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Billet de blog 8 avril 2020

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En défense du Pr Raoult et de la recherche – 2

Alors que de nombreux commentaires haineux en direction d'un de nos meilleurs scientifiques allaient bon train de la part de personnalités assez peu qualifiées, de nombreuses données étaient publiées par l'équipe marseillaise de l'IHU. De manière étonnante, les médias et les accusateurs n'ont pas jugé bon de discuter des chiffres un peu particuliers de l'épidémie à Marseille. Que révèlent-ils ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La posture adoptée par le Pr Raoult fut une mesure conservatoire et judicieuse : se refuser à toutes polémiques publiques d'ordre politique. Non pas qu'il n'y a rien à dire -certains de son équipe lâcheront quelques commentaires bien sentis- mais on ne peut pas être au four et au moulin, et mieux vaut préserver les bonnes relations avec les institutions et les politiques desquels on dépend toujours un peu quand on a des postes de haute responsabilité.

Cependant, malgré lui, le Pr Raoult a publié des éléments scientifiques qui ont une portée politique. A commencer par les chiffres d'activité et d'épidémiologie de l'IHU de Marseille et de la ville.

Que disent avant tout les chiffres marseillais ?

Avant de parler de la mortalité, sujet à prendre avec des pincettes tant les biais sont possibles, on peut mettre en avant un chiffre étonnant : environ 58 000 tests ont été réalisés sur l'ensemble de l'APHM, comprenant 21 000 marseillais ; sur cette dernière population, 3500 étaient testés positifs au SARS cov 2. Si l’on prend la totalité des dépistés à l’APHM/IHU, on a les ordres de grandeurs suivants : 5500 dépistés positifs, 34 décès. Avec l’administration du protocole de traitement, il est déclaré 7 décès pour 1962.

Taux de dépistage.

Non sans satisfaction, l’équipe de Marseille annonce que la population de Marseille comprend 2.5% de dépistés. A titre de comparaison, la Corée du sud a testé 290 000 personnes, permettant d’identifier les 8 000 porteurs, le tout, dans un pays de 50 millions d’habitants : soit 0.6% de la population.  Marseille est donc loin devant la Corée quant au taux de dépistage de la population.  Quant à l’Allemagne, elle teste entre 300 000 et 500 000 personnes de manière hebdomadaire.

Marseille est également loin devant… le reste de la France, dont le gouvernement n’a pas privilégié le dépistage, contrairement aux préconisations de l’OMS (et de l’équipe de Marseille au passage).

En effet, la France réalise 2500 tests par jour à la mi-mars, et 12 000 tests par jour à la fin mars.

Des tests en nombre ont été commandés.  Une société basée en Bretagne ainsi que l’Institut Pasteur prévoient un test sérologique bientôt disponible, mais le mal est fait et la politique du gouvernement en la matière battue en brèche.

« Raoult charlatan » : vraiment ?

En ne prenant en compte que  le critère du dépistage :  qui est la première préconisation de l’IHU de Marseille, basée sur son expertise et sur ce qui est classiquement admis en infectiologie, on s’aperçoit qu’une partie du problème vient de la pénurie de tests et de la solution moyenâgeuse du confinement.

Quand tout le monde expliquait qu’il fallait rester chez soi et utiliser les gestes barrières, l’équipe de Marseille a expliqué qu’il fallait avant tout dépister.

En effet, en utilisant une méthode ciblée par tests on permet à ceux qui sont porteurs sains d’avoir une attitude qui évite la contamination d’autres personnes. En ne distinguant pas les porteurs asymptomatiques des personnes saines, on aide à la propagation du virus : le porteur asymptomatique qui s’ignore, sous confinement, a toute les chances de contaminer  ses proches (famille, voisin ou collègues s’il travaille en présentiel).  Donc ne pas tester c’est prendre le risque d’un redémarrage de l’épidémie en cas de dé-confinement total ou partiel.

On ne connait pas la nature des échanges entre l’équipe de l’IHU et le ministre, mais on sait dater la prise de position publique du Pr Raoult au sujet du confinement : le 16 mars. Soit un jour avant la date effective du confinement en France.

Une corrélation entre le dépistage et la mortalité ? Les chiffres dans le monde

Si l’on dresse un bilan des pays « qui s’en sortent le mieux », on tombe sur ceux qui ont mis en place un dépistage de masse. La frontière entre les deux stratégies n’est pas corrélée à leur puissance économique, au contraire, mais plutôt à leur capacité à organiser leur état pour résoudre un problème de santé :

-La Chine, dont la France dépend maintenant pour lutter contre le virus, a dépisté et tracé le virus en mettant utilisant  des moyens énormes ; ce sont eux qui ont pris le virus de plein fouet et ont su juguler celui-ci en peu de temps ; l’épicentre Wuhan n’est plus confiné mais le port du masque est généralisé ; taux de létalité : 2.4/million d’habitants;

- l’Allemagne dépiste largement. Le confinement est souple : pas d’attestation nécessaire, sport sans restriction. Taux de létalité : 17.2/million d’habitants

 -La Corée du Sud a dépisté énormément, sur la base des expériences de 2003 et 2015, et a réussi à stabiliser l’épidémie. Taux de létalité : 3.6/million d’habitants

-le Viet Nam n’a pas de mort déclarés à ce stade, et a largement dépisté. Un confinement plus strict a été mis en place depuis le 1er avril pour limiter la propagation du virus ; taux de létalité : 0/million d’habitants

A l’inverse, les pays n’ayant que peu dépisté ont les taux de létalité les plus forts :

-L’Espagne : après avoir assez peu réagi dans un premier temps  l’Espagne a acheté 650 000 tests à une entreprise qui n’avait pas d’agrément pour cela, qui se sont avérés défectueux. Taux de létalité : 256.5/million d’habitants.

-l’Italie, qui possède un bon niveau de système de soin, à dépisté de manière très restreinte, à l’image de la France c’est-à-dire seulement les personnes symptomatiques. Taux de létalité : 254/million d’habitants.

- la France ; taux de létalité : 116/million d’habitants.

-la Belgique : du fait d’un manque de réactifs, la mise en route de test massif a pris du retard, et les chiffres annoncés par le gouvernement sont fluctuants. Ce n’est que tardivement que l’objectif de 10 000 tests quotidiens fut annoncé. Taux de létalité : 110/million d’habitants.

Fort logiquement : le dépistage s’est avéré le meilleur des médicaments, sans effet secondaire.

C’est-à-dire : exactement ce que préconisait l’équipe de Marseille, encore une fois.

Bien entendu, corrélation et causalité sont différents ; mais on peut légitimement penser que c’est bien le dépistage qui endigue la propagation, et d’ailleurs tous les pays cherchent à s’y mettre. Mais en ayant laminé les hôpitaux et les labos, et en refusant d’écouter l’une des meilleures équipes dans le domaine, on peut dire que le gouvernement a remporté la palme.

Les chiffres de l’IHU de Marseille montrent-ils résultat du protocole à base de Chloroquine ?

Les chiffres donnés par l’équipe de Marseille montrent un taux de dépistage parmi le meilleur au monde, et un taux de létalité assez faible, mais peut-être pas aussi faible que d’autres pays qui eux aussi organisent le dépistage.

Doit-on en conclure que  seul dépistage permet de sauver des vies ? Pas si vite. Car le traitement préconisé, contrairement à ce que des persifleurs insinuent, n’est pas « miraculeux », mais écourte la durée de portage dans les premiers jours de l’infection. De ce fait, les données fournies par l’IHU de Marseille devraient avant tout refléter l’impact du dépistage, et c’est globalement le cas.

Si l’on veut comparer les Bouches du Rhône et les autres départements, on peut additionner le nombre de patients hospitalisés et ceux qui sont retournés à leur domicile, compter les déces  même si tous les décès ne sont pas passés par l’IHU ;

On trouve pour ce département un ratio et à cette date de 96/(1095+748)=0.052, soit 5.2%.

C’est donc un taux très faible face à d’autres départements.

A titre de comparaison, l’Hérault a un ratio de 14.2%, Paris de 13.5%, et les Vosges de 28,1%. Mais d’autres taux faibles existent : la haute Garonne a un ratio de 3.9% .

Ces chiffres n’ont pas de signification absolue : les départements les plus touchés sont ceux qui constituaient les clusters au départ, et qui n’ont pas bénéficié de l’effet de ralentissement de l’épidémie du fait du confinement. Donc comparer des départements n’est pas déterminant pour tirer des conclusions concernant un possible effet du traitement au sein de l’IHU.

Par ailleurs, regarder la mortalité des patients traités à la chloroquine/azithromycine  par rapport aux nombres de dépistés n’a pas non plus beaucoup d’intérêt, sauf à les comparer à d’autres pays qui ont dépisté en masse : en effet, l’IHU ayant décidé d’élargir le nombre de tests -à juste titre, le nombre d’infectés officiels est donc beaucoup plus grand. On trouve un ratio décès/positif de 0.35%. On peut le comparer à la seule cohorte complète disponible : les passagers du Diamond Princess, dont le taux de létalité fut de 1% (7 décès pour 712 contaminés). Cependant, ce taux est à prendre avec précautions : la population de la cohorte est plus âgée que la moyenne, avec plus de comorbidités.

Une étude chinoise a estimé quant à elle, la létalité à 1,4% sur une cohorte de 1099 positif (Guan. 2020, New England Journal of Medicine).

Enfin on peut également prendre les chiffres globaux : 70 590 décès pour 1 289 380 positifs déclarés et 270 372 guéris, soit 0.93%, mais beaucoup de pays ne dépistant pas ou peu… difficile de conclure, mais cela reste à chaque fois bien plus haut que pour les patients traités à la chloroquine.

Encore une fois, les chiffres plaident en faveur de l’équipe de Marseille, mais le haut degré d’instabilité sur les chiffres ne permettent pas à cette étape de corréler sérieusement le protocole avec un faible taux de létalité.

La seule donnée qui permettrait de vérifier une corrélation clinique entre le traitement donné et une amélioration des patients serait la durée moyenne d’hospitalisation des patients. En effet, l’élimination du virus permettant une sortie anticipée, il serait intéressant de regarder ces chiffres. Le temps moyen de guérison est estimé à l’heure actuelle à 24.7 jours.

D’autres éléments plaident largement en faveur d’une utilisation du protocole du Pr Raoult (en plus du dépistage qui s’impose maintenant mais en retard). Ce dernier a déjà démontré dans les faits la justesse de ses remarques, mais pour le moment, la comparaison des taux de létalité n’est que faiblement pertinente, tout en mettant le faible taux de létalité dans la seconde ville de France parmi des arguments d’indice  mais à faible niveau de preuve.

Conclusion : écouter ceux qui connaissent leur domaine plutôt que ceux qui sont dans les papiers du pouvoir

Morale à cette étape : ceux qui ont impulsé la politique de confinement sans dépistage, et avec eux, ceux qui ont étouffé les conseils pourtant appuyés sur l’expertise, portent une responsabilité dans le fort taux de létalité en France.

Ceci devrait inciter à la prudence avant de qualifier un scientifique de renom de « charlatan » ou lui demander, comme l’a fait Cohn-Bendit avec la vulgarité et l’ignorance qui le caractérise, « qu’il ferme sa gueule ».

Surtout que celui dont on parle, indépendamment du niveau de preuve sur la chloroquine, sauve des vies tous les jours dans son IHU pendant que d’autres font des commentaires sur les plateaux télés ou dans leur salon…

A suivre...

PS : pour éviter d'alourdir le billet, les références et liens sont réduits au minimum, mais toutes les informations sont disponibles sur demande.

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