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Billet de blog 12 janvier 2023

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Rattrapage des vacances sur l'extrême-droite

Ce court article propose un retour sur les faits d'actualité liés à l'extrême-droite qui ont semblé particulièrement marquants ces trente derniers jours. Cette première partie concerne l'actualité à l'échelle nationale, une seconde partie à paraître reviendra sur l'actualité internationale.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Sommaire:

1 : L’extrême-droite suspend les subventions de tout un quartier pour en punir les habitants

2 : Un commerce asiatique recouvert de tags haineux

3  : Attentat mortel rue d’Enghien

4 : Des nouvelles du néonazisme dans l’Armée

5 : Groupe Union Défense, le retour

6 : Le curé et Charles Maurras

L’extrême-droite suspend les subventions de tout un quartier pour en punir les habitants

Une sanction collective

            Une action qui va à contre-courant du principe de punition individualisée. Bien que le droit international consacre la responsabilité individuelle et rejette formellement la possibilité de recourir à des sanctions collectives, le président de l’agglomération de Fréjus, Frédéric Masquelier (Les Républicains) a fait savoir le 7 décembre dernier que les subventions perçues par le quartier de la Gabelle à Fréjus seraient supprimées, en représailles à des tirs de mortiers et des caillassages qui auraient eu lieu le soir du match Maroc-Espagne, dont le premier pays sort victorieux. Une décision soutenue par David Rachline, maire Rassemblement National de la ville. Les deux élus font valoir une apathie des habitants face aux violences à l’encontre des forces de l’ordre qui ont suivi le match.

Une mesure peu adaptée et raciste

            Pourtant, aucun dégât ni aucun blessé ne sont à déplorer, d’après la préfecture du Var. Les pompiers n’ont d’ailleurs pas eu à intervenir, ce qui témoigne de l’ampleur très limitée des heurts ayant pu se produire cette nuit-là. Les mesures de suspension des subventions sont donc assez logiquement perçues comme « racistes » par plusieurs habitants du quartier, et dans la droite ligne d’une casse sociale qui l’affecte depuis des années : « Ils pensent [les politiques] qu’en enlevant les subventions, ça va calmer les gens, mais ça ne fait qu’allumer la mèche » témoigne l’un d’entre eux auprès de 20 Minutes.

Un quartier abandonné des pouvoirs publics

            La disproportion de la réaction et le cynisme de l’extrême-droite sont effectivement encore une fois au rendez-vous. Masquelier accuse ainsi les habitants du quartier de « considérer ça [les incidents] comme normal, mais ça n’arrive pas dans les autres quartiers de la ville (de Fréjus) qui ont la même sociologie. ». L’élu, qui prend une mesure contraire aux principes sacralisés par le droit international, criminalise sans se masquer les habitants de tout un quartier. Comble de l’injustice donc, une communauté déjà battue en brèche par les suspensions des aides sociales se voit privée de 69 000 € supplémentaires à la suite de cette affaire. Inclus dans cette somme, 11 000 € servaient à dispenser des cours de français à des femmes, 2 000 € à l’éducation spécialisée. Un local où travaillaient quatre personnes sera aussi démonté. Il est à parier que couper encore davantage le quartier des pouvoirs publics, en criminalisant la population qui y vit, ne résoudra aucunement la criminalité qui peut y sévir, et la renforcera probablement.

Un commerce asiatique recouvert de tags haineux

            Un magasin Tang Gourmet, dans le 13ème arrondissement Parisien, a été taggé dans la nuit du 19 au 20 décembre dernier. Sur une photo publiée sur twitter par le communiste Jean-Noël Aqua, conseiller à la mairie de Paris et élu de l’arrondissement, on distingue plusieurs symboles d’extrême-droite apposés à la vitrine de l’établissement, situé avenue de Choisy. Une croix gammée ainsi qu’une croix celtique (voir à ce sujet notre article sur les symboliques de l’extrême-droite) ont été dessinées à la peinture rouge et inclues dans le message « C’est qui cette merde ? A Porte d’Orlean ? ». Tang gourmet est la branche de traiteurs asiatiques de l’enseigne Tang Frères, propriétaire de plusieurs boutiques réparties dans la capitale, surtout dans le sud de la ville et notamment dans le 13ème arrondissement, donc non loin de la Porte d’Orléans, où la société avait établi son premier magasin au début des années 80.

            La médiatisation de cette action avait fait réagir la majorité municipale (Parti Socialiste), condamnant unanimement l’action et annonçant que des plaintes seraient déposées. Rien ne permet toutefois d’affirmer que les auteurs des tags pourront être identifiés, quand bien même ils s’en sont pris à une institution du commerce parisien.

Attentat mortel rue d’Enghien

Trois militants assassinés

            Une triste actualité à laquelle personne n’a pu échapper. William M., retraité de 69 ans, ancien conducteur de train, a ouvert le feu à proximité du centre de communauté kurde du 10e arrondissement de Paris le 23 décembre dernier. Cette attaque survient à peine deux semaines avant le dixième anniversaire du triple assassinat de militants kurdes dans le même arrondissement, vraisemblablement piloté par les services secrets turcs. Fin 2022 à nouveau, la haine fait trois victimes : Mîr Pewer, chanteur, Emine Kara, dite Evîn Goyî, figure du mouvement kurde, y compris sur la scène internationale, et Adburrahman Kizil, militant kurde et réfugié politique. Les noms et l’histoire de ces activistes n’ayant occupé qu’une place très limitée dans l’actualité des grands médias, nous vous invitons à aller consulter les trois portraits qui en ont été faits par la communauté kurde.

Attentat ou attaque raciste ?

            La qualification de cet évènement en attaque raciste, et non en attentat, a été vivement critiquée. Le tireur, William M., a pourtant revendiqué la caractère raciste de son attaque auprès des policiers venus l’arrêter. Pourtant, le Parquet National Antiterroriste (PNAT) ne s’est pas saisi du dossier. Celui-ci met en avant le manque de profondeur idéologique de l’auteur, expliquant ne pas avoir d’éléments suffisamment probant pour conclure à un ancrage sérieux à l’extrême-droite pouvant expliquer le geste du tireur. On s’interroge toutefois sur la mobilisation à « géométrie variable » du Parquet, manifestement moins hésitant lors de l’attentat de Nice, alors qu’à de nombreux égards, les profils des mis-en-cause sont similaires. Par ailleurs, il ne s’était pas non plus saisi du dossier de l’attaque d’une mosquée en 2019, alors que l’adhésion de l’attaquant aux idéologies d’extrême-droite était documentée et ne permettait aucun doute. Concernant l’affaire de la rue d’Enghien, le PNAT fait également valoir comme critère de saisie la « personnalité » du tireur, notamment la connaissance (ou l’ignorance) de ce dernier par les services de renseignement, en l’occurrence, la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI). Ce qui amène une autre question : alors que William M. avait déjà attaqué un camp de migrant au sabre en 2021, disposait de plusieurs armes à feu, pourquoi n’a-t-il pas été suivi ?   

Le suivi du tireur

            En réalité, il semble de l’attaque du camp de Bercy en 2021 ait bénéficié d’une souplesse mortifère dans son traitement juridique et policier. Les forces de l’ordre, arrivant sur les lieux pour interpeller un sexagénaire maniant le sabre en criant « mort aux migrants », placent également en garde à vue quatre migrants qui tentaient de maîtriser leur agresseur, comme s’il s’agissait d’une banale rixe à la responsabilité égale et partagée. Ce simple fait aurait dû permettre du catégoriser William M. dans l’ultradroite, comme un individu d’extrême-droite susceptible de recourir à l’action violente. Cette qualification aurait autorisé le suivi par les autorités, d’autant plus qu’il était déjà connu, à l’époque, pour détention prohibée d’armes à feu et pour une tentative d’homicide. En l’absence de condamnation, le suspect est sorti de détention provisoire le 12 décembre. Le caractère raciste de son projet ne fait aucun doute : il s’est équipé d’une arme à feu qu’il avait conservé, a d’abord visé la Seine-Saint-Denis pour y abattre des étrangers avant de se reporter sur la rue d’Enghien où il trouvait davantage de cibles. Même si William M. devait effectivement être suivi par un psychiatre à sa sortie, la combinaison de nombreux éléments aurait pu d’avantage éveiller la vigilance des pouvoirs publics. Après cette attaque, une partie de la communauté kurde se sent lâchée par les autorités, qui n’ont, pour la deuxième fois en dix ans, pas été en mesure d’arrêter une tuerie à leur encontre. Ce drame intervient dans un contexte de tension, et certains kurdes de France rejettent fermement la thèse de l’attentat raciste, avançant plutôt qu’il s’agit d’une nouvelle offensive pilotée depuis la Turquie.

Des nouvelles du néonazisme dans l’Armée

            Le Père Noël est une ordure et a manifestement apporté un sac à dos orné de symboles néonazis au pied du sapin d’un légionnaire, qui s’est fait photographié, avec trois autres militaires, arborant son cadeau.

            Le 26 décembre dernier, le journaliste Sébastien Bourdon a relayé sur Twitter une photographie de quatre légionnaires, dont un tenant un sac kaki ponctué de symboles renvoyant à la Waffen SS et deux autres à un groupe de mercenaires russes combattant sur le front ukrainien, Wagner et son canal de communication Telegram, RSOTM. Cette branche de Wagner peut par ailleurs compter sur les comptes créés sur plusieurs réseaux sociaux pour relayer sa propagande (voir ici sur Instagram ou sur TikTok). En réalité, faire l’apologie des SS ou du groupe Wagner revient à user d’une symbolique très similaire, étant donné que les inspirations néo-nazies du groupe mercenaire ne sont plus à prouver.

            Sébastien Bourdon relève par ailleurs que l’un des hommes présents sur la photographie avait déjà été épinglé par Mediapart dans un article sur la présence de néo-nazis au sein de l’armée française. Le Ministère des Armées, contacté par Mediapart dans le cadre de cette enquête avait alors assuré ne pas tolérer ces comportements, et adopter des sanctions pour y faire face. Comme le fait le journaliste, on peut effectivement s’interroger sur l’efficacité desdites mesures, au moins au vu du manifeste sentiment d’impunité de ces militaires.

Groupe Union Défense, le retour

Illustration 1
Capture d'écran du compte Twitter du GUD à Paris, souhaitant joyeux Noël

Le réveil du vampire 

            En sommeil depuis 2002, le GUD s’est réveillé en décembre 2022, après dix ans sous les radars. On ne présente plus le groupe à la Croix Celtique, descendant d’Occident (qui fonda le Front National), maison mère des Zouaves (dissout en en janvier 2022) et du Bastion Social (dissout en 2019), dont les emblèmes sont réapparus sur des tracts à la mi-décembre. A la faveur de la mise en retrait des deux mouvements cités plus haut, les rats noirs ressortent de leur trou, notamment en prévision du match France-Maroc le 14 décembre. Parmi la cinquantaine d’individus interpellés à proximité des Champs-Elysées, soupçonnés de se réunir en vue de commettre des violences sur les supporters marocains, plusieurs avaient passé la journée à tracter pour le GUD. Fait intéressant, ils furent arrêté aux côtés de Marc de Caqueray-Valmenier, ancien leader des zouaves qui avait l’interdiction de paraître à Paris.

Le GUD continue de disposer de ressources importantes   

            Le GUD reste sans doute, malgré les années, l’un des relais d’influence les plus puissants de l’extrême-droite. Certaines de ses figures sont parvenues à se hisser dans la hiérarchie des partis électoralistes. Frederic Chatillon, ancien leader du GUD, est un très proche collaborateur de Marine Le Pen. Celui-ci continue d’entretenir des liens entre les identitaires français et la Casa Pound italienne au cours de ses nombreux voyages. D’autres anciens militants sont restés membres de l’ultradroite sans s’engager dans la compétition électorale. C’est le cas de Loïk Le Priol, condamné pour la torture de l’ancien leader du GUD, et plus récemment soupçonné de l’assassinat de Martin Aramburu (à ce sujet, lire la tribune de l’Equipe ici).  La réactivation du groupe a donc de quoi inquiéter. On peut craindre une résurgence des violences à l’extrême-droite, surtout à la lumière des ratonnades ayant suivi le match France-Maroc. Des tags « GUD is back » ont ainsi fleuri à plusieurs endroits en France, notamment à Lyon, fief des Remparts, et à Paris.

Un réveil gênant pour le RN

            Pour Marine Le Pen, ce retour en force tombe très mal. Alors que la stratégie de dédiabolisation du Rassemblement National avait été mise à mal par l’intervention de Grégoire de Fournas (« Qu’il retourne en Afrique ! »), l’ancienne cheffe du parti signe en décembre 2022 un courrier demandant la dissolution des groupes violents, nous apprend un article du Monde. Alors qu’elle s’était jusqu’ici bornée à désigner comme fauteurs de troubles les « antifas », elle introduit une ambiguïté en ne les nommant pas précisément pour la première fois. La position reste néanmoins suffisamment floue pour que ses électeurs soutenant l’action de ces nouvelles ligues ne lui tournent pas le dos. Elle s’inscrit ainsi dans la continuité d’une stratégie de différenciation entre le RN et Reconquête ! . Difficile, toutefois, de croire à l’honnêteté de la démarche, lorsqu’on sait que les prédécesseurs du GUD sont à l’origine du parti, et que les cadors du groupe le structurent à présent.

Le curé et Charles Maurras

            D’après Libération, le curé de l’Eglise Saint-Roch, à Paris, a donné une messe à la mémoire de Charles Maurras pour le 70ème anniversaire de sa mort, le 16 novembre dernier. Le curé, lui-même ancien membre de l’Action française, mouvement royaliste et nationaliste auquel appartenait Charles Maurras, a essuyé des critiques qui ont abouti sous la forme d’un avertissement de la part de sa hiérarchie en janvier.

            La messe fut apparemment discrète, donnée dans une église connue pour concentrer le gratin du catholicisme conservateur. Néanmoins, la célébration du penseur nationaliste, suivie de celle de Zemmour, n’a pas été au goût de tous les fidèles. Il faut dire que la figure de Charles Maurras n’est pas aussi controversée que celle de Philippe Pétain : il est bien difficile de glorifier de quelque manière que ce soit le penseur, tant son rôle dans la Révolution Nationale, par la propagation quotidienne d’une antisémitisme et d’un nationalisme violent, nauséabond, fait l’objet d’un consensus. Par ailleurs, l’Action française avait été condamnée par Pie XI en 1926, ce qui peut en partie expliquer le rejet catholique de Maurras. Les idées de celui-ci sont aujourd’hui remobilisées pour servir le nationalisme exacerbé de l’ultra-droite, mais aussi par Emmanuel Macron ou Éric Zemmour.

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