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Billet de blog 12 octobre 2025

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En cas de dissolution, Marine Le Pen pourrait-elle se porter candidate ?

La présente étude a pour objet d’analyser les probabilités, au regard du droit et de son interprétation par les différentes juridictions, qu’une personne condamnée en première instance à une peine complémentaire assortie de l’exécution provisoire puisse se porter candidate à une élection législative ou présidentielle.

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Illustration 1

Reconnue coupable de détournement de fonds publics et de complicité de ce même délit le 31 mars 2025 par la 11ᵉ chambre du tribunal correctionnel de Paris, Marine Le Pen a été condamnée à une peine complémentaire d’inéligibilité de cinq ans, assortie de l’exécution provisoire. Elle a interjeté appel de ce jugement. Comme indiqué dans un précédent article, l’exécution de cette peine complémentaire ne peut être remise en cause tant que la Cour d’appel n’a pas rendu un arrêt devenu définitif.

Marine Le Pen ne pourrait donc, en principe, se représenter à de nouvelles élections. Cependant, la présidente du groupe Rassemblement National à l’Assemblée nationale avait déjà affirmé son intention de tenter de se présenter malgré tout, en cas de dissolution de l’Assemblée nationale, espérant faire évoluer la jurisprudence en vue de la prochaine élection présidentielle.

Je me présenterai et j’irai défendre ma candidature auprès des instances chargées de la valider”, affirme-t-elle à propos du tribunal administratif et du Conseil d’État. “Cela me permettra de déposer une question prioritaire de constitutionnalité, que j’ai déjà rédigée, au sujet de l’exécution provisoire de l’inéligibilité.1

Marine Le Pen évoque, à ce sujet, la réserve d’interprétation formulée le 28 mars 2025 par le Conseil constitutionnel.2 Le tribunal correctionnel avait, dans son jugement du 31 mars 2025 3, qualifié cette réserve de rappel de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel. Les sages affirment, en filigrane, que les dispositions permettant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité :

mettent en œuvre l’exigence constitutionnelle qui s’attache à l’exécution des décisions de justice en matière pénale. D’autre part, elles contribuent à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. Ainsi, elles mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.

Et surtout, et ce sont ces phrases qui intéressent Marine Le Pen, le Conseil rappelle que :

Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur

Le tribunal correctionnel avait alors pris en compte ces réserves et considéré qu’elles lui imposaient :

[…]de vérifier, au cas où l’exécution provisoire serait ordonnée, que le caractère non suspensif du recours assure une juste conciliation entre, d’une part, les principes et droits invoqués par la défense et d’autre part, les objectifs à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de bonne administration de la justice.4

Il avait alors motivé son jugement à cet égard et examiné la nécessité de prononcer une peine d’inéligibilité au regard de l’exigence constitutionnelle de personnalisation des peines, elle-même fondée sur le principe à valeur constitutionnelle de nécessité des peines.



Ce qui se passerait si elle déposait sa candidature.

Marine Le Pen souhaite être candidate aux élections législatives en cas de dissolution de l’Assemblée nationale. Elle devra donc déposer sa candidature en préfecture.

Le préfet devra, conformément aux dispositions de l’article L.O. 160 du Code électoral, qui interdisent l’enregistrement de la candidature d’une personne inéligible, refuser l’enregistrement de sa candidature. Elle pourra alors saisir le tribunal administratif, qui statuera dans les trois jours à compter de la saisine. Ce dernier devrait rejeter son recours, puisqu’il ne s’agit pas là du fond de la question de l’effectivité d’une peine d’inéligibilité, mais simplement de la constatation du fait que Marine Le Pen est inéligible.

Le constitutionnaliste Jean-Pierre Camby expliquait dans les colonnes de Challenges :

Elle pourrait déposer à nouveau des recours mais, là encore, elle se heurterait à l’application de la loi. Les juridictions n’entreront pas dans un débat sur l’opportunité ou non d’assortir son inéligibilité d’une application immédiate. Elles se borneront à constater qu’elle est inéligible.5


Comment espère-t-elle faire évoluer la jurisprudence ?

Marine Le Pen espère déposer une question prioritaire de constitutionnalité afin de contester l’application de l'exécution provisoire de sa peine d'inéligibilité. À ce titre, Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas, soulignait le point suivant :

Le Conseil avait jugé avec une constance remarquable dans une quinzaine de décisions, depuis 1960, qu’un membre du Parlement ne devient inéligible qu’en vertu d’une décision pénale devenue définitive, c’est-à-dire après un éventuel appel et un pourvoi en cassation” “Ainsi, et pour autant que le Conseil constitutionnel vienne confirmer notre analyse, et tant que dureront les effets du prononcé de l’exécution provisoire du 31 mars 2025 dont Mme Le Pen a relevé appel, l’intéressée, devenue inéligible à tout mandat local, peut encore candidater à une élection législative ou présidentielle.6

Ces propos de Benjamin Morel font sans doute référence aux contorsions opérées par le Conseil constitutionnel dans l’interprétation des dispositions encadrant la démission d’office en cas d’inéligibilité, afin d’éviter de déclarer démissionnaires d’office des parlementaires et de provoquer des élections partielles. À plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a refusé de déclarer démissionnaire d’office une personne titulaire d’un mandat parlementaire condamnée à une peine d’inéligibilité non définitive.

À cet effet, il s’appuie sur les dispositions de l’article 569 du Code de procédure pénale, qui régissent le sursis à l’exécution de l’arrêt d’appel : “Pendant les délais du recours en cassation et, s’il y a eu recours, jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation.

Dans une décision 16 juin 2022 7 le Conseil constitutionnel a refusé de déchoir de son mandat de député une personne condamnée en première instance à une peine complémentaire d’inéligibilité avec exécution provisoire dont celle-ci avait été confirmée en appel.

« 5. Il résulte de l’article 569 du Code de procédure pénale qu’il est sursis à l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation. Dès lors, l’exécution provisoire de la sanction privant M. FANGET de son droit d’éligibilité est sans effet sur le mandat parlementaire en cours, dont la poursuite dépend de la seule exécution de l’arrêt.
6. Il s’ensuit que, en l’absence de condamnation définitive à ce jour, la requête du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, tendant à la constatation de la déchéance de plein droit de M. FANGET de sa qualité de membre de l’Assemblée nationale doit donc être rejetée. »

L’article 569 du Code de procédure pénale ne concerne toutefois que l’exécution de l’arrêt d’appel. Dans un article précédent, nous avions étudié les effets qu’un pourvoi en cassation pouvait avoir sur une peine complémentaire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire prononcée en première instance. Il ressort de la jurisprudence que, s’il est sursis à l’exécution de l’arrêt d’appel en cas de pourvoi en cassation, la décision de première instance continue de trouver application et donc, l’exécution provisoire de l’inéligibilité continue de s’appliquer.

C’est donc cette interprétation juridique que la défense de Marine Le Pen entend étendre à la possibilité pour une personne dont la condamnation à une peine complémentaire d’inéligibilité n’est pas définitive au moment du dépôt de sa candidature de se présenter à une élection.


Qu’est-ce que le Conseil constitutionnel décidera ?

Tout d’abord, il faudrait que Marine Le Pen puisse soumettre sa question prioritaire de constitutionnalité pour que le Conseil constitutionnel puisse être amené à trancher. Pour ce faire, le Conseil d’État devrait reconnaître que sa question est pertinente pour le litige ou la procédure en cours, qu’elle n’a pas déjà fait l’objet d’une déclaration préalable de conformité et qu’elle présente un caractère sérieux ou nouveau. La requérante a déjà entrepris cette démarche, mais s’est heurtée à deux avis défavorables particulièrement sévères émanant du rapporteur public. À ce sujet, il a été souligné :

“Nous ne croyons pas faire injure à la requérante en affirmant qu’elle a conçu ce litige de toutes pièces dans l’objectif de poser sa QPC.”8

Le Conseil d'État tranchera dans les prochains jours. Mais, le Conseil constitutionnel étant le juge électoral des élections législatives et de l'élection présidentielle, il sera de toute façon, contraint de se prononcer sur ces questions.

Il apparaît particulièrement difficile de prévoir la décision du Conseil constitutionnel, tant la jurisprudence de cette institution en la matière semble déconnectée de l’état du droit positif, de la volonté du législateur, ainsi que de ses propres constats quant à la constitutionnalité de l’exécution provisoire d’une peine complémentaire d’inéligibilité.

Au sujet des propres constats de l'institution quant à la constitutionnalité de l’exécution provisoire d’une peine complémentaire d’inéligibilité, le Conseil constitutionnel affirme que ces dispositions :

mettent en œuvre l’exigence constitutionnelle qui s’attache à l’exécution des décisions de justice en matière pénale. D’autre part, elles contribuent à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. Ainsi, elles mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.”

Comment entendre donc, au regard de ces constatations, que le Conseil constitutionnel refuse d’étendre l’application de l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité au mandat parlementaire ?

Le Conseil constitutionnel répond en légitimant son interprétation par l'état du droit positif et la volonté du législateur, il adopte une interprétation excluant l’exécution provisoire de l’article L.O. 196 du Code électoral qui dispose :

Sera déchu de plein droit de la qualité de membre de l’Assemblée nationale celui dont l’inéligibilité se révélera après la proclamation des résultats et l’expiration du délai pendant lequel elle peut être contestée ou qui, pendant la durée de son mandat, se trouvera dans l’un des cas d’inéligibilité prévus par le présent code. […]”

Les sages jugent que “l'expiration du délai pendant lequel elle peut être contestée” se rapporte à la peine d'inéligibilité.

Ces dispositions datent de 1964, mais elles ne sont en réalité que la reprise, presque mot pour mot, de dispositions antérieures figurant dans l’ordonnance du 24 octobre 1958 9. Rappelons que cette ordonnance a été rédigée dans l’urgence : elle est adoptée vingt jours après l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution. Or, pour mettre en place la nouvelle République, il fallait organiser de nouvelles élections législatives. Le gouvernement était alors autorisé, par l’article 92 de la Constitution, à prendre, par ordonnance, “jusqu’à la mise en place des nouvelles institutions […] les mesures nécessaires à la mise en vigueur de la présente Constitution”.

L’article 8 de l’ordonnance du 24 octobre 1958 disposait :

Sera déchu de plein droit de la qualité de membre de l’Assemblée nationale ou du Sénat celui dont l’inéligibilité se révélera après la proclamation de l’élection et l’expiration du délai pendant lequel elle peut être contestée ou qui, pendant la durée de son mandat, se trouvera dans l’un des cas d’inéligibilité prévus par la présente loi.

La rédaction de cet article ne laisse aucun doute sur l’interprétation de la locution “l’expiration du délai pendant lequel elle peut être contestée” : il s’agit bien de l’élection visée par le législateur et non d’une peine d’inéligibilité.

Par ailleurs l’article 5 de la même ordonnance prévoyait déjà que :

Sont en outre inéligibles :

1° Les individus privés par décision judiciaire, de leur droit d’éligibilité, en application des lois qui autorisent cette privation ;

[…]

Ces dispositions, transcrites à l’article L.O. 130 du Code électoral, étaient en vigueur jusqu’en 2011. Bien qu’elles ne le soient plus aujourd’hui, elles l’étaient déjà lorsque le Conseil constitutionnel a commencé à restreindre l’application de l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité prononcée à l’encontre d’une condamnation pénale non définitive pour un mandat parlementaire.

Par exemple, en 2009, le Conseil constitutionnel affirmait déjà :

3. Considérant que selon l’article L.O. 130 du code électoral, sont inéligibles les individus privés par décision judiciaire de leur droit d’éligibilité ;

4. Considérant que, si, par application de l’article 471 du code de procédure pénale, la peine d’inéligibilité privant M. FLOSSE de son droit d’éligibilité est exécutoire par provision, les effets de cette condamnation sur l’exercice en cours de son mandat parlementaire sont régis par l’article 569 du code de procédure pénale, en vertu duquel il est sursis à l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Papeete jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation ;10

Cette solution n’est pas conforme au droit, ni la Cour de cassation ni le Conseil d’État n’adoptent une telle interprétation.

À ce sujet, deux précédents jurisprudentiels sont à relever.

  1. Le premier est issu de la Cour de cassation. Dans un arrêt rendu le 28 septembre 1993, la chambre criminelle a jugé que “l’exécution provisoire […] ordonnée par les premiers juges […] s’était poursuivie, compte tenu de l’effet suspensif du pourvoi en cassation”.11
  2. Le second précédent mérite une attention particulière quant aux circonstances de fait. Il s’agit d’un arrêt du Conseil d’État du 20 décembre 2019. Un élu local avait été condamné par le tribunal correctionnel, en première instance, à une peine complémentaire de privation de son droit d’éligibilité pour une durée de deux ans, assortie de l’exécution provisoire. L’intéressé a interjeté appel de ce jugement. La cour d’appel a confirmé la peine complémentaire, mais sans l’assortir de l’exécution provisoire. L’ancien élu a alors formé un pourvoi en cassation et saisi parallèlement le juge administratif afin de solliciter l’annulation, pour excès de pouvoir, de l’arrêté le déclarant démissionnaire d’office de ses mandats locaux.12

    Le Conseil d’État a jugé que l’effet suspensif du pourvoi en cassation formé par le prévenu contre l’arrêt de la cour d’appel avait pour effet de maintenir l’exécution provisoire de la peine prononcée en première instance. Il a, en conséquence, rejeté la requête de l’intéressé. Le juge administratif s’est ainsi limité à une stricte application des dispositions procédurales.

Ni la volonté du législateur, ni le droit positif, ni la jurisprudence, ni même les propres constatations du Conseil constitutionnel ne justifient que les parlementaires ne soient pas affectés par l’exécution provisoire de l’inéligibilité.

Pourtant c’est sur la volonté du législateur que s’appuie le Conseil constitutionnel pour rejeter une question prioritaire de constitutionnalité tendant à faire déclarer non conforme à la constitution les dispositions contraignant, par compétence liée, le préfet à déclarer démissionnaire d’office l’élu local condamné à une peine d’inéligibilité non définitive avec exécution provisoire au titre du principe d’égalité devant la loi.

« 23. Le principe d’égalité, garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. »13

D’un côté le Conseil constitutionnel justifie donc la différence de traitement entre les parlementaires et les élus locaux par les dispositions qu’auraient prévues le législateur et de l’autre, il explique cette différence résulterait de l’effet suspensif d’un pourvoi en cassation sur une condamnation assortie de l’exécution par provision et donc de dispositions qui ne font aucune distinction selon la qualité du mandat de la personne condamnée.

Il apparaît donc, au regard de ces éléments, très compliqué de prévoir ce que décidera le Conseil constitutionnel sur la possibilité d’une personne condamnée à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire ayant interjeté appel de se présenter à une élection législative et, le cas échéant, à une élection présidentielle.


1 - Marine Le Pen : « En l’état, il est impossible pour le RN de ne pas censurer ce gouvernement », Le Parisien, 16 juillet 2025

2 - Décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025, Considérant 14.

3 - Délibéré dossier dit des assistants fictifs du RN - 31 mars 2025, page 39.

4 - Délibéré dossier dit des assistants fictifs du RN - 31 mars 2025, page 40.

5 - Pourquoi Marine Le Pen n’a (presque) aucune chance d’être candidate en 2027, Challenges, 14 septembre 2025.

6 - En cas de dissolution, le «chemin étroit» qui permettrait à Marine Le Pen d’être candidate malgré son inéligibilité, Le Figaro, 27 août 2025.

7 - Décision DC n° 2022-27 D du 16 juin 2022.

8 - Marine Le Pen essuie deux avis négatifs au Conseil d’État, Le Figaro, 11 octobre 2025.

9 - Journal officiel de la République française. Lois et décrets n° 0251 du 25/10/1958.

10 - Décision n° 2009-21S D du 22 octobre 2009.

11 - Cass. Crim., 28 septembre 1993, 92-85.473

12 - Conseil d’État, 4ᵉ‑1ʳᵉ chambres réunies, 20 décembre 2019, n° 408967

13 - Décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025, Considérant 23.

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