Ilan Gabet (avatar)

Ilan Gabet

Étudiant en troisième année de licence de droit

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 septembre 2025

Ilan Gabet (avatar)

Ilan Gabet

Étudiant en troisième année de licence de droit

Abonné·e de Mediapart

Quel impact pourrait avoir le verdict en appel de Marine Le Pen sur son éligibilité ?

La présente étude a pour objet d’analyser les effets qu’un arrêt rendu par la Cour d’appel est susceptible de produire sur le droit à l’éligibilité d’une personne initialement condamnée en première instance à une peine complémentaire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire.

Ilan Gabet (avatar)

Ilan Gabet

Étudiant en troisième année de licence de droit

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Renvoyée devant le tribunal correctionnel en septembre dernier, Marine Le Pen a été, le 31 mars 2025, déclarée coupable en tant qu’autrice principale de détournements de fonds publics commis pendant plus de six années et portant sur 8 contrats représentant une somme d’environ 474 milliers d’euros. Elle a également été déclarée coupable de faits de complicité par instigation de détournements de fonds publics commis pendant plus de cinq années et représentant une somme d’environ 1,8 millions d’euros.

Pour ces faits, elle a été condamnée à une peine de quatre ans d’emprisonnement, dont deux ans assortis du sursis, une amende de 100 000 euros mais surtout une peine complémentaire d’inéligibilité de 5 ans assortis, à titre conservatoire, de l’exécution provisoire.


L’effet suspensif de l’appel face à l’exécution provisoire des peines complémentaires.

Il importe, avant tout développement, de rappeler que le jugement rendu le 31 mars par la 11ᵉ chambre du tribunal correctionnel de Paris, qui a condamné Marine Le Pen, n’est pas définitif puisqu’elle en a relevé appel, et que, par conséquent, elle demeure présumée innocente. Il s’agit là du respect de la présomption d’innocence trouvant source, entre autres, dans l’article 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Marine Le Pen bénéficie, comme toute personne, du droit à un double degré de juridiction. Ce principe, qui trouve des fondements indirects dans de nombreux textes fondamentaux, est consacré plus directement à l’article 2 du protocole n°7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Elle dispose du droit de saisir les juridictions compétentes afin de solliciter le réexamen complet de l’ensemble des éléments de fait et de droit ayant conduit à sa condamnation initiale, y compris la peine prononcée. Cette procédure lui permet de faire valoir ses arguments et, le cas échéant, de contester tant l’appréciation des faits que l’application des règles de droit, ainsi que la décision du juge quant à la fixation de la peine.

En principe, conformément aux dispositions de l’article 506 du Code de procédure pénale, l’appel formé contre un jugement pénal est suspensif, ce qui entraîne la suspension de l’exécution de la peine prononcée en première instance. Autrement dit, sauf exceptions prévues par la loi, la condamnation ne peut être exécutée tant que la cour d’appel n’a pas rendu sa décision définitive.

Toutefois, cette règle connaît des exceptions. L’une d’elles retient particulièrement notre attention dans le cadre de cette étude : le tribunal correctionnel peut prévoir, conformément aux dispositions de l’article 471 alinéa 4 du Code de procédure pénale, lors du jugement en première instance, l’exécution provisoire de certaines peines complémentaires, telles que la peine d’inéligibilité. Dans ce cas, l’appel perd son effet suspensif sur la peine complémentaire concernée, laquelle devient immédiatement exécutoire.

Une telle mesure n’a pas pour effet de priver les prévenus de leur droit au double degré de juridiction, mais traduit plus exactement l’absence d’effet suspensif du recours sur cette partie de la peine prononcée. Le tribunal est donc tenu de rechercher une conciliation équilibrée entre le respect du droit au double degré de juridiction et l’éventuelle mise à exécution provisoire de la peine complémentaire d’inéligibilité.

La mesure trouve sa justification dans la nécessité d’assurer l’effectivité de l’exécution des peines, nécessité qui poursuit un objectif d’intérêt général.1 Elle se justifie également par l’objectif de favoriser l’exécution de la peine afin de prévenir le risque de récidive.

Dans la présente affaire, le tribunal a considéré que « cette mesure est en effet proportionnée aux objectifs à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de bonne administration de la justice. »

Il n’existe pas, contrairement à ce qui est prévu pour les intérêts civils, de procédure permettant de demander la suspension de l’exécution provisoire de la peine complémentaire d’inéligibilité.


Les possibilités de la Cour d’appel.

La Cour d’appel ne pourra pas aggraver la peine fixée en première instance.

Le ministère public n’ayant, selon les informations disponibles à ce jour, pas interjeté appel du jugement rendu le 31 mars 2024 par la 11ᵉ chambre du tribunal correctionnel de Paris, la cour d’appel, bien qu’appelée à statuer à nouveau sur l’ensemble des éléments de fait et de droit ayant conduit aux condamnations prononcées et à fixer, le cas échéant, les peines selon son pouvoir souverain d’appréciation, ne pourra, conformément aux dispositions de l’article 515 du Code de procédure pénale, aggraver la situation des appelants.

Il s’agit là de la mise en œuvre du principe prétorien de prohibition de la reformatio in pejus. Ce principe interdit à une juridiction d’appel d’aggraver la situation d’un appelant lorsque celui-ci se prévaut d’un recours en appel, et que le ministère public n’a pas lui-même interjeté appel. Ce principe a pour objet de protéger l’exercice du droit d’appel, en assurant que l’appelant ne subisse aucune aggravation de sa situation du seul fait de son recours. La prohibition de la reformatio in pejus n’est pas une règle indépendante distincte du régime de l’appel, mais le corollaire déductible du double impératif procédural : le premier impératif, l’effet dévolutif de l’appel, confère à la juridiction d’appel des limites strictes, tant à l’objet de l’acte d’appel qu’à la qualité de l’appelant. Le second impératif, l’interdiction de statuer ultra petita, interdit au juge d’aller au-delà des demandes des parties. En matière pénale, l’absence d’appel du ministère public, investi de la représentation des intérêts de la société, emporte présomption de satisfaction de celle-ci quant à la peine prononcée. Il en résulte, par simple conséquence logique, que lorsque seul le prévenu forme appel, la cour d’appel, tenue de ne pas décider au-delà des demandes présentées, ne peut valablement prononcer une décision aggravant le sort de l’appelant.

Il ne sera donc pas possible pour la Cour d’appel d’aggraver la situation de Marine Le Pen, cette éventualité étant dès lors exclue. La condamnation qu’elle pourrait prononcer ne sera donc pas supérieure à 4 ans de prison dont 2 ans fermes, 100 000 euros d’amende et 5 années d’inéligibilité.

Deux hypothèses peuvent dès lors être distinguées pour évaluer les possibilités de la Cour : d’une part, celle où elle déciderait de relaxer Marine Le Pen, et d’autre part, celle où elle confirmerait sa culpabilité.


La Cour d’appel relaxe Marine Le Pen

Si la Cour d’appel de Paris prononce la relaxe de Marine Le Pen, cette décision n’acquiert le caractère définitif et l’autorité de la chose jugée qu’à l’expiration d’un délai de dix jours francs à compter de son prononcé. Pendant ce laps de temps, le ministère public comme les autres parties disposent, conformément aux dispositions de l’article 568 du Code de procédure pénale, de la faculté de se pourvoir en cassation. Ce n’est qu’à l’issue de ce délai, en l’absence de pourvoi en cassation, que la décision de relaxe acquiert un caractère irrévocable et devient exécutoire.

En cas de pourvoi, conformément aux dispositions de l’article 569 du Code de procédure pénale l’exécution de l’arrêt de la Cour d’appel est en principe suspendue : on parle alors de l’effet suspensif du pourvoi. Ainsi, les peines prononcées ne s’appliquent pas en principe pendant le délai du recours en cassation et jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation. À ce principe, il existe une seule exception : lorsque la loi en dispose autrement. Elle peut procéder de deux manières : soit elle prescrit elle-même l’exécution immédiate de la décision attaquée, soit elle laisse ce choix aux juges. Le prononcé de l’exécution par provision d’une peine complémentaire d’inéligibilité en est une, cela signifie que, tant que l’arrêt prononçant la relaxe n’est pas devenue définitif, Marine Le Pen ne peut retrouver son droit a l’éligibilité.2 La Cour d’appel n’a pas non plus la faculté de relever l’exécution provisoire prononcée par le tribunal correctionnel.

À ce sujet, deux précédents jurisprudentiels sont à relever.

  1. Le premier est issu de la Cour de cassation. Dans un arrêt rendu le 28 septembre 19933, la chambre criminelle a jugé que « l’exécution provisoire […] ordonnée par les premiers juges […] s’était poursuivie, compte tenu de l’effet suspensif du pourvoi en cassation ».
  2. Le second précédent mérite une attention particulière quant aux circonstances de fait. Il s’agit d’un arrêt du Conseil d’État du 20 décembre 20194. Un élu local avait été condamné par le tribunal correctionnel, en première instance, à une peine complémentaire de privation de son droit d’éligibilité pour une durée de deux ans, assortie de l’exécution provisoire. L’intéressé a interjeté appel de ce jugement. La cour d’appel a confirmé la peine complémentaire, mais sans l’assortir de l’exécution provisoire. L’ancien élu a alors formé un pourvoi en cassation et saisi parallèlement le juge administratif afin de solliciter l’annulation, pour excès de pouvoir, de l’arrêté le déclarant démissionnaire d’office de ses mandats locaux.

    Le Conseil d’État a jugé que l’effet suspensif du pourvoi en cassation formé par le prévenu contre l’arrêt de la cour d’appel avait pour effet de maintenir l’exécution provisoire de la peine prononcée en première instance. Il a, en conséquence, rejeté la requête de l’intéressé. Le juge administratif s’est ainsi limité à une stricte application des dispositions procédurales.

En pratique, l’exécution provisoire de la peine complémentaire d’inéligibilité prononcée en première instance ne peut donc être remise en cause par l’arrêt d’appel tant que celui-ci n’a pas acquis l’autorité de la chose jugée.

Par ailleurs, le droit français de la procédure pénale ne module pas l’effet du pourvoi selon la qualité de la personne qui le forme. Autrement dit, qu’il émane du condamné ou du ministère public, le pourvoi entraîne, en principe, le sursis à l’exécution de l’arrêt d’appel en ce qui concerne la peine prononcée contre le condamné.

En revanche, la partie civile n’a pas la capacité de former un pourvoi contre les dispositions pénales. La Cour de cassation a ainsi jugé, dans un arrêt du 25 juin 2008 5, irrecevable le pourvoi de la partie civile contre les dispositions pénales. Dans le même sens, et conformément à une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le pourvoi formé par la partie civile n’a aucun effet suspensif sur l’exécution des dispositions pénales de l’arrêt. La Cour l’a rappelé notamment dans un arrêt du 13 février 1996 6affirmant que « le pourvoi formé par la partie civile n’a pas d’effet suspensif sur l’exécution des dispositions pénales de l’arrêt » ; dans un arrêt du 21 novembre 2007 7, précisant que « le pourvoi de la partie civile, limité aux intérêts civils, n’a aucun effet sur l’exécution des condamnations pénales » ; et dans un arrêt du 7 janvier 20098 rappelant que le condamné reste tenu d'exécuter sa peine même lorsque seule la partie civile a saisi la Cour de cassation.

Il en résulte que, pour qu’un arrêt de relaxe rendu par la cour d’appel restitue effectivement au prévenu son droit à l’éligibilité, il doit avoir acquis l’autorité de la chose jugée.


La Cour d’appel condamne Marine Le Pen

Si la Cour d’appel de Paris prononce une condamnation à l’égard de Marine Le Pen il convient de distinguer plusieurs hypothèses.

Dans l’hypothèse où la Cour d’appel de Paris viendrait à déclarer Marine Le Pen coupable, tout en s’abstenant de prononcer à son encontre une peine complémentaire d’inéligibilité, l’intéressée recouvrerait son droit à l’éligibilité dès lors que l’arrêt d’appel aurait acquis l’autorité de la chose jugée, conformément aux principes procéduraux précédemment exposés.

Dans l’hypothèse où la Cour d’appel de Paris viendrait à déclarer Marine Le Pen coupable et déciderait de prononcer à son encontre une peine complémentaire d’inéligibilité, rappelons d’abord qu’elle ne pourra prononcer une peine supérieure à 5 années, deux cas de figure doivent être distingués.

  1. Si la peine d’inéligibilité fixée par la juridiction d’appel est inférieure à deux années, l’intéressée recouvrerait son droit à l’éligibilité avant l’élection présidentielle de 2027 et serait, de ce fait, en mesure de se porter candidate, sous réserve toutefois que l’arrêt d’appel ait acquis l’autorité de la chose jugée, conformément aux règles procédurales rappelées plus haut.
  2. Si, en revanche, la Cour d’appel prononce une peine d’inéligibilité supérieure à deux années, Marine Le Pen demeurerait privée de son droit à l’éligibilité. En effet, en l’absence de recours, l’arrêt d’appel, dès lors qu’il a acquis l’autorité de la chose jugée, revêt force obligatoire et produit pleinement ses effets et donc l’exclurait de la course à l’élection présidentielle. En cas de pourvoi en cassation formé par le ministère public ou la prévenue, l’exécution provisoire de la peine complémentaire de cinq années d’inéligibilité, initialement prononcée en première instance, continuerait à s’appliquer jusqu’à ce qu’intervienne une décision définitive et donc l’exclurait également de la course a l’élection présidentielle.

Il ressort de ce qui précède que le verdict rendu par la Cour d’appel sera décisif quant au droit à l’éligibilité de Marine Le Pen, mais qu’il ne produira pleinement ses effets qu’une fois acquis le caractère définitif et l’autorité de la chose jugée. Un arrêt d’appel ne saurait, à lui seul, restituer immédiatement le droit à l’éligibilité d’une personne initialement condamnée en première instance à une peine complémentaire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire.


1 - Décision n° 2016-569 QPC du 23 septembre 2016

2 - V. en ce sens, Frédéric Groshenny, « Exécution provisoire en matière pénale : arme fatale ? », Village de la Justice, 4 avril 2025.

3 - Cass. Crim., 28 septembre 1993, 92-85.473

4 - Conseil d’État, 4ᵉ‑1ʳᵉ chambres réunies, 20 décembre 2019, n° 408967.

5 - Cass. crim., 25 juin 2008, n°07-87.354

6 - Cass. Crim., 13 février 1996, n°95-81.144

7 - Cass. Crim., 21 novembre 2007, n°07-82.438

8 - Cass. Crim., 7 janvier 2009, n°08-82.124

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.