Le problème avec la reconnaissance par Bernie Sanders que « c'est un génocide »
Le sénateur américain reconnaît le génocide du peuple palestinien, mais finit par l’en rendre responsable.
Par Ahmad Ibsais
Palestinien américain de première génération et étudiant en droit.
21 septembre 2025 – Al Jazeera
Après près de deux ans d'atrocités horribles à Gaza, le sénateur Bernie Sanders a finalement reconnu le génocide comme tel. Dans une tribune publiée sur le site web du Sénat américain, il écrit : « L'intention est claire. La conclusion est inéluctable : Israël commet un génocide à Gaza. »
Comme d'autres déclarations récentes – celles des Nations unies et de l'Association internationale des chercheurs sur le génocide – celle-ci arrive trop tard. Mais, pire, elle s'inscrit dans un cadre très problématique. Sanders a choisi de commencer son éditorial en suggérant pour l’essentiel que « c'est le Hamas qui a commencé ». Ce qui revient non seulement à blâmer les victimes, mais encore à effacer huit décennies de pillages, de spoliations et de nettoyage ethnique.
Une telle approche n’est pas seulement moralement indéfendable ; elle est juridiquement sans pertinence en ce qu’elle crée un dangereux précédent énonçant qu’un peuple occupé ou colonisé doit déposer les armes ou subir le même sort que Gaza. Elle chuchote à l’oreille des populations opprimées que leur survie ne dépend pas du droit international ou de l'humanité, mais de leur soumission totale à ceux qui cherchent à les effacer.
La Convention sur le génocide de 1948 définit le génocide comme « l'un des actes suivants commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Les cinq actes interdits couvrent tout le spectre de l'expérience palestinienne à Gaza, en Cisjordanie occupée et en Palestine historique : tuer des membres du groupe, causer des dommages physiques ou mentaux graves, créer délibérément des conditions calculées pour provoquer la destruction physique, imposer des mesures visant à empêcher les naissances et transférer de force une population.
Ce cadre juridique ne prévoit aucune exception, n'offre aucune réserve. Il n'y a aucune clause stipulant « à moins que vous ne pensiez que c'est l'autre partie qui a commencé ». Il n'y a aucun paragraphe sur un génocide proportionné. Il n'y a aucune sous-section expliquant quand le génocide serait justifiable ou compréhensible.
Sanders reconnaît le « droit d’Israël à se défendre », droit qu’en réalité il n’a pas dans ce cas. En vertu du droit international, un État ne peut simultanément exercer un contrôle sur un territoire et l'attaquer en prétendant qu'il est « étranger » et qu'il constitue une menace pour la sécurité nationale.
La Cour internationale de justice (CIJ) elle-même l'a confirmé dans son arrêt de 2004 sur le mur d'apartheid qu'Israël construisait en Cisjordanie occupée. La CIJ a estimé que l'article 51 de la Charte des Nations unies, qui autorise un État à exercer son droit de légitime défense, ne s'applique pas à Israël dans le cas d'une menace présumée de la part des Palestiniens, puisqu’il les occupe.
Israël exerce depuis 1967 un contrôle exclusif et absolu sur les frontières, l'espace aérien et les eaux territoriales de Gaza. Depuis des décennies, il contrôle ce qui entre et ce qui sort, qui vit et qui meurt. Il n'a pas « le droit de se défendre » contre un peuple qu'il occupe entièrement.
Ce que Sanders et d'autres refusent également de reconnaître, c'est que le droit international accorde aux Palestiniens le droit de résister à l'occupation. La résolution 37/43 de l'Assemblée générale des Nations unies a affirmé « la légitimité de la lutte pour l'indépendance, l'intégrité territoriale, l'unité nationale et la libération de la domination étrangère et de l'occupation étrangère par tous les moyens disponibles, y compris la lutte armée ».
Cela ne justifie pas pour autant de prendre pour cible des civils. La résistance palestinienne, comme toute résistance, doit se conformer au droit international et faire la distinction entre les combattants et les civils. Mais cela signifie que la résistance en soi n'est pas intrinsèquement illégitime et qu'elle ne peut être utilisée pour justifier un génocide en réponse.
Lorsque Sanders commence sa reconnaissance du génocide par « Mais le Hamas », il n’est pas juste en train de rejeter la faute sur les victimes. Il nie aux Palestiniens les droits que leur accorde le droit international et accorde à Israël des droits que le droit international leur refuse explicitement.
Ainsi, commencer le génocide à Gaza par « Mais le Hamas » comporte une menace génocidaire. Cela suggère que le droit d'un peuple à exister sans être génocidé est conditionné à son « comportement parfait », son pacifisme total, son acceptation de sa propre oppression. Cette logique justifierait rétroactivement tous les génocides coloniaux de l'histoire. Les peuples Herero et Nama ont résisté à la colonisation allemande en Namibie. Cela justifiait-il leur génocide ? Les Amérindiens ont combattu les colons européens blancs. Cela légitimait-il leur extermination massive ? Les Juifs de l'Europe occupée par les nazis ont pris les armes lors du soulèvement du ghetto de Varsovie et dans divers groupes de résistance. Cela justifiait-il les camps de concentration et les chambres à gaz ?
Enfin, en entamant la discussion par l’argument « Mais le Hamas », Sanders efface également plus d'un siècle d'histoire.
Le génocide actuel n'a pas commencé le 7 octobre 2023. Il représente la dernière et la plus extrême escalade d'un projet qui a débuté à la fin du XIXe siècle avec l'arrivée de colons sionistes déterminés à créer un État juif avec autant de Juifs et aussi peu de Palestiniens que possible. La Nakba de 1948 a vu les forces sionistes expulser 750 000 Palestiniens de leurs foyers, soit plus de 50 % de la population palestinienne indigène, détruisant plus de 500 villages et villes palestiniens et s'emparant de 78 % de la Palestine historique. Plus de 15 000 Palestiniens ont été tués entre 1947 et 1949.
Au cours des sept décennies qui ont suivi, les gouvernements israéliens n'ont jamais cessé d'élaborer des plans visant à procéder au nettoyage ethnique des Palestiniens restants et à réaliser la vision d'un Grand Israël s'étendant du Sinaï à l'Euphrate. Israël n'est pas soudainement devenu génocidaire le 7 octobre 2023 ; il s'agit d'un crime qui se préparait depuis longtemps.
Et pourtant, il y a encore des gens comme Sanders qui choisissent de blâmer les Palestiniens pour leur propre extermination.
Le génocide est appelé le « crime des crimes » pour une raison. Il représente la reconnaissance par l'humanité que certaines limites ne peuvent jamais être franchies, que certains actes ne peuvent jamais être justifiés, quel que soit le contexte ou la provocation. Dès lors que nous commençons à faire des exceptions, dès lors que nous disons « mais c'est eux qui ont commencé », nous acceptons que la vie d'un groupe vaut plus que celle d'un autre.
L'histoire nous jugera sur notre capacité à voir le génocide tel qu'il est, sans « mais ou si », sans exceptions, sans les mensonges confortables qui permettent aux puissants de dormir pendant que des enfants meurent de faim ou sont mis en pièces. En ne saisissant pas cette vérité fondamentale, nous ne trahissons pas seulement les Palestiniens. Nous trahissons tous les peuples occupés, colonisés et opprimés à qui l'on pourrait un jour dire que leur résistance justifie leur extermination.