix de Corbière a été clairement mûri et pesé par les metteurs en scène de ce jeu de massacre : parmi les députés FI connus, il est le moins « équipé » pour un tel affrontement ; en plus, il y avait cette pseudo-casserole du passé à sortir. Il a le profil idéal pour ce jeu de démolition.
Autre enseignement : le camp Macron ne reculera devant rien pour salir l’image de FI dans l’opinion publique. Et sa stratégie sera de systématiquement esquiver le débat sur le fond en déviant le puck sur des pseudo-affaires.
D’une certaine manière, cette pseudo-révélation est l’emblème de cet entretien : tout y était pseudo, de bout en bout. Recouvrir la vérité de l’écrasement des processus politiques et des lois républicaines sous les pseudo-révélations supposées prouver que « le dur, c’est lui ». Tel a été l’ordre de mission de Mme Angot. Force est de lui reconnaître qu’elle s’en est fort bien acquittée : AC n’y a vu que du feu ; et avec lui, sans doute, la majorité des spectateurs.
Et puis, il est impoli, ce Corbière : il part sans dire au revoir. Sûr, on ne peut pas lui faire confiance …