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Billet de blog 18 décembre 2024

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Séparés par le sable, unis par l’humain !

Le conflit du Sahara Occidental, qui dure depuis près de 50 ans, va au-delà des simples revendications territoriales, soulevant des questions sur les droits de l'homme, la gouvernance et les libertés. Le Maroc, renforçant son contrôle sur le territoire, a intensifié la répression pour écraser toute opposition.

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Le conflit du Sahara Occidental constitue l’un des plus anciens conflits territoriaux non résolus dans le monde. Ce litige, qui oppose le Maroc et le mouvement séparatiste du Front Polisario depuis près de cinq décennies, transcende les seules revendications territoriales pour toucher à des questions fondamentales de droits de l’homme, de gouvernance et de libertés. Dans ce contexte, le Maroc, tout en consolidant son contrôle sur le territoire, a intensifié les pratiques de répression visant à étouffer toute opposition, qu'elle provienne des Provinces du Sud ou autre région du territoire marocain

L'ancienne colonie espagnole, est devenu un enjeu majeur en 1975, lorsque l’Espagne s’est retirée après près d’un siècle de domination coloniale. Ce départ a laissé un vide juridique et politique exploité par le Maroc et le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, qui revendiquent respectivement l’intégration et l’autodétermination du territoire, historiquement un territoire marocain. En 1975, la Cour Internationale de Justice avait confirmé l’existence de ces liens historiques, et des liens d’allégeance entre les sultans du Maroc et les tribus sahraouies, avant la colonisation espagnole. 

Le conflit a dégénéré en une guerre ouverte jusqu'à la signature d'un cessez-le-feu en 1991, sous l'égide des Nations unies. Cette trêve a conduit à la création de la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara Occidental (MINURSO), chargée de superviser un référendum d'autodétermination. Cependant, ce scrutin n'a jamais eu lieu en raison de divergences persistantes entre les parties concernées. En 2004, le Maroc avait exprimé sa position finale concernant le plan de paix proposé par l'ONU, rejetant ainsi l'idée d'un référendum pouvant mener à l'indépendance du Sahara Occidental. Cette position marocaine a entraîné une impasse dans le processus de paix. Les divergences entre les parties ont conduit à une stagnation des efforts de la MINURSO, dont le mandat a été régulièrement prorogé sans avancées significatives vers une résolution définitive du conflit.  Ainsi, malgré les initiatives onusiennes, le processus de référendum est resté lettre morte, chaque camp campant sur ses positions, et le statut du Sahara Occidental demeure une question non résolue sur la scène internationale.

La question du « Sahara Marocain » occupe une place centrale dans le discours politique marocain, présenté comme une cause nationale sacrée. Cette rhétorique a permis à l’État de renforcer l’unité nationale autour de la question territoriale, mais également de marginaliser les voix critiques en les accusant de ‘‘trahison’’, de ‘‘complicité’’ avec l’ennemi ou de ‘‘séparatisme’’.

Dans son discours au peuple, à l’occasion du 69ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple en 2022, le roi Mohamed VI a adressé un message clair à ses partenaires étrangers : « le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit ». Ce message visait la France principalement.

En effet, après la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental, sous l'administration Trump en 2020, en contrepartie d’une reconnaissance marocaine de l’Etat hébreu en adhérant aux signataires des accords d’Abraham. Les alliés historiques du royaume devraient ainsi choisir clairement leur camp. La reconnaissance américaine a modifié l’équilibre diplomatique et intensifié les attentes marocaines. Le Maroc espérait un alignement explicite de l’Hexagone sur la position américaine, mais l’Élysée a choisi de maintenir une posture prudente. Tandis que l’Espagne a clairement soutenu l’initiative marocaine d’autonomie en mars 2022, la France a opté pour une prudence diplomatique, cherchant à équilibrer ses relations entre le Maroc et l’Algérie. Cette posture a cependant été perçue par Rabat comme un manque de soutien, exacerbant les tensions bilatérales.

Cependant, la relation s'est réchauffée récemment. La visite du Président Français Emanuel Macron a consolidé ce rapprochement avec la signature d'accords d'investissement d'une valeur dépassant les 10 milliards d'euros dans des secteurs clés comme les transports et l'énergie renouvelable, et un engagement diplomatique pour soutenir le Maroc à l'ONU. Ce changement de position de la France sur le Sahara Occidental constitue un tournant dans la diplomatie française, rompant avec la neutralité et l'équilibre traditionnel entre le Maroc et l'Algérie. Celle-ci, qui soutient le Front Polisario et défend le droit à l'autodétermination des Sahraouis, considère ce soutien français comme un affront, aggravant les tensions avec le Maroc. Cette situation est exacerbée par l'alignement croissant du Maroc avec Israël, l'Espagne et désormais la France, ce qui est perçu comme une tentative de Rabat d'isoler Alger dans la région. Le rapprochement avec Israël en particulier est vu par l'Algérie comme une menace à sa sécurité et ses intérêts géopolitiques, compte tenu de son opposition historique à l’Etat hébreu.

Depuis la normalisation de leurs relations diplomatiques à la fin de l’année 2020, le Maroc et Israël ont tissé un partenariat stratégique qui a rapidement pris une dimension militaire significative. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), Israël est devenu l’un des principaux fournisseurs d’armements pour le Maroc, avec 11 % des achats d’armements de ce dernier en 2023. En quelques années, Israël s’est hissé à la troisième place parmi les principaux fournisseurs d’armements du Maroc, derrière les États-Unis et la France. Cette évolution s’inscrit dans un contexte de relations internationales de plus en plus complexes, notamment avec l’Algérie. Ce mécontentement a été exacerbé par plusieurs événements, dont la déclaration du Maroc en faveur de l’autodétermination de la région algérienne de Kabylie, à majorité berbère, et l’utilisation présumée par le Maroc du logiciel espion israélien Pegasus pour recueillir des renseignements sur des responsables algériens. Le partenariat militaire entre le Maroc et Israël s’est intensifié à une époque où la situation au Sahara occidental demeure un point de friction majeur entre le Maroc et plusieurs acteurs internationaux. La normalisation avec Israël et les ventes d’armements qui en découlent ajoutent une dimension militaire à ce conflit diplomatique, augmentant ainsi les risques d’escalade. Selon l’International Crisis Group, la combinaison de ces facteurs – les combats au Sahara Occidental, l’expansion de la désinformation en ligne, la course aux armements et la montée au pouvoir du Président Américain Donald Trump – constitue une série de risques qui pourrait déstabiliser davantage la région.

L’Algérie continue d’investir massivement dans le soutien du Polisario, au détriment de sa population, et ses intérêts. Elle est perçue comme l'une des principales puissances militaires d'Afrique, avec des dépenses militaires parmi les plus élevées du continent. Le budget du Ministère Algérien de la Défense prévu pour l’année 2025 est l’équivalent du budget de l’Etat tunisien, soit 23 milliards d’euros environ. Le premier au Maghreb et en Afrique. En revanche, le Ministère n’est pas redevable devant le Parlement algérien, puisque les affaires qu’il traite sont considérées comme secrets d’Etat. Un budget en hausse de 10% par rapport à l’année budgétaire précédente, hors de discussion, et dont les responsables ne sont pas redevables, dans un pays qui se positionne à la 104e position sur 180 en termes d’indice de perception de la corruption, avec un score de 36/100. La corruption dans ce pays prend des formes variées et spectaculaires ainsi. L’affaire de dissipation des fonds publics du Général-Major Abdelkader Lechkham, qui a été accusé d’avoir acheté du matériel de télécommunication et des équipements électroniques sans aucune utilité pour l’Armée Nationale Populaire, à 2 milliards de dollars, en est un tout petit exemple. Un Etat rentier souffrant de difficultés à transformer ses richesses en développement durable et inclusif, dont les revenus de rente sont utilisés pour financer des réseaux clientélistes au sein de l’armée, et soutenir le Polisario.

Le Maroc, qui, au contraire de son voisin ennemi, n’est pas un Etat rentier. Ses ressources budgétaires proviennent principalement de ses recettes fiscales. Cependant, il table sur un budget de plus de 12 milliards d’euros consacré à l’armée au titre de l’année budgétaire 2025. Outre, les dépenses militaires, l’affaire du Sahara coûte depuis toujours au Maroc un bras et une jambe, afin de construire un modèle économique séduisant de ses Provinces de Sud. En plus de renoncer à une partie de ses recettes fiscales, l'État accorde d'importantes subventions et investissements afin de soutenir ledit modèle. En 2005, Hassana Maoulainine, à l’époque directeur du Centre Régional d’investissement de Laayoune, avait expliqué que les allégements fiscaux profitant à la région avait permis de l’évasion fiscale au sein du même pays, puisque les entreprises du Sahara Occidental étaient exonérées totalement des droits d’enregistrement et de l’impôt sur les sociétés ; selon un câble diplomatique révélé par Wikileaks de Thomas T. Riley, Ambassadeur Américain au Maroc de 2003 à 2008.

Le régime marocain utilise la question du Sahara Occidental comme un levier politique central pour consolider son pouvoir, gérer les tensions intérieures et réduire les espaces de contestation. Présentée comme une cause sacrée et un enjeu fondamental de souveraineté nationale, cette question permet de rassembler les citoyens autour de l’unité nationale et de légitimer le pouvoir central. Toute critique à l’encontre de la gouvernance, des droits de l’homme ou de la corruption peut ainsi être assimilée à une atteinte à l’unité nationale, neutralisant opposants politiques, défenseurs des droits humains, journalistes et intellectuels, souvent accusés de trahison ou de collusion avec des ennemis extérieurs comme le Front Polisario ou l’Algérie. Par ailleurs, le régime instrumentalise cette cause pour détourner l’attention des citoyens des problèmes sociaux et économiques internes, en orientant les frustrations vers des facteurs externes, tout comme son voisin algérien. La question du Sahara Occidental justifie également un contrôle sécuritaire accru, renforçant la surveillance des activistes et limitant les libertés publiques sous prétexte de préserver l’ordre public et l’unité nationale. Les attaques récentes ciblant le Président de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH) Aziz Rhali, et les campagnes de diffamation orchestrées par des médias connus pour leurs relations étroites avec les services de renseignements marocains, en est un bon exemple. Suite à ses déclarations lors d’une interview diffusée sur YouTube, sur sa position sur la question du Sahara et celle de l’Association, Rhali a été accusé de séparatisme et de trahison. Des appels ont été ainsi lancés exigeant son arrestation et l’ouverture d’une enquête sur ses propos. Il est indispensable de rappeler que Rhali est un défenseur des droits de l’homme, et les droits de l’homme sont universels et non exclusivement marocains.

Les activistes du Hirak du Rif, déclenché en 2016, ayant contesté des revendications socioéconomiques, ont été présentés par le régime marocain comme étant des séparatistes qui revendiquent l’indépendance du territoire rifain, une accusation soutenu par un grand nombre de partis politiques. Leur accusation de séparatisme cherchait à décrédibiliser le mouvement et les personnes, et avait légitimé leurs arrestations et les peines allant jusqu’à 20 ans de prison à leur égard.

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