Dans sa dernière vidéo diffusée, permettant au grand public de bénéficier d’éléments de compréhension et données statistiques, le Pr Raoult a fait une petite digression tout à fait intéressante sur la question des géants pharmaceutiques. De manière assez étonnante, peu de médias s’en sont fait l’écho. Sans doute la portée des remarques n’a-t-elle pas été saisie, ou bien tout le monde se regarde dans le blanc des yeux avant d’ouvrir la boite de Pandore.
Car il ne s’agit pas là de science, mais plutôt de politique.
Ses conclusions sèment le trouble : et si la promotion de certaines molécules et la campagne de dénigrement d’autres étaient le résultat de la pression de certains labos pour promouvoir des molécules nouvelles ? C’est l’hypothèse formulée par le Pr Raoult, sous forme interrogative.
Comment ne pas être surpris que brusquement, Macron déclare dans la presse par la petite porte que le Pr Raoult est un grand scientifique et que son protocole doit être testé ? En effet, les annonces sur la chloroquine et la polémique qui s'en ai suivie remontent à un mois et demi. Depuis, le CHU d’Angers et celui de Montpellier ont entrepris de lancer des études cliniques randomisées (et pour celle d’Angers, en double aveugle). Ainsi, E. Macron ne fait que valider une réalité. Or celui-ci a été « conseillé » par un comité d’experts, en lieu et place de toutes les instances régulières médicales.
Au lieu de la liberté de prescription, sous la responsabilité des médecins, un décret est venu au contraire limiter la prescription de chloroquine aux seuls cas graves, c’est-à-dire à un stade avancé, contrairement à la connaissance que nous avions : les cas en détresse respiratoire ne sont plus porteurs du virus ; ce denier a déjà provoqué les dégâts.
Ainsi, le gouvernement a imposé :
-que les tests ne soient réalisés qu’au compte-goutte, uniquement pour le diagnostic et seulement chez les personnes ayant des symptômes ;
-que la venue à l’hôpital doit être motivée par une détresse respiratoire (donc à un stade avancé) ;
-la limitation par décret de l’accès à la Chloroquine/Plaquenil.
Par ailleurs, aucune étude clinique n’a été impulsée par le gouvernement pour augmenter le niveau de preuve du seul traitement dont on peut raisonnablement penser qu’il est efficace et disponible ;
Autant le dire : sans être médecin, sans avoir la moindre compétence en quoi que ce soit, les « solutions » du gouvernement apparaissent comme une gestion de la pénurie (organisée), totalement indigne d’une « puissance mondiale », mais conséquence logique de la casse des services publics.
Vu sous cet angle, une question légitime est apparue : la campagne polémique autour des traitements est-elle neutre, ou reflète-t-elle des intérêts sonnants et trébuchants ?
A l’origine de l’intérêt pour deux molécules
Dans la publication de la revue nature du 4.02.2020 « Remdesivir and chloroquine effectively inhibit the recently emerged novel coronavirus (2019-nCoV) in vitro » de Wang, il est démontré in vitro (donc en dehors des organismes vivants, nécessairement plus complexes) que deux molécules pourraient probablement permettre d’empêcher le SARS cov 2 de faire des dégâts chez l’homme : le remdesivir et la chloroquine.
Cette publication est en accès libre ici : https://www.nature.com/articles/s41422-020-0282-0?fbclid=IwAR3c5iy9h65X1cnkrL6i6fJcWwi0ygN1LtI67SkcgREM4DyxxAcPauRuf5w
Ces deux molécules étaient donc des candidates assez intéressantes pour soigner. Mais les deux traitements ne sont pas identiques :
-la chloroquine a été largement prescrite dans le monde, ses effets sont connus, sa fabrication est répandue dans de nombreux de pays (Inde, Chine, France…). Surtout, son coût est très faible, sa fabrication simple et décentralisée.
-le remdesivir, initialement prévu pour traiter Ebola, est un médicament beaucoup plus coûteux, moins prescrit, moins connu. Il est la propriété d’une société américaine : Gilead Sciences.
A contre-courant des préconisations du « comité scientifique » et donc du gouvernement et des ARS, l’équipe de l’IHU de Marseille a dépisté massivement, et a traité la population. Ce qui permet à cette équipe d’avoir un large éventail de données… et de les rendre publiques ! Au passage, notons que la population de Marseille, en comparaison avec d'autres villes où le virus a progressé de manière semblable, a un taux de mortalité assez faible. Corrélation n'est pas causalité, mais ce fait devrait être versé au dossier et inciter à la modération des donneurs de youtubeuses leçons.
Gilead Sciences : un géant américain très influent
Gilead sciences est une très grosse entreprise américaine. Pour la taille de la société et de ses profits, une rapide recherche permet d’apercevoir les milliards qui sont engendrés chaque années. Plus intéressant, la courbe de la valeur de l’action depuis janvier 2020, que nous reproduisons ci-dessous :
Agrandissement : Illustration 1
Autre courbe d'intérêt est l’argent placé dans les activités de lobbying de Gilead Sciences, qui sont légales et bien documentées aux USA (source : Center for Responsive Politics - RCP). Le voici :
Agrandissement : Illustration 2
En France et dans plusieurs pas, on trouve également quelques chiffres concernant l’argent dépensé pour défendre les intérêts du groupe.
Questionnements sur l’essai de l’INSERM
En cette période, il est logique que la population s’intéresse aux développements des traitements, cherche à collecter des infos, écoute les spécialistes… Aussi, il était assez normal d’être surpris de la décision de l’INSERM de faire une étude clinique étonnante : Discovery. En effet, celle-ci ne devait au départ pas évaluer la chloroquine, seule ou associée.
L’étude est détaillée sur le site de référencement des études cliniques « clinicaltrials.gov » :
https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT04315948?term=NCT04315948&draw=2&rank=1
En revanche, deux traitements figurent quant à eux dans l’étude : le fameux remdesivir de Gilead Sciences, et l’association lopinavir-ritonavir (Kaletra), avec ou sans interferon alpha.
C’est là que les questions commencent à émerger :
-Le protocole Kaletra n’a pas démontré de différence significative par rapport à l’absence de traitement, dans une étude randomisée sur 199 patients, que l’on peut consulter ici (voir en particulier la figure 3) :
https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2001282
Pourquoi le tester dans ces conditions ? On ne trouve pour le moment aucune réponse.
Le remdesivir a fait l’objet d’une étude, qui a été publiée récemment et qui a la particularité de donner des chiffres qui ne peuvent être comparés à rien : il n’y a pas de critères de mesure qui peut donner une indication quant à une possible amélioration. Les cas sévères étaient inclus, mais la létalité de 13% indiquée est-elle un meilleur taux que pour une autre cohorte comparable non traitée ?
En revanche il est rapporté 60% d’effets secondaires. On n’en sait rien, et de cela, personne n’a parlé… et c’est pourtant ce qui va être administré massivement et avec enthousiasme dans l’essai Discovery… L’essai en question est disponible intégralement ici : https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2007016 ; voir la table 2 en particulier…
Pourquoi ce refus d’inclure la chloroquine initialement, et pourquoi ne l’avoir ajouté que pour les patients au stade avancé, stade pour lequel l’état de la science indique une inefficacité d’un quelconque traitement antiviral actuellement ?
A ces questions, s’en rajoute une autre : pourquoi les tenants de la campagne de dénigrement de l’équipe de Marseille n’ont pas dit un seul mot à propos de l’inefficacité du Kaletra, et ne disent rien sur les effets secondaires nombreux du remdesivir ? Pourtant prolixe quand il s’agissait d’exiger, dans leur fauteuil, des normes de preuve à la hauteur de leur personne, ils n’ont pas été aussi scrupuleux quand il s’est agi de regarder l’efficacité des molécules promues par l’équipe de l’INSERM.
Ce qui amène d’ailleurs à se poser la question : y aurait-il des liens entre certains chercheurs et l’industrie ? La réponse n’est pas compliquée à obtenir.
Lacombe and Co : des conflits d’intérêts ?
Une critique aurait pu être faite très vite à l’équipe de Marseille : le conflit d’intérêts avec Sanofi. De manière étonnante, cela n’a pas été évoquée, ou très peu. Ce n’était pas les persiflages malveillants qui manquaient, mais soulever cette question en aurait très certainement entrainée une autre : et les autres ? En clair : jeter la suspicion était assez risqué pour ceux qui auraient pu avoir quelque chose à se reprocher.
Car une recherche sommaire a permis à de nombreux observateurs de constater que les plus militants contre l’équipe de Marseille étaient aussi les plus liés financièrement à certains groupes pharmaceutiques.
Les déclarations de possibles conflits d’intérêts sont obligatoires et publiques depuis la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
Quand on parle de conflit d’intérêts, ceux-ci sont potentiels, il faut cependant déclarer l’argent touché dans le cadre d’une collaboration avec le privé quand on exerce des missions dans le cadre ou pour le compte d’un service public. Cette déclaration (DPI pour déclaration publique d’intérêt) est mise en ligne.
On trouve ainsi parmi les procureurs de l’IHU de Marseille plusieurs personnes ; citons en quelques unes...
Bruno Lina, proche de Bachelot, maintenant conseiller de Macron et l’un des artisans de l’étude Discovery avait déjà été épinglé pour des rapports étonnants entre le pouvoir et les laboratoires pharmaceutiques, à travers un groupe d’expert, association loi de 1901, financé à 100% par les labos ! Il s’est largement répandu dans la presse sur « l’absence de preuve » de la chloroquine, alors que son essai excluait cette molécule… et sans donner le background du Kaltera bien entendu !
Karine Lacombe a quant à elle été la plus loin dans la mise en garde contre la chloroquine, à laquelle elle accolé les termes de « traitement miracle ». Ceci, sur quasiment tous les plateaux télés possibles. Elle s’est dite « écœurée » des travaux de Marseille. Si elle prend ses distances avec l’essai Discovery, elle a cependant des liens importants avec certains labos… dont Gilead ! Ses comptes twitter et facebook ont été suspendus, et sa page wikipedia a été effacée car « pas assez sourcée », mais personne n’a jugée bon de la recréer.
Yazdan Yazdanpanah est lui aussi médiatiquement engagé contre les « effets secondaires » de la chloroquine. Effets secondaires « graves » d’ailleurs… « si on ne respecte pas la posologie ». Ce qui est vrai pour tous les médicaments et pour l’eau potable. Ses rapports avec Gilead sont anciens, on en trouve trace dans une publication de 2011 (voir la thèse de Karen Champenois). Il est au centre de Discovery. Il martèle que l’on a « aucune preuve » concernant la chloroquine, par contre, il n’est pas gêné concernant le Kaletra…
Les DPI (parfois vieilles de quelques années) sont disponibles à ces adresses :
https://cns.sante.fr/wp-content/uploads/2017/07/dpi_lacombe-karine_2016.pdf
https://cns.sante.fr/wp-content/uploads/2016/10/DPI2016_YAZDANPANAH_Yazdan.pdf
https://www.santepubliquefrance.fr/var/site/storage/pdf_migrate/SPF_BRUNO_LINA_15sept2016.pdf
On pourrait continuer la liste…
L’hypothèse d’une pression pour casser un traitement prometteur est sérieuse
Bien évidemment, plusieurs éléments mis bout à bout ne constituent une preuve formelle. Mais elles sont un faisceau d’indices qui conduisent nécessairement à se poser la question du rôle des uns et des autres. Tout cela devrait faire l’objet d’une investigation, et ne peut que nourrir une méfiance légitime à l'égard de ceux qui, en haut (les fameux premiers de cordées), ont organisé la destruction de notre système de soin, en semble ne pas être insensible aux lobbys en tout genre, pharmaceutiques compris.
Enfin, ceux qui invoqueraient l’invraisemblance d’une spéculation sur la santé de millions de gens par des entreprises milliardaires, devraient jeter un œil sur les scandales successifs de l’industrie du tabac, suffisamment bien documentés pour ne pas avoir à fournir de lien.
A suivre…